Mme Leila Aïchi. Ma question s'adressait à M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères.
Depuis six semaines, l'équipage de l'Arctic Sunrise, navire de l'ONG Greenpeace, est en détention provisoire dans la prison de Mourmansk, en Russie. Son crime : avoir dénoncé, de manière non violente, les projets de forage de la société Gazprom au-delà du cercle polaire.
Pouvons-nous laisser condamner des citoyens lanceurs d'alerte, accusés parce qu'ils refusent le saccage de l'Arctique ? Bien évidemment, non !
L'Arctique abrite un écosystème fragile et unique au monde, et de nombreuses espèces protégées y vivent ; elles sont en voie de disparition, alors qu'elles sont nécessaires – ô combien ! – au devenir de l'humanité. Mes chers collègues, songez que, en trente ans, la superficie moyenne de la banquise est passée de 6,5 à 3,4 millions de kilomètres carrés, soit une diminution équivalente à près de cinq fois la superficie totale de la France !
Or, dans la mesure où la banquise réfléchit les rayonnements solaires et contribue directement à la régulation des températures, sa disparition marquerait un point de non-retour dans le réchauffement climatique ; elle provoquerait la montée du niveau des eaux et l'acidification des océans, ce qui affecterait nécessairement les ressources halieutiques.
L'Arctique, qui renfermerait 22 % des réserves mondiales d'hydrocarbures, fait l'objet d'une sinistre convoitise de la part des groupes pétroliers et miniers. Plus grave encore : l'accroissement inéluctable des stress environnementaux et énergétiques dans cette région du monde sera source, à terme, de tensions et de conflits ; c'est la raison pour laquelle nous autres, écologistes, plaidons en faveur du concept de green defense.
Alors que, dans deux semaines, la communauté internationale débattra à Varsovie des moyens de faire face au réchauffement climatique, le Premier ministre, actuellement à Moscou, ne peut ignorer les activités néfastes pour l'environnement des groupes pétroliers, notamment de Gazprom, poids lourd de l'industrie russe. Il semblerait qu'il ait prévu d'évoquer le sujet avec les autorités russes. Dont acte !
Il est impératif que notre diplomatie use de toute son influence pour libérer les trente prisonniers et lancer un nouvel élan international en faveur d'une convention maritime mieux adaptée aux problèmes d'aujourd'hui.
Madame la ministre, l'Arctique ne doit pas être un enjeu géoéconomique. Seule la sanctuarisation de cette zone permettra, à terme, de prévenir les risques inhérents à l'exploitation massive des matières premières et à la pêche industrielle, comme les marées noires, et de pallier ainsi les insuffisances de la convention de Montego Bay.
Devant l'indifférence coupable des nations et le dramatique silence de l'ONU et de l'Europe, les ONG environnementales mènent, parfois au péril de la vie de certains militants, une action essentielle pour le bien-être des générations futures et pour la survie de l'humanité. Les « Trente de l'Arctique » ont d'abord été injustement qualifiés de terroristes, de pirates, de hooligans et de vandales ; en réalité, ces militants sont des héros !
(Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Il ne faut pas exagérer !
Mme Leila Aïchi. Oui, des héros, au même titre que Chico Mendes, mort pour la défense de l'Amazonie, et que le capitaine Paul Watson, de l'ONG Sea Shepherd, sous le coup d'un mandat d'arrêt international pour sa lutte contre la pêche industrielle et illégale, et que le Gouvernement a ignoré.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Leila Aïchi. Madame la ministre, quelle action le Gouvernement compte-t-il mener pour obtenir la libération des trente héros de Greenpeace ?
(Marques d'impatience sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Dallier. La question !
M. le président. Ma chère collègue, il faut vraiment conclure !
Mme Leila Aïchi. Comment la France peut-elle protéger les lanceurs d'alerte internationaux, à commencer par le capitaine Watson, en favorisant la création d'un statut international de réfugié politique écologiste ?
(Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, l'Arctic Sunrisea été arraisonné il y a maintenant plus d'un mois par les autorités russes. Les trente militants de Greenpeace qui étaient à son bord sont depuis lors en détention préventive dans la ville de Mourmansk. Parmi eux figure l'un de nos compatriotes, Francesco Pisanu. La France lui a immédiatement accordé la protection consulaire, et je veux vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous suivons avec la plus grande attention les développements de cette affaire.
Le Premier ministre, vous le savez, est en ce moment même en Russie, et il ne m'appartient pas, vous le comprendrez, d'évoquer à sa place sa visite. Toutefois, je peux vous dire avec certitude que le Gouvernement est pleinement mobilisé sur cette affaire. Il agit de la façon la plus efficace possible, en particulier dans l'intérêt de notre compatriote.
Ces questions font partie de la politique étrangère de la France, quel que soit le déplacement ministériel effectué. En Russie comme dans les autres pays, les autorités françaises les évoquent avec franchise, mais aussi dans le respect des interlocuteurs. Je crois en effet que c'est en créant les conditions du dialogue, en examinant posément la situation, notamment celle de notre compatriote, qu'on pourra apporter une réponse concrète à ce problème.
S'agissant du sujet de fond que vous évoquez, madame la sénatrice, à savoir la question de l'exploitation des ressources naturelles en Arctique, vous savez qu'elle fait aujourd'hui l'objet de débats au sein du Conseil de l'Arctique. Sachez que, en tant qu'observatrice au sein de cette institution, la France compte bien y prendre toute sa part.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
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