Mme Mireille Schurch attire l'attention de M. le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique sur la question du soutien aux entreprises qui produisent en France.
Le Gouvernement demande un effort considérable à l'ensemble des Français pour la croissance industrielle et pour l'emploi. Parallèlement, il semble indispensable que les importantes commandes passées par l'État lui-même, les établissements publics ou les entreprises qui bénéficient d'un contrat de service public participent à cet effort. Aujourd'hui, quelques outils juridiques existent au niveau européen, concernant les procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux ou encore les marchés touchant à la sécurité nationale ou la défense nationale.
À travers trois cas concrets concernant le renouvellement des matériels roulants à la SNCF, le déploiement des compteurs électriques Linky, l'acquisition de drones tactiques par l'Armée de l'air, elle demande comment il envisage de conforter les entreprises qui créent de l'emploi en France.
Elle demande également si le Gouvernement français entend défendre l'idée d'un « small business act » européen, sur le modèle des États-Unis.
Mme Mireille Schurch. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est indispensable que l'État, à travers les importantes commandes publiques qu'il est amené à passer,œuvre au mieux pour la croissance industrielle et l'emploi dans notre pays. Deux exemples nous montrent que tel n'est pas toujours le cas.
Répondant à un appel d'offres lancé en 2009, Alstom a signé un contrat-cadre portant sur la production de 1 000 TER ou Régiolis.
Dans le contexte financier actuel difficile que connaissent les collectivités locales, notamment les régions, seules 200 commandes fermes ont été confirmées par ces dernières. Dans ces conditions, l'objectif de ce contrat-cadre ne pourra sans doute pas être atteint.
Toutefois, les caractéristiques de la plateforme développée par Alstom pour le Régiolis permettent de répondre également à d'autres types de trains. Aussi, puisque l'État souhaite remplacer les trente-quatre voitures Corail sur les axes Paris-Limoges-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand, il paraîtrait opportun de prélever ces rames dans le cadre du contrat passé avec Alstom. C'est d'ailleurs ce que déclarait au mois de février dernier M. Frédéric Cuvillier. Or il semble que l'État ait récemment chargé la SNCF de lancer un nouvel appel d'offres indépendant pour du matériel« grandes lignes ».
Je m'étonne que l'État ne profite pas du contrat-cadre existant, dont l'objectif est loin d'être atteint, comme je l'ai souligné tout à l'heure, pour équiper l'ensemble des lignes. Un nouvel appel d'offres retarderait les décisions et mettrait en difficulté l'entreprise Alstom et ses sous-traitants.
De telles informations contradictoires rendent illisible tout message relatif à la nécessité de conforter la production française. Par ailleurs, le grand Massif central, insuffisamment doté- je pense en particulier aux lignes desservant Montluçon, Vichy, Moulins et Clermont-Ferrand -, ne peut attendre davantage un matériel roulant performant indispensable à son attractivité.
Autre exemple emblématique, celui des drones tactiques prévus par la loi de programmation militaire.
Il semble que le choix initial se porte sur la version présentée par Thalès concernant un matériel construit essentiellement en Israël, sans qu'il ait été procédé à consultation d'autres entreprises ni mise en concurrence des matériels.
Pourtant, sur ce segment, la société Sagem du groupe Safran propose son drone Patroller, dont la fabrication, hors la cellule produite en Allemagne, est complètement française : le travail de recherche et développement est effectué en région parisienne, les composants sont fabriqués à Dijon, Poitiers et Fougères, et l'assemblage est effectué à Montluçon, dans l'Allier.
Là encore, les hésitations doivent être levées et le choix d'un processde fabrication maîtrisé sur notre territoire national me semble, sur le secteur hautement stratégique de la défense nationale, devoir être privilégié.
J'attire aussi votre attention sur le fait que, dans ces deux cas précis, il est possible de favoriser nos entreprises sans porter atteinte aux règles de la politique européenne de la concurrence.
Je vous demande donc, concernant ces deux marchés en cours, quelles mesures concrètes compte prendre le Gouvernement pour conforter les entreprises qui font le choix de produire en France et soutenir ainsi nos emplois industriels.
