Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2013, nous avions déjà souhaité mettre en débat l'avenir des concessions des grands barrages et des installations hydroélectriques, qui appartiennent au patrimoine énergétique français et dont l'aspect stratégique est essentiel du point de vue tant industriel et agricole que social et environnemental, sans oublier l'aménagement du territoire. Le Gouvernement avait alors souhaité attendre les conclusions du rapport de la députée Marie-Noëlle Battistel.
Toutefois, au début du mois de septembre, et sans attendre la présentation de ce rapport, vous avez souhaité, monsieur le ministre, avec vos collègues de l'économie, des finances et du budget, que soit enclenchée la procédure d'appel d'offres, jugeant que cette dernière constituait « la solution juridique la plus robuste pour optimiser le patrimoine national de l'hydroélectricité ».
Or Mme Battistel explique dans son rapport que cette procédure « présente un danger pour la sûreté des usagers et la sécurité d'approvisionnement », qu'elle va entraîner « une hausse mécanique du prix de l'électricité », qu'elle n'offre pas les garanties suffisantes « aux acteurs locaux pour les différents usages de l'eau » et qu'elle va inévitablement entraîner « des destructions d'emplois ».
Le président Hollande dit vouloir relancer la communauté européenne de l'énergie afin de « coordonner tous les efforts pour les énergies renouvelables », ce que nous saluons. Or, nous le savons, la production hydraulique est la forme d'énergie la plus flexible et l'une des moins polluantes. Un barrage peut, en quelques minutes, passer d'une production nulle à sa pleine puissance.
L'hydroélectricité est un outil central de l'équilibre du réseau électrique et, à ce titre, les stations de transfert d'énergie par pompage doivent être développées. En effet, dans le cadre du développement des énergies renouvelables, forcément intermittentes, ce type d'ouvrage est le seul qui permette le stockage de l'énergie, qui plus est produite pendant les heures creuses.
Comment, monsieur le ministre, pouvez-vous concilier l'inconciliable, à savoir d'un côté la mise en concurrence et donc la privatisation de la production énergétique hydraulique de la France et, de l'autre, le projet d'une communauté européenne qui garantisse notre indépendance énergétique et le droit d'accès à l'énergie pour tous les citoyens à un tarif abordable ?
Comment enfin pouvez-vous dire que l'emploi est la priorité du Gouvernement, alors que vous mettez en danger des centaines d'emplois dans de très nombreuses vallées de montagne par la mise en concurrence des concessions hydrauliques ?
M. Philippe Martin, ministre. Madame la sénatrice, l'hydroélectricité est une énergie décentralisée qui s'inscrit dans la volonté de développer massivement les énergies renouvelables qui ancrées dans les territoires, génèrent, comme vous l'avez dit, des emplois non délocalisables.
Il s'agit également d'un patrimoine national auquel les élus de montagne sont très attachés et à l'égard duquel le Gouvernement a un devoir de préservation et de bonne gestion.
Nous devons assurer le renouvellement des concessions qui sont échues ou qui arriveront à échéance dans les prochaines années. C'est une obligation qui nous est faite par la loi.
Si la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a confié à Mme Battistel et à M. Straumann la mission d'explorer les différents scénarios possibles, c'est afin d'éclairer le Gouvernement dans ses choix.
Le renouvellement des concessions s'effectuera évidemment dans le respect du droit. C'est ce que le Gouvernement a voulu réaffirmer dans sa réponse à un référé que lui avait transmis la Cour des comptes, selon un calendrier contraint.
Mais répondre à la Cour des comptes n'est pas affirmer une politique. L'affirmation de la politique viendra après le débat que nous allons poursuivre avec Mme Battistel, avec M. Straumann, avec les sénateurs, aussi, au sujet de cet héritage.
Je le dis ici, ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est une politique de l'hydroélectricité en France. Lors de son élaboration, nous devrons être vigilants sur plusieurs points.
Ainsi, nous devrons veiller aux industries électro-intensives ; donner une place nouvelle et importante aux collectivités territoriales ; prendre en compte les conséquences de la mise en concurrence sur les personnels ; porter une attention particulière à la continuité écologique et à la performance environnementale dans la gestion des barrages.
Je n'oublie pas enfin la dimension des différents usages de l'eau. Je tiens à vous rassurer sur ce point, madame la sénatrice, le Gouvernement prendra en compte les résultats de l'expertise diligentée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, ainsi que l'avis des sénateurs.
Je suis ouvert à l'idée que nous puissions y travailler ensemble avant de prendre des décisions définitives.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, votre réponse apaise une partie de nos craintes, et je vous en remercie. J'ai bien entendu que vous aviez l'intention de lancer cette discussion en vous appuyant sur le rapport de Mme Battistel et en dialoguant avec les sénateurs, ce dont nous nous réjouissons.
Mme Battistel propose des pistes alternatives à la simple mise en concurrence qui méritent incontestablement d'être prises en considération, car elles prennent en compte la participation des salariés du secteur.
Je vous ai bien entendu cet après-midi, monsieur le ministre, mais je vous ai aussi entendu à Cauterets, lors du congrès des élus de la montagne. Élue iséroise, je connais bien ces problématiques de l'hydroélectricité.
Vous dites vouloir soutenir ce secteur, ainsi que les industriels électro-intensifs. Vous dites également que la politique énergétique doit être refondée en direction des usagers à travers un service public de l'énergie dans lequel les collectivités doivent prendre toute leur place.
Il s'agit d'une très bonne proposition, monsieur le ministre ; il vous revient donc de ne pas céder à l'Europe quant à la libéralisation de ce secteur et, surtout, de tenir bon sur le maintien des tarifs réglementés !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
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