Mme Catherine Procaccia attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'urgence de résorber le phénomène persistant des usurpations de plaques d'immatriculation, familièrement connu sous le terme « doublette ».
En 2012, les forces de l'ordre recensaient 17 479 délits d'usurpation de plaques d'immatriculation contre 5 079 en 2010, c'est-à-dire un nombre très éloigné des 400 000 cas de propriétaires d'un véhicule victimes d'une « doublette » selon les estimations d'une étude des sociétés d'assurance.
Alors que le ministère de l'intérieur a enregistré 11 060 opérations de ré-immatriculation suite à usurpations en 2012, elle aimerait connaître le nombre de ces ré-immatriculations en 2013 et 2014.
Ces chiffres prouvent que cette procédure gratuite est de plus en plus utilisée par les victimes sans que le phénomène n'en soit pour autant réglé. Bien au contraire, on ne peut que constater son ampleur croissante.
Si, depuis son intervention au Sénat sur ce sujet lors de la séance de questions orales du 9 juillet 2013 (Journal officiel « débats » du Sénat du 10 juillet 2013, p. 6976), une réflexion a été menée entre les directions ministérielles en charge du dossier, le Défenseur des droits et des associations de défense des conducteurs, les conclusions de ces travaux n'ont malheureusement pas été suivies d'effets et n'ont pas eu de traduction législative.
La meilleure preuve en est la facilité déconcertante avec laquelle un magazine automobile a fait reproduire le numéro d'immatriculation du véhicule officiel du président de la République auprès de plusieurs revendeurs de plaques.
Enfin, si elle se réjouit du recrutement par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions depuis mai 2014 de quinze fonctionnaires à temps plein chargés du contrôle des « doublettes » pour éviter l'envoi de procès-verbaux injustifiés, elle en déplore le coût pour l'État puisque rien n'est fait pour lutter en amont contre ces usurpations.
C'est la raison pour laquelle elle souhaiterait qu'il lui indique s'il compte enfin combler le vide juridique en suivant les recommandations du Défenseur des droits pour réglementer la profession de fabricant de plaques et en sécurisant leur fabrication puisqu'une technique peu coûteuse existe, mais également s'il envisage d'encadrer la vente libre de ces appareils de fabrication à des particuliers notamment sur internet.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d'État, j'appelle une nouvelle fois l'attention du Gouvernement sur l'urgence qu'il y a à s'occuper des usurpations de plaques d'immatriculation, et particulièrement de ce que l'on appelle les « doublettes ».
En 2010, 5 079 usurpations de plaques étaient recensées. Ce chiffre a été multiplié par plus de trois en 2012, avec 17 479 délits !
Sur ces quelque 17 000 infractions, 11 060 demandes de réimmatriculation ont été effectuées par les automobilistes, alors que la procédure n'était alors pas vraiment connue. Celle-ci constitue la seule aide réelle pour les victimes qui ont réussi à prouver leur innocence, mais elle ne règle pas un phénomène que les sociétés d'assurance évaluent à 400 000 cas par an, monsieur le secrétaire d'État ! Les réimmatriculations à la suite d'une doublette reflètent l'ampleur croissante du phénomène qu'il nous faut constater.
J'en veux pour preuve la facilité déconcertante avec laquelle un magazine automobile a pu faire reproduire le numéro d'immatriculation des véhicules officiels du Président de la République ou de Bernard Cazeneuve par plusieurs revendeurs de plaques.
Plus grave, l'enquête sur les frères Kouachi a récemment révélé que les tueurs avaient utilisé une« doublette parfaite » du véhicule d'un habitant de Lyon.
Si, depuis ma dernière intervention sur ce sujet en mai 2013, une réflexion a été menée entre les directions ministérielles chargées de ce dossier, le Défenseur des droits et des associations de défense des conducteurs, les conclusions auxquelles sont parvenus ces travaux n'ont malheureusement pas été suivies d'effets et n'ont pas trouvé, en particulier, de traduction législative.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'État, connaître les chiffres officiels de ces infractions en 2013 et, si possible, en 2014. Leur croissance continue a conduit l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, l'ANTAI, à recruter, il y a huit mois, quinze fonctionnaires à temps plein uniquement pour éviter l'envoi de PV injustifiés quand les« doublettes » se révèlent trop grossières.
