M. Michel Billout attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur les engagements de la France à convertir la dette tunisienne, détenue par la France, en projets de développement, afin de contribuer réellement à la reconstruction du pays.
Selon les chiffres de la Banque centrale tunisienne de son rapport annuel « Dette extérieure de la Tunisie en 2012 », publié en décembre 2012, la dette extérieure de la Tunisie s'élevait à 20,2 milliards d'euros en 2011 (44 % du produit intérieur brut ou PIB) pour 19,9 milliards d'euros en 2010 (40,1 % du PIB, soit une augmentation de 13 %). Selon les estimations du gouvernement tunisien, la dette extérieure de la Tunisie devrait s'élever à 47 % de son PIB en 2013 et à 49 % en 2014. La tendance à la hausse se confirme donc. Or, d'après la Banque mondiale, plus de 15 milliards d'euros ont été empruntés par la Tunisie depuis 1970, dont plus de la moitié sous la présidence de Ben Ali.
Compte tenu des intérêts versés, de 1970 à 2009, la Tunisie a déjà remboursé à ses créanciers 2,47 milliards d'euros de plus que le capital prêté. Le remboursement de cette dette représente, chaque année, six fois le budget de la santé, trois fois celui de l'éducation, et six fois celui du développement régional. La France, second créancier de la Tunisie après la Banque européenne d'investissement, a une responsabilité particulière sur ce dossier.
L'encours de la dette avec la France s'est d'ailleurs accru de 12,5 % entre 2010 et 2011.
La part de notre pays dans le total de l'encours s'établit à 13,4 % de la dette totale tunisienne.
Sur ce dossier, des annonces ont été faites, au plus haut niveau de l'État français : le 17 juillet 2012, à Paris, les présidents français et tunisien ont assuré, conjointement, travailler à convertir la dette tunisienne détenue par la France en projets de développement. Le 5 juillet 2013, lors de son déplacement en Tunisie, le président de la République a fait part de son intention de convertir une partie de la dette tunisienne en investissements. En novembre 2013, le Gouvernement a bien annoncé que des annulations de dettes par la France pour les pays pauvres très endettés allaient tripler entre 2013 et 2014 (de 607 millions à 1,79 milliard d'euros). Cependant, la Tunisie n'a pas été citée comme pays prioritaire.
Cette dette n'est pas celle du peuple tunisien. Le Parlement européen lui-même, dans sa résolution du 10 mai 2012, n'hésite pas à qualifier d'« odieuse » la dette publique extérieure des pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient sachant qu'elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l'enrichissement personnel des élites politiques et économiques et de l'achat d'armes, utilisées souvent contre leurs propres populations, demande, dès lors, un réexamen de la dette, et notamment de celle liée aux dépenses d'armement.
Au vu des annonces effectuées par les autorités françaises sur ce dossier, il lui demande donc quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour honorer les engagements pris auprès des autorités tunisiennes concernant la dette.
M. Michel Billout. Je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur les engagements de la France à convertir la dette tunisienne détenue par notre pays en projets de développement, afin de contribuer réellement à la reconstruction du pays.
Selon les chiffres de la Banque centrale tunisienne extraits de son rapport annuel intitulé Dette extérieure de la Tunisie en 2012, la dette extérieure de la Tunisie s'élevait à 20,2 milliards d'euros en 2011, soit 44 % de son produit intérieur brut, pour 19,9 milliards d'euros en 2010.
Selon les estimations du gouvernement tunisien, la dette extérieure de la Tunisie devrait continuer de s'accroître jusqu'à 45,3 % de son PIB en 2013, puis à 49,5 % de son PIB à la fin de cette année. Or, d'après la Banque mondiale, plus de 15 milliards d'euros ont été empruntés par la Tunisie depuis 1970, dont plus de la moitié sous la présidence de Ben Ali.
Compte tenu des intérêts versés de 1970 à 2009, la Tunisie a déjà remboursé à ses créanciers 2,47 milliards d'euros de plus que le capital prêté. Le remboursement de cette dette représente, chaque année, six fois le budget de la santé, trois fois celui de l'éducation et six fois celui du développement régional.
