Mme Françoise Boog attire l'attention de Mme la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports sur l'insécurité juridique créée par les inégalités de traitement des sportifs existant dans l'application des différents régimes de responsabilité civile (RC) aux litiges à caractère sportif.
Du fait de ces inégalités, un sportif peut, de façon surprenante, aussi bien voir sa responsabilité civile engagée de plein droit ou bien totalement exonérée et ce, dans des situations très similaires.
En effet, il est difficile de concevoir, pour des faits comparables, qu'un sportif involontairement blessé puisse obtenir intégralement réparation auprès d'un autre sportif sans avoir à prouver la faute de ce dernier lors d'une compétition de squash (CA Colmar, 21 octobre 2011), alors qu'un sportif blessé dans le cadre d'une partie de tennis (Civ. 2ème, 20 novembre 1968, n° 66-12.644) ne pourra pas obtenir réparation.
De même, elle demande comment justifier l'existence d'une différence de traitement, au sein des sports de combat, selon que le sportif, blessant son adversaire d'un coup de pied, porte un chausson de protection ou non (CA Douai 29 novembre 2011 n°06-04322 / Civ. 2ème, 5 décembre 1990, n°89-17.698), ou encore comment expliquer que, pour des faits identiques, un sportif mineur ayant causé un dommage engagera de plein droit la responsabilité civile de ses parents, alors que, s'il avait été majeur, il aurait été totalement exonéré
(CA Grenoble, 24 avril 2012).
De telles distinctions, dont la subtilité échappe complètement au sens commun, complexifient la détermination du risque sportif. Cette situation, amplifiée par le phénomène de judiciarisation de la société, entraîne, inéluctablement, une hausse massive des primes d'assurances, en particulier dans les sports à matériel. À titre d'exemple, l'Enduro du Touquet a vu sa prime d'assurance augmenter brutalement de près de 70 %.
Par ailleurs, elle pourrait, à terme, considérablement diminuer l'attractivité de la France en tant que pays d'accueil pour les organisateurs de manifestations sportives internationales, en raison de leur difficulté à cerner les implications juridiques potentielles que peut comporter l'organisation de ce type d'évènements sur le territoire français.
Une solution existe pour remédier à cette situation, tout en favorisant une meilleure indemnisation des victimes.
La consécration légale d'un régime unique de responsabilité sportive, fondé sur la faute du sportif caractérisé par une violation des règles du jeu, constituerait une première étape compréhensible par les pratiquants. Ce régime aurait vocation à s'appliquer dans le cadre de la pratique d'activités sportives, dans des lieux dédiés à celles-ci par des personnes titulaires de licences sportives.
Dans le même temps, afin de répondre au légitime besoin d'indemnisation des victimes, il pourrait être envisagé une obligation d'assurance individuelle-accident (IA) présentant des garanties d'indemnisation minimum. Cette assurance IA (non obligatoire à ce jour) présenterait l'avantage de fonctionner quelles que soient les circonstances, pourvu que l'accident survienne à l'occasion d'activités sportives organisées.
Au regard de ces éléments, elle lui demande quelles sont les actions que le Gouvernement compte entreprendre afin, d'une part, de mettre un terme à l'insécurité juridique régnant dans le domaine de la RC sportive et, d'autre part, de faire perdurer les disciplines à matériel telles que le cyclisme, le motocyclisme, le sport automobile qui sont, comme d'autres, menacées par ces évolutions du droit prétorien. Elle l'interroge enfin sur la date à laquelle interviendra la remise du rapport, sur l'application de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles, prévu en vertu de l'article 2 de celle-ci, pour le 1er juillet 2013.
Mme Catherine Procaccia. Ma collègue Mme Françoise Boog souhaitait attirer l'attention de Mme la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, sur l'insécurité juridique créée par les inégalités de traitement des sportifs en matière de responsabilité civile.
Un sportif peut tout à la fois voir sa responsabilité civile engagée ou bien totalement exonérée, et ce dans des conditions similaires.
Les exemples sont très nombreux dans lesquels, pour des faits comparables, un sportif peut obtenir intégralement réparation sans avoir à prouver une faute ; dans d'autres cas, en revanche, cela n'est pas possible.
Il existe ainsi une différence de traitement, pour les sports de combat, selon que le sportif porte un chausson de protection ou non. Dans le premier cas, sa responsabilité sera engagée ; dans le second, elle ne le sera pas. Et je ne parle pas de la différence prise en compte selon que le sportif mis en cause est mineur ou majeur.
Ces différences de traitement et les incertitudes juridiques complexifient la détermination du risque sportif et entraînent de facto une hausse des primes d'assurances. L'exemple célèbre est celui de l'Enduropale du Touquet, dont la prime d'assurance a augmenté de près de 70 %.
Il ne faut pas négliger non plus l'impact négatif sur les manifestations sportives internationales organisées en France, les organisateurs souhaitant, à juste titre, pouvoir mesurer et cerner les implications juridiques de ce problème.