Sur cette question, il nous faut, madame la secrétaire d'État - et à travers vous, je m'adresse également à M. Montebourg -, affirmer la même détermination politique que celle qui a été montrée par la publication du décret étendant à l'énergie et aux transports le mécanisme de protection des entreprises stratégiques contre les appétits étrangers.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire,secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice, la mobilisation des outils de la commande publique est essentielle pour stimuler et promouvoir l'activité productive et manufacturière, et par voie de conséquence l'emploi. Les récents chiffres concernant cette production sont plutôt rassurants et illustrent la priorité qui lui est donnée par le Gouvernement et Arnaud Montebourg, qui m'a demandé de vous transmettre ses excuses et de répondre à sa place à votre question.
Le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique a eu l'occasion de s'exprimer à maintes reprises sur la question de la commande publique.
Cette priorité s'est exprimée dans les orientations données aux grands opérateurs de l'État qui utilisent, pour satisfaire leurs besoins, les procédures de passation des marchés publics - en particulier dans les secteurs de l'énergie et des transports - organisées par une directive européenne.
Ce texte du 31 mars 2004 permet, sans considération de seuil, le recours à une procédure négociée à l'issue d'une consultation ouverte, transparente et non discriminatoire, fondée sur des spécifications techniques propres aux besoins de l'acheteur.
La préparation au défi de l'appel d'offres relatif aux compteurs Linky par les acteurs de la filière a, par exemple, été perçue comme une préoccupation immédiate de l'opérateur et de l'État. Les industriels présents dans notre pays ou souhaitant participer à ce grand projet ont eu le temps de construire des programmes de création ou d'adaptation de leur outil industriel en France, ce que justifient les quantités en jeu, sans équivalent en Europe.
De manière générale, les grands appels d'offres permettent d'intégrer une dynamique d'innovation très favorable au tissu des PME gravitant autour des grands groupes industriels, implantées sur l'ensemble du territoire et qu'il convient de privilégier. Ces PME représentent 57 % en volume des achats publics, mais seulement 27 % en valeur. Le Gouvernement a conscience de la priorité qui doit être accordée au ciblage de ces PME pour faire en sorte qu'elles deviennent plus compétitives grâce à la commande publique.
S'agissant tout particulièrement des drones tactiques, la société Sagem, du groupe Safran, a reçu, à la fin du mois de décembre dernier, une commande de la direction générale de l'armement, la DGA, portant sur cinq dronesSperwersupplémentaires au profit de l'armée de terre, dans le cadre des systèmes de drones tactiques intérimaires, ou SDTI. Le matériel sera livré en 2015.
Ce contrat impliquera les établissements Sagem de Dijon et de Poitiers pour les capteurs optroniques, de Fougères pour les cartes électroniques et de Montluçon pour les systèmes de pilotage, de navigation et l'intégration des drones, ainsi que de nombreuses sociétés françaises, notamment des PME fournisseurs de sous-ensembles du drone.
À partir de l'expérience acquise avec ce projet et en s'appuyant sur les commandes de la DGA pour ce drone, la société Sagem développe, avec tous ses partenaires, le système de drones tactiques endurant Patrollerpour les marchés internationaux et pour répondre aux besoins futurs de l'armée de terre. Un cercle vertueux a donc été enclenché.
Pour ce qui concerne les matériels roulants, que vous avez mentionnés, en 2013, grâce à l'implication forte des régions, la SNCF a passé un ensemble important de commandes, notamment auprès de Bombardier - trains Regio 2N -et d'Alstom - rames Régiolis, adaptées aux longues distances -, sans oublier la commande, au mois de juillet de la même année, de quarante rames de TGV Alstom.
Ces commandes viennent nourrir l'activité des sites d'assemblage des deux constructeurs, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, mais aussi de toute une filière de fournisseurs, en particulier des PME. Elles sont la concrétisation d'efforts d'innovation associant les grands industriels et l'ensemble de la filière et des laboratoires.
Pour préparer une étape supplémentaire, l'initiative de la « nouvelle France industrielle »,lancée par le Président de la République, comporte un plan industriel dédié à la conception et à l'industrialisation, à l'horizon 2018, d'un TGV du futur, plus économe et plus confortable. Ce plan, piloté par Alstom, associe des PME qui seront chargées d'apporter des solutions innovantes sur certains sous-ensembles.
À l'échelon national, le Gouvernement a fixé comme objectif qu'au moins 2 % du volume des marchés de l'État, de ses opérateurs et des hôpitaux soient attribués aux PME innovantes d'ici à 2020. À cette fin, chaque ministère a reçu pour instruction d'établir une feuille de route des achats innovants permettant aux entreprises de cibler les domaines porteurs pour lesquels les acheteurs recherchent des solutions innovantes. Un réseau de onze « référents achats innovants » appuiera des actions de sourcing, d'identification, et diffusera une large information sur les possibilités offertes par le code des marchés publics sur les achats pré-commerciaux et la nouvelle procédure du partenariat d'innovation.