De fait, près de 80 % des nouveaux crédits contractés depuis la chute du régime Ben Ali ont été affectés au remboursement de cette dette. La situation ne devrait pas s'améliorer avec le prêt de 250 millions d'euros supplémentaires sur quinze ans qui devrait être octroyé demain par l'Union européenne, notamment pour soutenir l'effort d'assainissement budgétaire et la stabilisation extérieure du pays, dans le cadre du programme du FMI. Or, nous le savons tous, le Fonds monétaire international impose des mesures de restriction budgétaire, de recapitalisation de banques publiques en vue de les privatiser, de précarisation du marché du travail, de coupes des dépenses sociales, ainsi que l'arrêt progressif de toute subvention aux produits alimentaires et sources d'énergie, ce qui va encore aggraver l'impasse économique et sociale actuelle de ce pays. Ces dispositions vont ajouter à la crise économique un risque de grave crise sociale.
La France, deuxième créancier de la Tunisie après la Banque européenne d'investissement, a une responsabilité particulière dans ce dossier. L'encours de la dette avec la France s'est d'ailleurs accru de 12,5 % entre 2010 et 2011. La part de notre pays s'établit aujourd'hui à 13,4 % de la dette totale tunisienne. Or des annonces ont été faites au plus haut niveau de l'État français : le 17 juillet 2012, à Paris, les Présidents français et tunisien ont assuré, conjointement, travailler à convertir la dette tunisienne détenue par la France en projets de développement et, le 5 juillet 2013, lors de son déplacement en Tunisie, le Président de la République a fait part de son intention de convertir une partie de la dette tunisienne en investissements. Toutefois, en novembre 2013, si le Gouvernement a bien annoncé que le montant des annulations de dettes par la France en direction des pays pauvres très endettés allait tripler entre 2013 et 2014, la Tunisie n'a pas été citée comme pays prioritaire.
Le Parlement européen lui-même, dans sa résolution du 10 mai 2012, a jugé « odieuse » la dette publique extérieure des pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient, sachant qu'elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l'enrichissement personnel des élites politiques et économiques et de l'achat d'armes, utilisées souvent contre leurs propres populations, et demandé un réexamen de cette dette.
Au vu des annonces effectuées par les autorités françaises sur cette question, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour honorer les engagements pris auprès des autorités tunisiennes.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de mon collègue Michel Sapin.
Le soutien à la Tunisie en transition est l'une des priorités de la France. Lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 31 juillet 2013, le Gouvernement a présenté les priorités de la politique française de développement et de solidarité internationale et redéfini les priorités géographiques de cette politique, notamment en direction du sud et de l'est de la Méditerranée, dont la Tunisie fait partie.
Les engagements exceptionnels pris le par le Président de la République, François Hollande, lors de sa visite en Tunisie - vous l'avez rappelé - en juillet 2013 en témoignent. Le Président de la République avait en effet annoncé un soutien financier exceptionnel de 500 millions d'euros. Ces engagements ont été confirmés par le chef de l'État lors de sa visite en Tunisie début février 2014, à l'occasion de l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne.
Ce soutien se décline principalement sous deux formes : d'une part, un appui de l'Agence française de développement, l'AFD, à hauteur de 150 millions d'euros et, d'autre part, une aide-projet liée du Trésor français à hauteur d'environ 350 millions d'euros pour trois projets structurants. Ces prêts, à travers le programme Réserve pays émergents, et dons, en provenance du Fonds d'aide au secteur privé, le FASEP, devraient permettre de financer des projets réalisés par des entreprises françaises au bénéfice du développement économique de la Tunisie.
En complément de cet effort exceptionnel, le Président de la République a par ailleurs fait part - ce qui vous intéressera plus particulièrement, monsieur le sénateur - de la disponibilité de la France à mettre en œuvre une conversion de dette en investissements pour des projets de développement mutuellement bénéfiques sur un panier de créances de 60 millions d'euros.