Ce surcoût, que vous ne pouvez ignorer, monsieur le secrétaire d'État, ne peut continuer de croître sans que l'État agisse.
Comptez-vous combler le vide juridique actuel et suivre le Défenseur des droits quand il recommande de réglementer la profession de fabricant de plaques ?
Allez-vous sécuriser la fabrication des plaques en développant, par exemple, des techniques peu coûteuses comme l'intégration d'un numéro pour un contrôle optique ? Enfin, le ministère va-t-il se décider à encadrer la vente libre d'appareils que des particuliers peuvent trouver aussi facilement sur internet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert,secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Bernard Cazeneuve de son absence ; vous l'interrogez sur une question bien connue, sur laquelle je voudrais vous apporter les éléments de réponse qu'il m'a chargé de vous donner.
Tout d'abord, je souhaite rappeler le droit en vigueur.
Circuler ou mettre en circulation un véhicule muni d'une plaque avec un numéro d'immatriculation attribué à un autre véhicule dans des circonstances qui ont ou auraient pu entraîner des poursuites pénales contre un tiers est puni de sept ans de prison et de 30 000 euros d'amende.
S'ajoute à cela un retrait de six points sur le permis de conduire et, à titre de peine complémentaire, la possibilité de le suspendre ou de l'annuler pour une durée de trois ans maximum.
L'auteur des faits risque également la confiscation de son véhicule.
Ces dispositions s'appliquent aux « doublettes parfaites », qui consistent à usurper une plaque d'un véhicule en tous points identique, comme aux « doublettes imparfaites », pour lesquelles l'usurpation du numéro d'immatriculation porte sur un modèle de véhicule différent.
Les usurpations de numéros d'immatriculation de véhicules constituent un phénomène qui a fait l'objet de différentes mesures visant notamment à mieux accompagner les victimes dans leurs démarches.
L'ensemble de la procédure ainsi que les coordonnées des services devant être contactés par les victimes de « doublettes » sont présentés sur le site service public.fr.
Une aide à la rédaction du formulaire de contestation est par ailleurs disponible depuis plusieurs mois sur le site de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, et un dispositif de pré-plainte en ligne permet à présent de fournir de premiers éléments aux services de police ou aux unités de gendarmerie territorialement compétents.
Le contrôle des « doublettes imparfaites » réalisé par l'ANTAI depuis novembre 2013 est totalement automatisé et n'a pas nécessité le recrutement de nouveaux agents. Il a permis de diminuer fortement le nombre d'avis de contravention envoyés à des titulaires de certificat d'immatriculation n'ayant commis aucune infraction.
Par ailleurs, les directions générales de la police et de la gendarmerie ont transmis des directives à leurs services et unités afin que les plaintes liées aux « doublettes parfaites », non détectables par l'ANTAI, soient systématiquement enregistrées et renseignées au sein du fichier des véhicules et des objets signalés.
En 2013, 22 164 plaintes ont été déposées auprès des forces de l'ordre, et l'on a compté 17 840 réimmatriculations de véhicules.
Si l'on ne peut se satisfaire de ces chiffres, je note néanmoins qu'en 2014, sur les dix premiers mois de l'année, le nombre de faits signalés pour usurpation de numéro d'immatriculation connaît, après plusieurs années d'augmentation, un premier recul, de près de 10 %.
Mais l'ambition du Gouvernement ne s'arrête pas à cela. Ainsi, une sécurisation accrue pourrait passer par un contrôle des conditions de délivrance des plaques ou par l'apposition de marques sur les plaques ou les véhicules.
Les contraintes de l'ensemble des acteurs doivent toutefois être pleinement prises en compte, notamment en termes de coût et de charge administrative, d'autant que les solutions mises en œuvre à l'étranger, notamment le marquage des plaques par les services de l'État, ne peuvent pas nécessairement être transposées telles quelles en France dans la mesure où, dans leur majorité, les demandes d'immatriculation sont aujourd'hui traitées en dehors des préfectures.
