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Michel Billout
Question orale sans débat N° 191 au Ministère de l'écologie


Avenir de la recherche intégrée dans le secteur de l'énergie

Question soumise le 25 octobre 2012

M. Michel Billout attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les menaces qui pèsent sur la recherche intégrée à EDF et GDF-SUEZ, conséquence aberrante de l'application de la déréglementation européenne dans ce secteur.

Le « troisième paquet énergie » adopté par le Parlement européen en 2009 comprenait deux directives, une concernant le marché intérieur de l'électricité (directive 2009/72/CE), l'autre concernant le marché intérieur du gaz naturel (directive 2009/73/CE). Ces deux directives de caractère libéral ont été transposées en droit français en 2011 avec la rédaction de la partie législative du code de l'énergie, afin de rendre les gestionnaires de réseaux de transport électriques et gaziers (RTE pour EDF et GRTgaz pour GDF Suez) totalement indépendants des groupes auxquels ils appartiennent.

Aujourd'hui, c'est la recherche intégrée à ces entreprises qui est remise en cause. RTE s'est ainsi engagée à mettre fin, d'ici fin 2012 au plus tard, au recours aux prestations d'études et d'essais réalisées par EDF SA. En Seine-et-Marne, le centre de recherche et développement les Renardières d'EDF envisage en conséquence de se séparer du laboratoire des matériels électriques en charge des activités de recherche faites actuellement par EDF pour RTE.

Ce morcellement de la recherche va amputer le centre d'une centaine de salariés sur les 600 agents du site alors que les essais et études pour RTE concernent la sécurité, qui est pourtant reconnue dans la loi comme une exception. Le maintien d'une recherche intégrée reste donc possible et indispensable à une recherche de qualité. En effet, de nombreux chercheurs soulignent le risque de multiplication de petites entités de recherche. Celles-ci n'auraient pas la taille critique nécessaire pour réunir toutes les compétences pointues indispensables à la réalisation des projets de recherches ambitieux qu'il faut mener pour répondre aux défis énergétiques du futur
(compteurs communicants, Smart Grid, optimisation énergétique, …).

Or, d'autres projets de réorganisation d'EDF R&D vont dans le sens de l'éclatement et inquiètent autant les salariés de ces centres de recherche que l'ensemble des sous-traitants qui collaborent avec les équipes d'EDF.

Le développement de la recherche dans le secteur énergétique dépassant les seuls intérêts économiques des entreprises concernées, il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour maintenir et développer une recherche intégrée indispensable pour maintenir un haut niveau de sécurité et d'innovation.

Réponse émise le 19 décembre 2012

M. Michel Billout. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les menaces pesant sur la recherche intégrée à EDF et GDF-SUEZ, qui sont une conséquence aberrante de l'application de la déréglementation européenne dans le secteur de l'énergie.

Le troisième paquet énergie, adopté par le Parlement européen en 2009, comprend deux directives, la directive 2009/72/CE sur le marché intérieur de l'électricité et la directive 2009/73/CE sur le marché intérieur du gaz naturel.

Ces deux directives, de caractère ultra-libéral, ont été transposées en droit français en 2011 dans la partie législative du code de l'énergie. L'objectif était de rendre les gestionnaires de réseaux de transport électriques et gaziers indépendants des groupes auxquels ils appartiennent, une évolution contre laquelle le groupe d'études de l'énergie du Sénat s'était longtemps mobilisé.

Aujourd'hui, c'est la recherche intégrée à ces entreprises qui est remise en cause. Ainsi, l'entreprise Réseau de transport d'énergie, ou RTE, s'est engagée à mettre fin d'ici à quelques jours au recours aux prestations d'études et d'essais confiées à EDF SA.

Dans le département de la Seine-et-Marne, le centre de recherche et développement d'EDF Les Renardières envisage en conséquence de se séparer du laboratoire des matériels électriques chargé des activités de recherche menées actuellement par EDF pour RTE. Ce morcellement de la recherche amputera le centre de près de 170 salariés sur les 600 agents du site, alors que les essais et études pour RTE concernent la sécurité, un domaine pourtant reconnu comme une exception par la loi.

