M. Bruno Retailleau. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Le 25 septembre dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui va faire date. Elle a non seulement confirmé la responsabilité des pollueurs dans l'affaire de l'Erika, mais elle a également reconnu l'existence d'une notion juridique nouvelle : le préjudice écologique.
C'est une victoire pour la Vendée, mon département, ainsi que pour toutes les parties civiles prenantes à l'affaire et pour tous les amoureux de la nature. C'est aussi, après treize années de combat, un immense soulagement, parce que rien n'était gagné d'avance. J'en veux pour preuve que l'avocat général avait requis, si j'ose dire, l'annulation pure et simple de toute la procédure ! Nous sommes passés tout près, après la catastrophe écologique, du naufrage juridique. Il s'en est fallu de peu…
Le pire a été évité. Il faut désormais que nous puissions construire le meilleur pour l'avenir, en tirant, pour le futur, les leçons du passé, précisément en inscrivant cette nouvelle notion dans le droit positif.
Pour la première fois, les juges ont reconnu l'existence du préjudice écologique, c'est-à-dire d'un préjudice autonome, distinct du préjudice moral ou du préjudice matériel. C'est fabuleux ! Il faut maintenant inscrire cette jurisprudence dans la loi, reconnaître le préjudice écologique et l'insérer dans le code civil ; c'est fondamental.
J'ai, avec une cinquantaine de collègues, déposé une proposition de loi en ce sens au printemps dernier. C'est la dernière clef de voute de cet édifice sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, me semble-t-il, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Cet édifice juridique a été construit à la fois par la jurisprudence, par la loi constitutionnelle relative à la Charte de l'environnement, par la décision du Conseil constitutionnel du 8 avril 2011, mais aussi par la loi relative à la responsabilité environnementale. Toutefois, mes chers collègues, et je parle devant la statue de Portalis, notre code civil comporte une fragilité puisqu'il ne reconnaît un dommage que pour autant qu'il ait un caractère personnel. Or l'environnement n'est pas un bien personnel, c'est un bien collectif.
C'est la raison pour laquelle, selon la belle formule de Victor Hugo, il faut, madame la ministre, faire rentrer le droit dans la loi. Ma question est simple : le Gouvernement est-il prêt à cette petite révolution juridique ?
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur, l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l'affaire de l'Erika, le 25 septembre dernier, a confirmé la responsabilité pénale de l'ensemble des acteurs de la chaîne de transport des hydrocarbures et, sur le plan civil, a reconnu la notion de préjudice écologique.
Je voudrais tout d'abord rendre hommage au combat qu'ont mené pendant onze ans les régions, les départements, les communes des 400 kilomètres de côtes françaises touchées par cette pollution et qui voient leur bataille juridique couronnée de succès.
Cette décision constitue un pas en avant considérable pour la protection de l'environnement et l'application du principe pollueur-payeur, avec la reconnaissance non seulement de la responsabilité pénale, mais aussi de la responsabilité civile, quel que soit le lieu où le sinistre s'est produit.
Cette décision fera jurisprudence. Nous souhaitons qu'elle fasse pleinement son entrée dans le droit français. Comme vous le savez, s'agissant du code civil, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, a d'ores et déjà engagé une réforme de grande ampleur de notre droit de la responsabilité. C'est donc sous sa conduite que ces réflexions se poursuivront.
Je sais, monsieur le sénateur, l'intérêt que vous portez vous-même à cette inscription. Nous avons pris connaissance de votre proposition de loi, mais aussi du colloque que vous organisez à la fin du mois d'octobre avec un certain nombre de juristes du droit de l'environnement. Je suis certaine que cette initiative sera utile pour apporter des précisions sur certains points : qui peut ester en justice au nom de la nature ? Comment doit se faire la réparation ?
Vous avez raison de dire que le 25 septembre a été un grand jour. Il nous appartient maintenant d'en tirer toutes les conséquences.
Je voulais aussi vous indiquer que, avec Frédéric Cuvillier, nous sommes favorables à ce que la France prenne, lors de la prochaine assemblée générale des Nations unies, une initiative afin de proposer un protocole additionnel à la convention de Montego Bay pour construire un outil de protection juridique international de la haute mer qui corresponde aux mêmes exigences.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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