Ces différentes pistes devront faire l'objet d'une concertation avec les professionnels du secteur.
Comme vous l'indiquiez lors d'une précédente question orale, l'une des motivations des auteurs de ces actes réside dans la volonté de se soustraire aux contrôles automatisés. Sur ce sujet particulier, si, depuis 2009, le contrôle par l'arrière du véhicule a permis d'étendre ce dispositif aux deux-roues motorisés, il a également pu constituer un frein à l'identification des auteurs de doublettes.
D'ores et déjà, dans le cadre de la modernisation du parc des radars, deux modèles de radar « double face » sont en cours d'expérimentation.
Installés dans une ou deux cabines, ces équipements détectent et photographient de face et de l'arrière les véhicules circulant au-dessus de la vitesse limite autorisée. Un premier modèle est testé depuis le 12 décembre dans le Rhône, sur la départementale 301. Trois autres appareils seront déployés au début de l'année 2015. En fournissant une photo du conducteur et des plaques montées sur le véhicule, cette technologie facilitera les investigations des forces de l'ordre et participera à la lutte contre les usurpations de numéro d'immatriculation, et plus particulièrement contre les« doublettes parfaites ».
Vous l'aurez compris, monsieur le président, les doublettes évoquées ici n'ont rien à voir avec la pétanque !
(Sourires.)
M. le président. Cela ne m'avait pas échappé, monsieur le secrétaire d'État !
(Nouveaux sourires.)
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d'État, votre réponse s'inscrit parfaitement dans le sens de ma question : il a donc bien fallu affecter un certain nombre de fonctionnaires - quinze ou trente-cinq, peu importe - au traitement de ces cas d'usurpation, qui ne cessent d'augmenter, puisque, alors qu'on en recensait 17 000 en 2012, nous en étions à plus de 22 000 en 2013 !
Je note que la réponse que vous m'avez lue n'évoque pas le contrôle de ces machines que l'on trouve désormais sur internet.
Surtout, vous avez affirmé d'emblée que la question était bien connue. Ce n'est d'ailleurs pas moi qui l'ai posée pour la première fois en 2013 ; c'est le Défenseur des droits qui a soulevé le problème. Nous sommes aujourd'hui en 2015, et rien n'a encore été fait, alors que le phénomène concerne non plus seulement ceux qui veulent échapper aux radars en utilisant de fausses plaques, mais aussi le grand banditisme et le terrorisme, comme nous en avons eu la preuve tout récemment.
Les frères Kouachi, qui ont d'ailleurs laissé leur carte d'identité dans le véhicule qu'ils ont utilisé, avaient autre chose en tête que la volonté d'échapper à une amende ! Le problème est donc très grave.
Des systèmes ont été mis en place par d'autres pays. Lorsque je m'interroge sur leur adoption par la France, on me rappelle à chaque fois les contraintes des différents acteurs. Toutefois, les règles de droit que vous avez citées, monsieur le secrétaire d'État, devraient déboucher sur un encadrement plus strict de la fabrication des plaques d'immatriculation.
Je l'ai dit, on peut se faire faire une plaque d'immatriculation sans aucune difficulté. Selon moi, il n'est pas normal que ceux qui sont théoriquement habilités à fabriquer des plaques d'immatriculation n'effectuent aucune vérification, ne réclamant ni permis de conduire ni carte d'immatriculation. Les dispositifs adoptés ailleurs et, en particulier, la mise en place d'une puce ou d'un système de lecture optique, pourraient permettre aux forces de l'ordre de repérer plus facilement les infractions, sans attendre qu'une amende soit envoyée au domicile d'une personne n'ayant jamais conduit dans le département dans lequel l'infraction a été commise.
Il faut donc faire de la prévention. Or, pour le moment, on se contente de constater, en essayant d'alléger un peu -heureusement ! - le sort des automobilistes dont la plaque d'immatriculation a été usurpée, en mettant à disposition sur internet un certain nombre d'informations. Ce que je réclame, comme d'autres, c'est que le Gouvernement prenne en charge en amont ces usurpations, et d'une façon plus efficace !
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