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Joëlle Garriaud-Maylam
Question écrite N° 4537 au Ministère des affaires sociales


Dispositif de pharmacovigilance

Question soumise le 7 février 2013

Mme Joëlle Garriaud-Maylam interroge Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur la réactivité du dispositif français de pharmacovigilance.

Elle s'inquiète en effet de la lenteur avec laquelle est instruite l'enquête sur les médicaments à base d'isotrétinoïne prescrits contre l'acné (Roaccutane, Contracné, Curacné, Isotretinoïne Teva, Procuta), soupçonnés d'entraîner chez certains patients des troubles psychiatriques graves, voire des suicides.

Ces « effets indésirables » ont été ajoutés à la notice de ces médicaments et l'Agence nationale de sécurité des médicaments, ANSM, (alors appelée Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, AFSSAPS) a dès 1998, adressé une lettre aux prescripteurs leur recommandant la plus grande vigilance. En 2008, la notification de nouveaux cas de suicide a conduit à la mise en place d'un groupe de travail. En 2009, l'AFSSAPS a adressé un nouveau courrier aux dermatologues et aux pharmaciens pour leur rappeler les risques d'apparition de troubles psychiatriques. En 2011, une fiche sur l'isotrétinoïne mentionnant « un risque potentiel de troubles psychiatriques en cours d'évaluation » a été mise en ligne sur le site Internet de l'AFSSAPS.

Il semblerait pourtant que peu de mesures concrètes aient été prises à l'encontre de ces médicaments. L'industrie pharmaceutique argue de l'impossibilité d'établir un lien de cause à effet entre la prise d'isotrétinoïne et des comportements dépressifs ou suicidaires. Cette attitude, cautionnée par le silence de l'ANSM, n'incite pas les praticiens à adopter les mesures de prudence qui s'imposent : prescription uniquement dans les cas d'acné très sévère, détection et surveillance des troubles psychiatriques, arrêt du traitement et alerte de l'ANSM en cas de signes de dépression.

Face à ce non-respect du principe de précaution, une prise de position de l'ANSM, fondée sur des études scientifiques poussées, est urgente. Elle rappelle qu'en 2009, en réponse à sa question écrite n° 06426, le ministre de la santé lui avait indiqué le lancement d'une étude par l'AFSSAPS. En 2011, suite au scandale du Mediator, elle avait déposé une nouvelle question écrite relative aux médicaments à base d'isotrétinoïne à laquelle il lui avait à nouveau été répondu qu'une étude en cours, dont les résultats était attendus pour la fin de l'année, devait permettre à l'agence de statuer sur l'éventuelle modification des règles de prescription et de délivrance de ces produits. Il semblerait que cette étude ne soit pas encore achevée. Elle s'étonne de ce délai et insiste sur l'urgence d'une prise de position de l'ANSM.

De manière plus générale, et à la lumière des révélations récentes sur la sous-déclaration des incidents liés à la prise de diverses pilules contraceptives, elle suggère un renforcement du dispositif de signalement des effets indésirables graves des médicaments. Un formulaire de signalement est certes en ligne sur le site de l'ANSM. Surtout destiné aux professionnels de santé, il peut également être rempli par les patients eux-mêmes ou leurs proches – une possibilité peu connue du grand public et peu utilisée. Une meilleure information du public et des professionnels de santé quant au fonctionnement de ce dispositif pourrait permettre d'en améliorer la performance.

Réservé aux cas les plus graves mettant en péril le pronostic vital, ce dispositif semble de surcroît peu adapté au signalement des troubles psychiatriques induits par la prise de médicaments (en tous cas tant qu'ils ne débouchent pas sur une tentative de suicide…) pour lesquels il est pourtant indispensable de développer des instruments de surveillance adaptés.