Le maintien d'une recherche intégrée reste donc possible et souhaitable, pour la préservation d'une recherche de meilleure qualité. Les chercheurs soulignent en effet le risque de multiplication de petites entités de recherche : ces dernières n'auraient pas la taille critique suffisante pour réunir toutes les compétences pointues nécessaires à la réalisation des projets de recherches ambitieux. Or de tels projets doivent être menés pour répondre aux défis énergétiques du futur : les compteurs communicants, le réseau de distribution d'électricité « intelligent », dit smart grid, l'optimisation énergétique ou bien encore l'intégration au réseau des énergies renouvelables - je pense à la production éolienne -, qui pose souvent des problèmes techniques importants.

Or, d'autres projets de réorganisation d'EDF Recherche et développement vont dans ce sens et inquiètent autant les salariés de ces centres de recherche que l'ensemble des sous-traitants qui collaborent avec les équipes d'EDF.

Dans le contexte d'une augmentation croissante de consommation énergétique dans le monde, l'Agence internationale de l'énergie s'attend à une hausse de 20 % des émissions de dioxyde de carbone d'ici à 2035 ; cela conduirait à une augmentation de la température de la planète de plus de 3,5 degrés Celsius, avec toutes les conséquences environnementales que cela implique.

Madame la ministre, le renforcement et le développement de la recherche dans ce domaine dépassant les seuls intérêts économiques des entreprises concernées et la poursuite exclusive de logiques concurrentielles de court terme, je souhaiterais connaître les mesures que compte prendre le Gouvernement pour soutenir la recherche dans un secteur d'activité où l'excellence française est encore mondialement reconnue.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui souligne l'importance de la recherche et développement en matière énergétique, notamment pour la sécurité et l'optimisation des réseaux de transport. Votre question met également en lumière l'un des impacts de la logique de libéralisation qui a dominé jusqu'à aujourd'hui les politiques mises en œuvre dans l'Union européenne pour le secteur de l'énergie.

Le troisième paquet énergie, composé de deux directives et relatives aux règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz naturel, adoptées en juillet 2009, a fait l'objet de débats au sein de l'Union européenne.

Vous l'avez souligné à juste titre, ces directives ont poursuivi la libéralisation du marché du gaz et de l'électricité.

Parmi les deux options d'organisation envisagées dans le projet initial de la Commission européenne, une seule était en pratique réalisable : celle de la séparation patrimoniale du gestionnaire du réseau de transport de sa société mère.

Si l'on peut critiquer cette évolution des règles européennes, la troisième voie obtenue par la France, l'Allemagne et une minorité de blocage a néanmoins permis de préserver le maintien de la société gestionnaire du réseau de transport RTE au sein d'une entreprise verticalement intégrée, à savoir EDF, et d'éviter une séparation du patrimoine de ces deux entreprises.

En contrepartie de l'adoption de cette troisième voie, des dispositions très strictes concernant l'indépendance du gestionnaire de réseau ont été imposées par la directive, en particulier l'interdiction faite à la société mère de fournir des prestations de services au gestionnaire du réseau de transport.

Toutefois, il est apparu essentiel de permettre la fourniture des prestations strictement nécessaires pour assurer la sécurité et la sûreté du réseau.

Il s'agit avant tout des « services système » indispensables pour assurer la tenue de la fréquence et de la tension sur le réseau qui sont fournis par EDF au même titre que tous les autres producteurs. Cette disposition de bon sens, prévue dans le cadre de l'ordonnance du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de l'énergie et qui a transposé le troisième paquet sur le marché intérieur de l'électricité et du gaz, n'a pas été contestée par la Commission européenne.

