Mme Muguette Dini. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Elle concerne la prescription des violences sexuelles, agressions et viols.
Le 25 novembre dernier, au cours de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Gouvernement a lancé une campagne pour permettre la libération de la parole des victimes. En revanche, il n'y a aucune avancée pour une autre forme de violence à la fois différente et proche, la violence sexuelle.
Celle-ci, en effet, s'exerce le plus souvent sur des enfants, filles ou garçons, majoritairement dans le cadre familial ou proche, à une période de la vie où la victime est dans l'incapacité presque totale de la dénoncer. Une femme sur quatre, un homme sur six sont victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Cela concerne des milliers d'enfants chaque jour.
Les victimes enfouissent ce souvenir, qui ressort quelquefois de longues années plus tard sous forme de maladies auto-immunes ou de troubles psychologiques très violents. La présidente de l'association Stop aux violences sexuelles, le docteur Violaine Guérin, nous dit que la violence sexuelle réalise le meurtre de l'âme et affecte négativement la vie des êtres humains qui en sont victimes. C'est un véritable crime contre l'humain et l'humanité.
Certaines victimes vont présenter une amnésie traumatique. C'est le cas, par exemple, de Cécile, une femme de 41 ans, violée à l'âge de 5 ans par son cousin. Malgré l'expiration d'un délai légal de prescription, cette victime a tenu à porter plainte. Devant la Cour de cassation, le 6 novembre dernier, son avocat a souligné la différence de traitement entre les victimes de violences sexuelles et les victimes d'abus de biens sociaux, ces dernières bénéficiant d'une prescription courant à partir du moment où les faits sont révélés. Notre législation considère donc que ce meurtre psychologique est moins important que les abus qui portent sur les biens matériels.
Quand allez-vous nous soumettre, madame la ministre, un projet de loi pour que la prescription des violences sexuelles soit traitée a minima comme celle des abus de biens sociaux ? Pourquoi ne pas envisager une imprescriptibilité ? Compte tenu du fait qu'une agression sexuelle ou un viol causent des dégâts psychologiques identiques, peut-on espérer qu'ils ne constituent plus qu'un seul crime, celui de violences sexuelles ?
(Applaudissements.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous évoquez un sujet profondément douloureux. Je connais votre implication et celle de nombre de vos collègues dans ce dossier, ainsi que la constance de votre engagement.
Nous devons trouver une solution satisfaisante et durable. La campagne de sensibilisation que le Gouvernement a engagée et les dispositions pratiques que nous avons prises pour faciliter le dépôt des plaintes concernent aussi ces victimes. Il est important que nous créions les conditions pour que la victime parle le plus tôt possible.
Vous évoquez le rapprochement du régime de prescription de celui d'un délit financier, l'abus de biens sociaux. Celui-ci, par nature, repose sur la dissimulation : il est donc logique que le délai de prescription coure à compter de la révélation du délit.
En ce qui concerne les agressions sexuelles, qui relèvent des délits, le délai de prescription est effectivement de trois ans à compter de la date où les faits ont été commis. En ce qui concerne les mineurs, le délai de prescription est de dix ans, et de vingt ans pour les faits plus graves, notamment les viols. Il court à compter du jour où la victime atteint l'âge de la majorité.
Vous proposez d'instaurer une imprescriptibilité. Les faits sont incontestablement graves. Cependant, ils ne peuvent être comparés ni à un génocide ni à un crime contre l'humanité, si dramatiques que soient les traumatismes et les violences subis par les victimes. Nous ne pouvons pas non plus confondre le régime des mineurs et celui des majeurs, les mineurs n'étant pas en état de porter plainte au moment où sont commises ces agressions.
Enfin, vous proposez d'instituer un crime unique. Cela irait à l'encontre du principe de proportionnalité qui sous-tend notre droit.
Néanmoins, je suis d'accord avec vous sur le fait que le régime des prescriptions est complexe, quelque peu touffu, et qu'il peut parfois donner l'apparence de comporter des contradictions. C'est pourquoi le Gouvernement a déjà commencé à travailler sur la modification des règles de prescription. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet ici même, à propos de trois textes différents. Nous avançons, et je peux vous assurer que nous attachons une attention particulière aux agressions sexuelles, à ces actes absolument intolérables commis contre des enfants, filles ou garçons, contre des femmes. Nous devons aussi faire reculer l'acceptabilité sociale de ces crimes.
(Applaudissements.)
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