M. Marcel Rainaud appelle l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la territorialisation des aides dans le cinéma et sur la sauvegarde du savoir-faire et des emplois dans ce secteur.
La France est le premier producteur de films en Europe, avec 20 % de la totalité des longs métrages européens. Par ailleurs, sur les 120 coproductions de la France avec ses partenaires européens, 60 comptent plus de 20 % de leur financement de source française.
Il souligne combien le cinéma français est un élément clé du financement européen du cinéma. Or, le secteur cinématographique est un secteur aidé, en France comme dans d'autres pays membres, grâce à différents dispositifs, tel le compte de soutien géré par le Centre national du cinéma (CNC) en France, ou grâce à des mécanismes de crédit d'impôt.
Dans ces conditions, la Commission européenne a établi, dès 2001, sous forme de « communication », des règles visant à déterminer le périmètre et les limites de ces aides. Ainsi est-il possible, pour le producteur d'un film, de dépenser jusqu'à 80 % des aides à la production sur le territoire d'un État membre, la part de l'aide étant limitée à 50 % du budget de production.
Devant les réactions des États membres et des professionnels du secteur, le nouveau projet de « communication cinéma », présenté le 30 avril 2013, maintient ce critère des 80 % mais il vide, en réalité, cette règle de sa substance.
Comme l'a demandé la résolution européenne votée par l'Assemblée nationale le 8 juin 2013, il insiste sur l'importance, pour les États membres, de pouvoir continuer à appliquer un critère permettant de tenir compte de l'origine des professionnels, des produits et des services, afin de maintenir, sur leur territoire, des industries cinématographiques et des savoir-faire professionnels.
Cela d'autant plus que l'étude de 2008, sur laquelle s'est appuyée la Commission pour l'élaboration de son projet de révision, a conclu que la territorialisation des aides ne constituait ni un frein à la création cinématographique européenne, ni une entrave à la libre concurrence entre États membres.
Il lui rappelle qu'avant d'être technique, la question est bien politique : il s'agit de déterminer quel avenir est souhaité pour la politique cinématographique européenne. Ce faisant, il s'agit aussi de s'interroger sur les moyens de protéger les industries nationales qui contribuent à construire le cinéma européen, car le cinéma n'est assurément pas une marchandise que l'on doit livrer à la concurrence, comme cela a brillamment été rappelé, grâce à l'opiniâtreté de la France, dans le cadre de l'accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis, par la réaffirmation du principe de l'exception culturelle.
Il attire l'attention sur le fait que l'élargissement des critères d'attribution du crédit d'impôt cinéma, adopté dans la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 dans le but de relocaliser les tournages, est positif mais encore insuffisant pour faire cesser la fuite des tournages vers nos voisins européens. Aussi, dans le même esprit, lui demande-t-il de veiller à sauvegarder le tissu industriel de notre pays, en dépit du « dumping social » auquel se livrent les États membres pour attirer les tournages, sur le seul critère du moins-disant économique ou fiscal.
La ministre de la culture et de la communication est extrêmement attentive au processus de révision par la Commission européenne de la « Communication cinéma » du 26 septembre 2001, qui encadre les modalités d'octroi d'aides à la production cinématographique et audiovisuelle par les États membres et leurs collectivités locales. La question la plus cruciale concerne la territorialisation des aides. Ainsi, alors que le texte de 2001 permettait à l'autorité octroyant l'aide d'exiger de son bénéficiaire, en contrepartie, qu'il dépense jusqu'à 80 % du budget de l'œuvre sur son territoire, le dernier projet de la Commission, en date du 30 avril 2013, réduit drastiquement cette possibilité de territorialisation. En effet, la Commission souhaite, dans son dernier projet, établir une proportionnalité entre le niveau de territorialisation et le montant de l'aide, avec pour conséquence une baisse significative des taux de territorialisation qu'il sera possible de requérir des producteurs en échange de l'aide. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les aides accordées sous forme de subvention : l'autorité qui octroie l'aide pourrait exiger qu'au plus 160 % du montant de l'aide soit dépensé sur son territoire ; en France, les aides publiques étant en moyenne de 7 %, le taux de territorialisation qui pourrait être requis ne serait donc en moyenne que de 10 %. En outre - et ce point est encore plus préoccupant - la Commission propose d'interdire toutes les dispositions introduisant une discrimination sur l'origine des biens, services et personnes, par exemple, le fait de requérir que l'aide n'est accordée que pour des activités qui génèrent des revenus taxables sur le territoire de l'autorité qui octroie l'aide. Cette proposition vide largement de sa substance la notion de territorialisation. Ces propositions sont d'autant plus surprenantes que l'étude diligentée en 2008 par la Commission sur l'impact des clauses de territorialisation en vigueur n'avait pas permis d'apporter les preuves que de telles mesures induisaient des distorsions de concurrence significatives. En outre, la Commission n'a pas mené d'étude d'impact sur les conséquences de l'application des nouveaux critères. Or, il est à craindre que ces conséquences seraient très négatives pour le cinéma européen, à savoir une forte réduction des soutiens publics au cinéma (en raison du moindre « retour sur investissement ») et par conséquent une diminution du nombre et de la diversité des films. Dans la contribution qu'il a adressée à la Commission, le Gouvernement français a rappelé que les régimes d'aides actuels ont démontré leur capacité à soutenir avec succès tant le cinéma national que, via le jeu des coproductions, l'ensemble des cinématographies européennes. Il a invité la Commission à trouver un point d'équilibre entre, d'une part, le respect des règles du marché intérieur et de la concurrence, d'autre part, la reconnaissance de ces aides en raison de leur nature culturelle comme l'y enjoint le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à son article 107.3. d., sachant que la Commission et tous les États membres ont ratifié la convention UNESCO sur la diversité culturelle. Concernant la problématique de la délocalisation des tournages à l'étranger pour des raisons économiques, la ministre est bien entendu très attentive à la préservation du dynamisme de la filière et de l'intégrité artistique des œuvres. Le 3 juillet 2013, la Commission européenne a validé les modifications aux crédits d'impôt cinéma et audiovisuel votées par le Parlement fin 2012 et visant à renforcer l'attractivité de ces dispositifs. Elle a cependant limité à l'année 2013 sa validation. Le Gouvernement va en demander sa prorogation.
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