Ce mécanisme présente plusieurs avantages pour la Tunisie : il permet à la fois d'alléger la dette du pays et d'encourager les investissements étrangers. La conversion de dette aura donc un impact significatif non seulement en matière d'allégement du service de la dette, mais aussi et surtout en matière de développement économique et social par l'appui aux investissements étrangers et à la création d'emplois.
La mise en œuvre de ce mécanisme nécessite au préalable la conclusion d'un accord bilatéral entre la France et la Tunisie qui assurera la fluidité des relations entre nos deux pays et permettra de définir conjointement les secteurs d'investissement susceptibles de bénéficier de ce mécanisme de conversion.
Les choses avancent. L'adoption de la Constitution le 24 janvier dernier, ainsi que la composition du nouveau gouvernement de transition dirigé par M. Mehdi Jomâa ont permis de reprendre les discussions avec la partie tunisienne sur les différentes annonces du Président de la République. Une mission conjointe du ministère, de la Direction générale du Trésor et de l'AFD s'est d'ailleurs rendue sur place en mars dernier pour assurer le suivi de ces engagements et reprendre les discussions techniques en vue de mettre en œuvre le mécanisme de conversion de dette. Les discussions se poursuivent.
Pour autant, s'agissant de la dette tunisienne en général et de celle souscrite auprès de la France en particulier, il convient de souligner qu'elle n'a pas servi à l'acquisition de matériels militaires - équipements qui font d'ailleurs défaut aujourd'hui à la Tunisie dans son effort de sécurisation de ses frontières et de lutte contre le terrorisme. D'autre part, les prêts français accordés vial'AFD ont toujours porté sur des projets directement utiles aux populations, qu'il s'agisse notamment d'amélioration des réseaux d'eau et d'assainissement ou de dispositifs de formation professionnelle.
Enfin, je tiens à rappeler que le soutien de la France à la Tunisie ne s'exerce pas uniquement sur le plan bilatéral et en termes d'aides financières ; il se déploie aussi sur les plans communautaire et multilatéral, dans le cadre des institutions financières internationales. Au sein de l'Union européenne en particulier, tant auprès de la Commission européenne que du Parlement, la France s'est faite avec succès la plus ardente avocate d'un relèvement de la nouvelle assistance macro-financière de 250 millions à 300 millions d'euros. Au sein du FMI, la France a par ailleurs plaidé pour plus de flexibilité dans la mise en œuvre de ses conditionnalités, ce qui a permis de débloquer, fin janvier 2014, la tranche de 500 millions de dollars américains.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre engagement sur ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Je vous remercie de la précision de votre réponse, madame la secrétaire d'État, qui me satisfait dans son esprit et ses orientations.
Cela étant, je m'interroge sur la force des moyens mis en œuvre : vous annoncez un nouvel appui de l'AFD sous la forme de nouveaux prêts, voire de dons, pour un montant de 350 millions d'euros, mais vous ne parlez de possibilités de reconversion de la dette que pour un montant de 60 millions d'euros. Vous avouerez que cela peut paraître encore un petit peu faible.
L'importance de la dette tunisienne est un enjeu majeur pour la reconstruction de ce pays. Si elle n'a pas été uniquement contractée auprès de la France, elle l'a en tout cas été pour de très mauvais objectifs. Il est de notre devoir d'aider le peuple tunisien dans ses efforts de redressement.
Le 28 mars dernier, des forces démocratiques et progressistes tunisiennes ont lancé un appel pour demander l'annulation de la dette et s'opposer au prochain prêt de l'Union européenne à la Tunisie. Ces associations politiques et citoyennes demandent que le budget de leur nation soit utilisé pour « la création d'emplois pour les centaines de milliers de chômeurs, mettre fin à la dégradation dangereuse du pouvoir d'achat de l'ensemble du peuple tunisien, l'amélioration de l'état de la santé publique, combattre toutes les formes de pollution de l'environnement, financer la réforme du secteur de l'enseignement public qui tombe en ruine, porter secours aux populations des quartiers populaires et des régions de l'intérieur, surtout en mettant en œuvre un plan national de lutte contre l'extrême pauvreté ».
Je pense que la France s'honorerait à poursuivre, voire à amplifier ses efforts en la matière.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.