M. François Grosdidier attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la notion de prise illégale d'intérêt, précisée et élargie dans la loi relative à la transparence de la vie publique. La loi définit le « conflit d'intérêt » comme « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ». Dans cette acception large où il suffit non d'influencer, mais de paraître influencer, et qui couvre aussi l'intérêt public qui aura été servi par un autre intérêt public, un membre du Gouvernement peut-il encore prendre la moindre décision au bénéfice de son département ou de sa région d'élection sans risque d'être inquiété devant la Haute Cour de justice ? Un parlementaire peut-il continuer aussi à porter au niveau national les intérêts publics territoriaux ou les intérêts privés (économiques, professionnels…) de sa circonscription d'élection sans risque d'être inquiété par le juge pénal, ou bien court-il un risque différent selon qu'il intervienne auprès de l'exécutif (dont il n'est pas) ou qu'il se prononce sur un texte législatif au nom d'intérêt territoriaux ou économiques pourtant parfaitement assumés ? Un parlementaire agriculteur, médecin, ou autre peut-il intervenir encore sur des questions le concernant professionnellement et dont nul ne contestera d'ailleurs sa compétence pour en parler ? Le conjoint d'un employé d'un constructeur automobile produisant principalement des véhicules diesel peut-il interpeller le Gouvernement sur la fiscalité du diesel ? Celui d'un fonctionnaire peut-il défendre le régime de retraite de son conjoint ? Enfin, l'intérêt public ou privé visé par la loi couvre-t-il l'intérêt moral, et l'intérêt électoral est-il considéré comme un intérêt moral ? Si oui à ces deux questions, un exécutif territorial peut-il prendre encore une décision populaire au bénéfice des administrés de sa collectivité sans risque juridique ?
La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 définit le conflit d'intérêt comme « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ». Toute personne dans cette situation doit se déporter et s'abstenir de prendre part à la décision en cause en se faisant suppléer par son délégataire, auquel elle s'abstient d'adresser des instructions. La définition du délit de prise illégale d'intérêt n'a toutefois pas été modifiée par cette loi et demeure « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement » (article 432-12 du code pénal). Il est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende. La notion d' « intérêt quelconque » contestée par certains parlementaires comme trop vague, a fait l'objet de plusieurs tentatives de modification : - À l'occasion du vote de la loi du 11 octobre 2013 à l'Assemblée nationale, un amendement proposant de substituer la notion d' « intérêt quelconque » par la notion d' « intérêt de nature à compromettre son indépendance, son impartialité ou son objectivité », a été déposé. Au Sénat, un amendement visant à lui substituer la notion d' « intérêt personnel distinct de l'intérêt général » a été déposé. Ces deux amendements n'ont pas été adoptés. - Dans le cadre de la procédure législative en cours relative à la proposition de loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, les mêmes modifications ont été proposées à l'Assemblée nationale et au Sénat. - Si certains considèrent le délit de prise illégale d'intérêt comme une notion aux contours trop imprécis susceptible de freiner l'exercice d'un mandat électif ou d'une mission de service public, force est de constater que la jurisprudence, stable et bien établie en la matière, est gage de sécurité juridique d'une part, et que les exceptions prévues par la loi et l'appréciation mesurée qu'en font les juges du fond amènent à considérer cet arsenal répressif comme un gage indispensable à la lutte contre les atteintes à la probité dans l'exercice de la vie publique d'autre part. En effet, la jurisprudence considère que « l'intérêt quelconque » recouvre un intérêt qui peut être matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel. La prise illégale d'intérêt ne sanctionne qu'un comportement d'ingérence et non l'objectif poursuivi ou le résultat escompté par l'auteur des faits. Cette jurisprudence stable et constante depuis plusieurs années permet d'éviter une application discordante entre les juridictions de la qualification de prise illégale d'intérêt et constitue un arsenal juridique indispensable à la lutte contre les atteintes à la probité dans l'utilisation des deniers publics. L'appréciation de l'existence d'un conflit d'intérêt est par ailleurs limitée par l'exception prévue par l'article 432-12 du code pénal s'agissant des petites communes de moins de 3 500 habitants, le législateur ayant pris en compte les particularités des petites communes rurales. Elle est également limitée par l'examen in concreto auquel les juges du fond procèdent quant à l'élément intentionnel de l'infraction. Le nombre de condamnations d'élus pour prise illégale d'intérêt ne représente d'ailleurs qu'une vingtaine de condamnations par an (26 en 2008, 23 en 2009, 22 en 2010 et 27 en 2011). Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment considéré que le texte d'incrimination de la prise illégale d'intérêt ne portait atteinte à aucun principe constitutionnel. L'article 432-12 du code pénal a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité au motif qu'il porterait atteinte aux principes constitutionnels de légalité des délits et des peines, de clarté et de lisibilité de la loi. La Cour de cassation a jugé que cette question ne présentait pas de caractère sérieux dès lors que « la rédaction du texte en cause est conforme aux principes de précision et de prévisibilité de la loi pénale dont elle permet de déterminer le champ d'application » (Crim. 30 nov 2011).
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