Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur la suppression en cours des locaux mis à disposition des organisations syndicales à Châteauroux et à Chartres.
Elle rappelle que l'activité syndicale est reconnue d'intérêt général et que, pour être effectives, des mesures concrètes comme la mise à disposition de locaux et d'équipements participent à la protection des libertés fondamentales.
Elle lui demande quelles mesures il compte prendre pour reconnaître l'usage gratuit de locaux en faveur des organisations syndicales territoriales, en tenant compte des diversités des situations et des usages et pour inscrire au minimum, dans l'urgence, la pérennisation de l'existant sur un plan juridique. Elle pense que le renforcement du dialogue social annoncé suppose que les organisations syndicales disposent des moyens d'exercer leurs missions.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte des travailleurs en France pour leurs droits n'a jamais été un long fleuve tranquille. Sans leurs combats, les enfants seraient toujours au travail, les congés payés n'auraient pas été conquis, et d'autres droits seraient aujourd'hui bafoués, comme c'est le cas dans de trop nombreux pays où les syndicats sont interdits.
La ville de Châteauroux, dès 1896, proclamait : « il est du devoir des municipalités républicaines d'encourager les syndicats ouvriers légalement constitués et d'aider à leur organisation et leur bon fonctionnement, afin de permettre de défendre utilement la cause de la classe ouvrière. » La bourse du travail était ainsi créée dans cette ville en 1901.
C'est aussi au nom de la reconnaissance par la nation pour l'action résistante menée par les syndicats contre le nazisme que nombre de municipalités ont mis gracieusement des locaux à disposition des syndicats.
Rendons hommage dans cette enceinte à tous ces militants qui ont payé, trop souvent de leur sang, le prix fort pour la défense de l'intérêt général, intérêt général que nous avons également le soin de défendre en tant que représentants de la nation. Ces droits de l'homme par excellence sont remis en cause régulièrement. Les syndicats, qui sont là pour les défendre et les promouvoir, sont d'une utilité sociale irremplaçable.
Mais comment ces syndicalistes pourraient-ils défendre aujourd'hui cet intérêt général si les moyens en locaux leur sont retirés ?
C'est ce que vivent, depuis septembre 2003, les syndicats castelroussins qui se voient menacés, comme des locataires ordinaires, d'être chassés de la bourse du travail. Je me félicite de la déclaration publique de M. le préfet de l'Indre, assurant qu'il n'accordera pas au maire de Châteauroux le concours de la force publique et qui, implicitement, récuse l'expulsion. Mais la prudence est de mise, et ces paroles, même si elles sont importantes, ne peuvent suffire à rassurer totalement les syndicalistes qui souhaiteraient que tout cela soit écrit noir sur blanc.
Le droit syndical ne peut être limité à la théorie, il faut qu'il soit sous-tendu par des mesures concrètes. C'est au nom de cette liberté fondamentale, de la tradition de gratuité existant depuis la création de la bourse du travail à Châteauroux, qu'il nous paraît temps de pérenniser dans leurs locaux les organisations de cette ville.
Monsieur le ministre, je connais votre attachement pour cette région, pour ce département, pour leurs habitants, votre attachement pour les droits des salariés.
Il y a urgence. On a tenté de couper l'eau, l'électricité et le gaz aux syndicalistes. L'ascenseur a été neutralisé, ce qui interdit tout accès à des personnes handicapées. On veut les déloger.
Je vous demande, monsieur le ministre, de faire cesser ces pressions et actes inacceptables. Les syndicats ont droit à plus de respect pour l'exercice de leur mission. Il faut immédiatement un moratoire en attendant que des mesures pérennes soient prises. Ce serait un minimum pour que la sérénité reprenne ses droits.
Reconnaître l'usage gratuit des locaux en faveur des organisations syndicales, en tenant compte des diversités des situations et des usages et en inscrivant au minimum, dans l'urgence, la pérennisation de l'existant sur un plan juridique, doit être notre objectif. Je ne doute pas qu'il soit également le vôtre.
Vous avez misé, monsieur le ministre, sur le dialogue social. Mais comment pourrait s'exercer ce dialogue social si les syndicats sont considérés comme des sans domicile fixe en puissance ?
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que nous puissions pérenniser, dans la loi, le financement des locaux syndicaux. Comment comptez-vous progresser sur ce dossier afin que la liberté syndicale soit effective ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, je suis très heureux de vous retrouver au même poste que dimanche matin !