Est-il envisagé de mettre en place un régime unifié et simplifié de responsabilité civile fondé sur la faute du sportif licencié, laquelle serait survenue dans des lieux dédiés à sa pratique ?
S'agissant de l'indemnisation des victimes, le Gouvernement envisage-t-il de rendre obligatoire une assurance individuelle accident assortie de garanties minimales, quelles que soient les circonstances, pourvu que l'accident soit survenu à l'occasion d'activités sportives organisées ? Quelles actions le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour mettre un terme à l'insécurité juridique régnant dans le domaine de la responsabilité civile sportive ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel,ministre du logement et de l'égalité des territoires. Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Thierry Braillard, en déplacement, qui m'a demandé de vous transmettre sa réponse.
Vous le savez, si toute activité humaine entraîne des risques, le sport implique des risques accrus et inhérents à sa pratique. Dans le domaine de la responsabilité, cette singularité sportive était traditionnellement prise en compte par la jurisprudencevia« la théorie de l'acceptation des risques ». Selon celle-ci, les pratiquants ont connaissance des risques normaux et prévisibles qu'ils encourent en pratiquant leur sport et les ont acceptés. Dès lors, ils ne peuvent engager la responsabilité d'un tiers que si ce dernier a commis une faute manifeste consistant en une violation caractérisée d'une règle du sport concerné.
Dans un contexte général où la protection des victimes d'accidents corporels est de plus en plus systématiquement recherchée, la Cour de cassation a opéré un revirement en 2010, réduisant le champ d'application de la théorie des risques acceptés viala reconnaissance de l'existence d'une responsabilité sans faute du fait des choses. Nous le savons, cela a entraîné une forte augmentation des primes d'assurance de certaines fédérations et a complexifié le régime assurantiel des fédérations et compétitions sportives.
C'est dans ce cadre que le rapport au Parlement relatif aux enjeux du régime de responsabilité civile en matière sportive, prévu par la loi du 12 mars 2012, a pu être élaboré en concertation avec le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF.
Le rapport décline ces enjeux en deux volets : d'une part, veiller à ce que les victimes d'accidents à l'occasion de leur pratique sportive bénéficient d'une juste indemnisation pour répondre aux conséquences, parfois dramatiques, d'un tel accident dans leur vie professionnelle et quotidienne ; d'autre part, sécuriser juridiquement et économiquement la situation des fédérations et des organisateurs sportifs. En effet, faciliter l'engagement de la responsabilité civile d'un sportif ou de son club a une incidence très forte sur le montant des assurances qui doivent être souscrites, voire empêche de trouver un assureur.
Avant finalisation du rapport, des pistes d'évolutions ont récemment été présentées au CNOSF et à des présidents de fédération, et ont reçu leur entier soutien.
De même que l'enjeu est double, ces pistes avancent sur deux axes indissociables : en premier lieu, afin de sécuriser la situation des fédérations sportives, il pourrait être envisagé de consacrer dans la loi la théorie de l'acceptation des risques et d'unifier à partir de cette dernière l'ensemble des régimes de responsabilité civile délictuelle invocable en matière sportive ; en second lieu, et pour que tous les pratiquants soient couverts convenablement en cas d'accident, il pourrait être cohérent de prévoir que tout licencié à une fédération puisse justifier d'une assurance individuelle accident.
Ce rapport doit encore être présenté à l'ensemble des services de l'État, mais devrait pouvoir être déposé au Parlement très prochainement. Ses préconisations équilibrées faciliteraient concrètement la poursuite du développement de la pratique sportive dans un cadre sécurisé, pour les organisateurs comme pour les pratiquants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, même si, comme vous, je ne suis qu'un porte-parole.
Mme Boog apprendra avec plaisir que le rapport dont la publication était prévue l'année dernière va enfin sortir. Mais les parlementaires que nous sommes savent bien que la publication d'un rapport n'est pas forcément suivie d'une loi. J'espère donc que les éléments que vous nous avez communiqués prendront la forme de dispositions législatives.
Vous avez dit que les propositions relatives à l'acceptabilité du risque, notion qui me paraît essentielle, devaient être présentées aux présidents des fédérations sportives. J'ajouterai qu'il ne faut pas oublier les assureurs, car la théorie du risque, ainsi que la quantification et la tarification de celui-ci, doit faire l'objet d'une concertation avec les professionnels. Comme en tout domaine, il faut associer tous les acteurs concernés.
J'espère donc, madame le ministre, que vous transmettrez ce message à Mme la ministre chargée des sports. Ce n'est pas la peine que les professionnels et vos services élaborent des principes s'ils n'ont pas réfléchi à leur application pratique en matière assurantielle.
J'espère également que ce rapport et les dispositions que vous prendrez permettront de faire perdurer des compétitions sportives dans les domaines du cyclisme, du motocyclisme ou des sports automobiles, lesquels sont tarifés au niveau le plus élevé, compte tenu des incertitudes et des risques encourus
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