En revanche, ces dispositions, que l'on retrouve à l'article L. 111-18 du code de l'énergie, ne s'appliquent pas aux prestations de recherche et développement. Aussi, afin d'être certifié en tant que gestionnaire de réseau de transport, sous le contrôle de la Commission européenne, RTE a dû s'engager à mettre un terme d'ici à la fin de 2012 aux relations contractuelles avec EDF en matière de recherche et développement. Nous le regrettons.

Il convient toutefois de rappeler que les activités de recherche et développement pour le réseau de transport, bien que réalisées au sein d'un laboratoire commun avec EDF, ont toujours eu un caractère très spécifique, lié aux missions particulières assignées au réseau de transport.

Ces recherches s'appuient - et c'était déjà vrai par le passé - sur un réseau de partenaires français et étrangers comme l'École des mines, Supélec, les universités de Rennes et de Liège et un réseau d'universités américaines.

Depuis 2009, s'est mise en place une coopération entre cinq gestionnaires de réseaux de transport européens, dont RTE, au sein de la plate-forme CORESO, centre de coordination régionale utilisant des outils innovants d'étude, d'analyse et de coordination opérationnelle issus de la recherche et développement, afin d'anticiper et de traiter les perturbations dans la conduite des réseaux.

Ainsi, malgré les nouvelles contraintes qui pèsent sur le gestionnaire du réseau public de transport du fait de la législation européenne, la clé du succès de la recherche de RTE résidera dans un cadre régulatoire adapté lui donnant suffisamment de moyens pour poursuivre et pour développer des collaborations en matière de recherche et développement avec ses partenaires, ainsi qu'avec les autres gestionnaires de réseaux de transport et de distribution européens.

C'est cette approche qui permettra le maintien du haut niveau de sécurité et d'innovation que vous appelez de vos vœux, monsieur le sénateur ; essentielle pour la réussite de la transition énergétique, elle fait l'objet du débat national que nous avons engagé.

Pour conclure, je rappelle que le Président de la République s'est engagé à promouvoir auprès de nos partenaires européens une Europe de l'énergie à la mesure des enjeux du xxiesiècle.

Faire cette Europe de l'énergie, ce n'est pas prévoir encore de nouvelles étapes de libéralisation et de dérégulation du marché intérieur. C'est assurer la sécurité d'approvisionnement pour garantir à tous l'accès à ce bien essentiel. C'est aussi dégager des financements nécessaires pour des projets communs non seulement de développement des infrastructures du réseau de transport, mais aussi d'innovation, de recherche et développement, ainsi que de développement industriel, en particulier dans les domaines de l'efficacité et de la sobriété énergétiques ou des énergies renouvelables.

La France a d'ores et déjà fait un certain nombre de propositions qui sont discutées avec nos partenaires européens. Vous le savez, le Conseil européen de mai prochain sera consacré à la politique européenne de l'énergie, et nous y ferons valoir notre ambition.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Je vous remercie, madame la ministre, des informations que vous m'avez communiquées.

Vous avez conclu votre propos sur l'Europe de l'énergie, une ambition à laquelle nous adhérons tous, et sur la possibilité, enfin, de prévoir des coopérations entre les gestionnaires de réseaux au niveau européen, en particulier dans le domaine de la recherche.

Tout cela ne peut qu'aller dans le bon sens. Pour autant, si cette évolution devait s'accompagner d'un morcellement de la recherche dans les différents États de l'Union européenne, je ne suis pas sûr que nous arriverions au final à de bien meilleurs résultats.

Il y a évidemment des pans communs de recherche entre la production de l'énergie et son transport ; il est même souvent nécessaire que les deux aillent de pair.

Je m'étonne que vous ne proposiez pas d'intégrer la recherche au contrat de service public liant l'État à EDF, qui n'a pas été renouvelé depuis 2010. N'y aurait-il pas là une piste à creuser pour sauver notre recherche, qui, dans le domaine énergétique, compte parmi les plus opérationnelles au monde ?

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