Mme Marie-France Beaufils. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'économie et des finances, mais je comprends son empêchement et son remplacement par Mme Fleur Pellerin.
À la suite de l'annonce par voie de presse, un matin, de la suppression de 730 emplois sur les 930 que compte l'usine Michelin située à Joué-lès-Tours, les salariés sont sous le choc. La méthode est particulièrement violente, les représentants des salariés n'ayant même pas été informés de ce qui se tramait en haut lieu. Dans le même temps, M. Senard, PDG du groupe, affirmait : « Nous avons tenu informés les principaux membres du Gouvernement et l'Élysée de notre projet. Par conséquent, il n'est pas apparu […] comme une surprise ». Les élus tourangeaux, quant à eux, ont été tenus à l'écart.
La direction de cette multinationale a décidé, à terme, de rayer de la carte un site français, alors que, à l'échelle mondiale, l'activité du groupe est en expansion. Son résultat opérationnel a grimpé de 25 % l'année dernière, s'établissant à 2,4 milliards d'euros. Par comparaison, un salarié Michelin, après trente-quatre ans de service, gagne 1 450 euros par mois !
La richesse accumulée par Michelin s'est faite essentiellement sur le dos de l'ensemble des travailleurs. Et on voudrait faire payer la note à ceux-ci, alors que les dividendes ont augmenté de 250 % depuis 2008 ! C'est inacceptable ! Combien de centaines de vies familiales modestes brisées pour la seule satisfaction d'une minorité d'actionnaires ?
Une telle décision devrait être déclarée illégale. Tel était d'ailleurs l'objet de notre proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers et les suppressions d'emplois abusives. Vous vous y êtes opposés, alors que la totalité des sénateurs socialistes s'étaient prononcés en sa faveur au mois de février dernier.
La restructuration du groupe en cause au plan international ressemble à une délocalisation déguisée. Dans les trois prochaines années, 6 milliards d'euros seront investis dans les pays émergents, mais seulement 800 millions d'euros seront affectés à la France au cours des six ans à venir. Comment pourrez-vous peser, madame la ministre, sur la société Michelin pour que ses choix favorisent l'industrialisation de notre pays et ne pénalisent pas le site et les salariés de Joué-lès-Tours ?
Le plan social proposé aux Michelin est en deçà de celui de 2009 et, surtout, de celui signé à Toul voilà quelques années. Ses conséquences seront lourdes pour la Touraine ; 27 286 Tourangeaux sont d'ores et déjà à la recherche d'un emploi.
Madame la ministre, les citoyens attendent de votre gouvernement des réponses sur l'emploi, la reconnaissance du rôle des salariés, la réindustrialisation de notre pays. Ils ne peuvent accepter que vous détruisiez leurs droits et leurs acquis par la loi transposant l'accord national interprofessionnel, l'ANI. Quand allez-vous interdire les licenciements boursiers pour que de telles situations ne se reproduisent pas ?
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Madame Beaufils, avant de répondre concrètement à votre question, je voudrais, comme vous, avoir une pensée pour les salariés de Joué-lès-Tours qui sont attachés à Michelin. Ils vivent très cruellement la décision du groupe. Perdre leur emploi, c'est une épreuve pour eux et leurs familles. C'est pourquoi le Gouvernement suit avec la plus grande attention les annonces de l'entreprise.
Il est important de préciser de quoi il est question.
Il s'agit, d'abord, de l'arrêt de l'atelier poids-lourds de l'usine de Joué-lès-Tours, dont l'activité serait transférée à La Roche-sur-Yon : c'est, bien entendu, l'annonce la plus difficile du plan de Michelin, puisqu'elle entraînerait la suppression de 730 emplois sur le site.
Le Gouvernement demande à Michelin qu'il n'y ait aucun départ contraint. À cette fin, l'entreprise a pris l'engagement de proposer un autre poste dans le groupe à chaque salarié concerné.
Il faut également que ceux qui souhaiteraient rester dans la région se voient offrir une solution et, surtout, que le site poursuive sa vocation industrielle.
Le Gouvernement sera particulièrement vigilant au respect de ces engagements. Arnaud Montebourg et Michel Sapin seront extrêmement attentifs au sort des salariés dont l'emploi est supprimé. Toute personne qui perd son emploi à cause de Michelin devra retrouver un emploi grâce à Michelin.
Mais les annonces de l'entreprise comportent aussi quelques bonnes nouvelles, puisque Michelin souhaite développer en France la compétitivité de ses outils non seulement de recherche et développement, mais aussi de production. À cet effet, le groupe a prévu de réaliser en France, entre 2013 et 2019, un investissement d'environ 800 millions d'euros dans plusieurs sites industriels et dans son centre de recherche et développement : le regroupement dans l'usine de La Roche-sur-Yon, dont la capacité sera doublée et où 100 millions d'euros seront investis, de la production de pneus poids-lourds, afin de rendre celle-ci très compétitive ; le maintien de l'activité de produits semi-finis à Joué-lès-Tours, dans laquelle seraient investis 22 millions d'euros ; enfin, l'augmentation de la capacité de production de pneus génie civil et agricole ainsi que de produits finis à Montceau-les-Mines, au Puy-en-Velay et à Troyes, avec, au total, près de 200 millions d'euros d'investissement sur ces sites et plus de 300 emplois créés.
À tout cela s'ajoute la modernisation du centre mondial de recherche et d'innovation situé à Clermont-Ferrand, où 220 millions d'euros seront également investis.
Michelin fait donc le choix non seulement de moderniser son outil de production, d'investir, de créer des emplois en France, mais aussi d'engager des adaptations difficiles, très difficiles même, sur le plan humain.
Sur ce dernier point, madame la sénatrice, je le répète, le Gouvernement sera extrêmement vigilant à ce que chaque salarié se voie proposer une solution qui lui convienne et à ce que les emplois soient recréés à l'échelon local. Il veillera à ce que, dès vendredi, Michelin assume toutes ses responsabilités d'employeur lors du dialogue qui va s'engager avec les salariés.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
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