(Sourires.)
Madame la sénatrice, à la fois par mes fonctions de ministre du travail et en tant qu'ancien élu du département de l'Indre, j'attache, vous le savez, de l'importance à la question que vous soulevez.
Tout le monde s'accorde à dire que le dialogue social doit être renforcé, que la démocratie sociale est un élément fondamental de la démocratie d'une manière générale. Cela pose évidemment la question des moyens, car que serait une démocratie sociale reconnue dans son principe mais privée des moyens de s'exercer librement ?
Vous soulevez, madame la sénatrice, la question, évidemment douloureuse, regrettable, condamnable, de la remise en cause par certains maires - à Châteauroux, à Chartres, mais aussi dans d'autres régions de France - de l'hébergement des antennes syndicales locales, quel que soit le terme utilisé, dont l'usage est largement établi, souvent depuis très longtemps, presque depuis l'autorisation de la création de syndicats ouvriers dans certaines villes.
Ces maisons des syndicats contribuent évidemment, par leurs permanences juridiques et sociales, par leurs activités de formation et d'éducation, à des services d'intérêt général à visée sociale. L'usage de la mise à disposition de locaux par les collectivités locales est confirmé dans sa généralité et constant depuis plus de cent ans.
Je vous le dis très clairement, la remise en cause de cet usage par certains élus, encore peu nombreux mais qui pourraient demain en entraîner d'autres, n'est pas acceptable à mes yeux.
J'ai, au cas par cas, demandé aux préfets de faciliter le dialogue afin de résoudre les difficultés qui pouvaient exister et, si ce dialogue n'aboutissait pas, de prendre des décisions permettant aux syndicats de continuer à pouvoir être hébergés, même si de telles conditions ne sont pas normales.
J'ai également demandé à l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, de procéder à une évaluation de la situation du logement des antennes locales des syndicats en France, globalement, y compris sur le plan des risques de contentieux juridiques.
Ce rapport me sera remis dans quelques semaines. Il devrait nous apporter un éclairage, notamment sur le cadre législatif et réglementaire qui fournirait tant aux collectivités qu'aux organisations syndicales les sécurités juridiques et opérationnelles nécessaires, par exemple vial'établissement de conventions avec les syndicats. Les préfets pourraient être invités à intervenir en qualité de conciliateurs à défaut de concertation entre les différents niveaux de collectivités.
Si cela s'avérait nécessaire, et au vu de ce rapport, pour consolider juridiquement l'usage établi et empêcher sa remise en cause unilatérale par certains élus hostiles aux organisations syndicales, une initiative législative pourrait être envisagée ; je ne l'écarte absolument pas pour ma part.
Nous ne pouvons pas prôner la méthode du dialogue social, la démocratie sociale, et ne pas permettre aux organisations syndicales de mener à bien leur mission ; c'est une question de cohérence et c'est une question de justice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Elle va dans le sens attendu par les responsables syndicaux, et ce, comme vous l'avez souligné, non pas uniquement à Châteauroux, mais aussi dans d'autres villes où, malheureusement, ce problème se pose.
L'exercice du droit syndical est prévu dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, et le code du travail y fait également référence. L'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est aussi une base sur laquelle s'appuyer. Ce sont donc là des éléments importants.
Toutefois, on en est à un stade où, me semble-t-il - à cet égard, le rapport de l'IGAS nous aidera probablement à y voir plus clair -, il est probablement nécessaire de recourir à un véhicule législatif. Ce qu'on appelle peut-être improprement « l'acte III de la décentralisation » pourra nous fournir l'outil législatif permettant de sécuriser la situation, notamment sur le plan financier. En effet - et c'est aussi une des questions qui est posée -, si une collectivité refuse de financer un local syndical, aucune disposition légale ne lui impose aujourd'hui de le faire.
On sent donc bien que la situation est fragile. J'espère qu'une solution sera trouvée très rapidement pour l'ensemble des organisations syndicales regroupées au sein de bourses du travail, qui, comme vous le disiez tout à l'heure, constituent un outil important pour permettre aux syndicats de mener leur action, de former les salariés et d'être à l'écoute des besoins de ces derniers. Dans beaucoup de petites entreprises, particulièrement au sein des départements ruraux, il n'existe pas de syndicat, et la bourse du travail est un outil important.
Monsieur le ministre, nous suivrons en tout cas avec beaucoup d'attention ce dossier.
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