Réponse émise le 6 février 2014

Les traitements per os à base d'isotrétinoïne sont indiqués dans le traitement des acnés sévères (telles que acné nodulaire, acné conglobata ou acné susceptible d'entraîner des cicatrices définitives) et résistant à des cures appropriées de traitement classique comportant des antibiotiques systémiques et un traitement topique. Depuis l'arrêt de la commercialisation de la spécialité roaccutane® par les laboratoires roche en 2010 et de isotrétinoine téva® en 2013, trois spécialités génériques sont actuellement disponibles en France : curacné® des laboratoires pierre-fabre et procuta® des laboratoires expanscience depuis 2002 et contracné® des laboratoires bailleul-biorga depuis 2005. Le rôle éventuel de l'isotrétinoïne dans la survenue de troubles psychiatriques (tels que dépression, idées suicidaires et suicides), en particulier chez les adolescents fait partie des préoccupations de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). À ce titre, l'isotrétinoïne fait l'objet d'une surveillance particulière depuis plusieurs années aux niveaux national et européen et de communications régulièrement diffusées par l'agence. Des mesures d'information, de restriction d'usage et de mises en garde ont été prises. Plus précisément, les premières actions de l'agence remontent à 1998 avec la diffusion d'une lettre aux professionnels de santé, recommandant une vigilance particulière pour les patients présentant des antécédents psychiatriques et l'arrêt précoce de l'isotrétinoïne en cas de signes évocateurs de dépression. En 2004, suite à la réévaluation européenne de la balance bénéfice/risque de l'isotrétinoïne, dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) destiné aux professionnels de santé et dans la notice destinée au patient de toutes les spécialités à base d'isotrétinoïne, la nécessité d'une surveillance étroite des patients pendant le traitement en particulier en cas d'antécédents de dépression a été précisée ; ceci afin de rechercher d'éventuels signes de dépression et d'avoir recours à un traitement approprié si nécessaire. L'indication de l'isotrétinoïne a alors été restreinte au seul traitement des acnés sévères résistantes à des cures appropriées de traitement classique comportant des antibiotiques systémiques et un traitement topique. En novembre 2007, l'agence a de nouveau communiqué sur la nécessité d'une vigilance particulière vis-à-vis des patients présentant des antécédents psychiatriques. En mai 2009, afin de sensibiliser de nouveau les professionnels de santé, l'agence, en collaboration avec la société française de dermatologie et la fédération française de formation continue et d'évaluation en dermatologie-vénéréologie, a adressé une lettre aux dermatologues et aux pharmaciens d'officine pour les informer des données disponibles sur le lien éventuel entre isotrétinoïne et la survenue des troubles psychiatriques, leur rappeler les mises en garde et précautions d'emploi, les appeler à la prudence et à la surveillance des troubles psychiatriques chez les patients traités et les inciter à adresser, si besoin, les patients vers une consultation de psychiatrie. Cette communication a été relayée par le conseil national de l'ordre des médecins auprès des médecins généralistes. Enfin, en juillet 2012, un feuillet patient intitulé « ce qu'il faut savoir avant de commencer un traitement par isotrétinoïne orale », a rappelé, outre le risque de malformations graves du fœtus en cas d'exposition au cours de la grossesse, le risque de dépression et autres troubles psychologiques. Ce feuillet incite les patients notamment à consulter immédiatement un médecin en cas de changement d'humeur. S'agissant de la surveillance pharmacoépidémiologique, dès novembre 2010, l'agence a lancé une étude visant à évaluer l'adhésion des dermatologues et des patients à un outil permettant de rechercher les symptômes de dépression, dans le cadre de la prise en charge de l'acné sévère chez les adolescents avant et pendant le traitement par isotrétinoïne. L'ADRS (adolescent depression rating scale) a été considéré comme étant l'outil le mieux adapté à cette évaluation. Il s'agit d'un auto-questionnaire simple et court (en dix items, réponses en vrai/faux), dont le calcul de score est aisé et immédiat. La décision de prescrire ou non l'isotrétinoïne ne devant pas se baser sur le seul score obtenu, une conduite pratique face aux scores obtenus à cette échelle a été spécifiquement élaborée pour l'étude. L'inclusion et le suivi des patients de cette étude sont à présent terminés. L'analyse statistique est en cours et les résultats sont attendus prochainement. Ils seront rendus publics. En outre, des contacts étroits entre l'ANSM et l'association des victimes ont été mis en œuvre depuis 2003. L'ANSM mène actuellement la révision de la balance bénéfice/risque de l'isotrétinoïne, en tenant compte à la fois de l'évolution des connaissances concernant ses bénéfices et ses risques, ainsi que des progrès de la thérapeutique. Enfin, des réflexions visant un renforcement du dispositif de pharmacovigilance sont en cours et des propositions ont été établies à cet effet sous l'égide du Dr Jean-Yves Grall, ancien directeur général de la santé. Elles font l'objet d'un examen attentif et un plan de travail sera engagé dans les meilleurs délais.

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