Des expérimentations sont par ailleurs en cours pour utiliser l'open data, pour favoriser l'accès de ces entreprises innovantes à ces marchés.
Ces mesures permettront de donner son plein effet à une nouvelle procédure, introduite lors de la révision des directives sur les marchés publics au mois de mars dernier : le partenariat d'innovation. Cette procédure est très fortement soutenue par la France à Bruxelles. Son intérêt principal réside dans la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de prévoir à la fois la recherche et la commercialisation du produit ou de la solution développés.
Il s'agit d'une procédure négociée par phases en vue du développement et de l'acquisition d'un produit, d'un service ou de travaux nouveaux et innovants, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une passation de marché distincte pour l'acquisition.
L'innovation est définie largement comme tout produit, service ou processus nouveau ou sensiblement amélioré et qui n'est pas encore disponible sur le marché. L'accès aux marchés publics est facilité pour les entreprises.
Au-delà du levier de l'innovation, le Gouvernement construit l'équivalent d'un Small Business Actà la française conforme aux règles européennes et à celles de l'Organisation mondiale du commerce.
L'allotissement, qui est la règle pour la passation des marchés en France, est désormais également inscrit dans les directives européennes, sur proposition du gouvernement français.
Au-delà de cette mesure très structurante, celui-ci a pris plusieurs dispositions visant à encourager l'accès des PME à la commande publique : d'une part, la création du médiateur des marchés publics, en 2012, a pour objet d'améliorer les relations au quotidien entre entreprises et acheteurs ; d'autre part, le service des achats de l'État s'assure que ces achats sont réalisés dans des conditions favorisant le plus large accès des PME à la commande publique ; il diffuse pour cela les bonnes pratiques et mène des actions auprès des acheteurs publics.
Madame la sénatrice, l'accès à la commande publique, en particulier pour les PME, est une priorité du Gouvernement. J'espère que cette réponse vous rassurera, si besoin était, sur l'engagement de l'État en faveur de nos entreprises et donc de l'emploi en France.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de cette réponse très détaillée.
S'agissant d'Alstom, vous savez que le contrat-cadre fait référence à 1 000 commandes ; or, à ce jour, il est question de seulement 200 ou 250 commandes. Bien sûr, vous avez parlé du TGV, mais les trains Intercités et les trains grandes lignes seront-ils compris dans ce contrat-cadre ? Le cas échéant, il ne serait pas nécessaire de lancer de nouveaux appels d'offres. Vous ne m'avez pas tout à fait répondu sur ce point.
S'agissant des drones tactiques, vous m'avez expliqué qu'une commande portant sur cinq exemplaires avait été passée. C'est intéressant. Je suis sollicitée par les salariés des entreprises concernées, qui souhaiteraient un peu plus de lisibilité de la part du Gouvernement. Vous m'avez apporté des réponses extrêmement précises, ce dont je vous remercie.
La jurisprudence du Conseil d'État, ainsi que celle de la Cour de justice de l'Union européenne, permet d'introduire dans les appels d'offres un critère fondé sur l'implantation géographique s'il est justifié par les conditions d'exécution du marché et son objet, ainsi qu'un critère lié au développement durable. C'est en m'appuyant sur ces éléments juridiques que j'avais déjà alerté Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, sur l'appel d'offres relatif aux compteurs électriques intelligents dits « Linky ».
J'ai été heureuse de vous entendre parler duSmall Business Acteuropéen. J'encourage le Gouvernement à aller dans ce sens. Nous pourrons ainsi fixer des critères contraignants - environnementaux, de circuits courts - pour favoriser l'emploi en France. C'est bien ce qui nous est demandé. Cela permettrait à nos entreprises de se positionner sur des marchés publics nationaux et européens.
Enfin, le Front de gauche, dans son programme européen, entend également favoriser la relocalisation des entreprises en instaurant une taxe kilométrique à l'échelon national et européen et ce qu'il appelle des « visas sociaux et environnementaux » aux frontières de l'Union européenne. Ce sont là peut-être des pistes de travail.
Madame la secrétaire d'État, je ferai part de votre réponse aux salariés des deux entreprises en cause qui sont inquiets et qui demandaient une clarification.
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