Mme Jacky Deromedi attire l'attention de Mme la ministre des outre-mer sur les conditions d'inscription sur la liste électorale spéciale à l'élection du Congrès et des assemblées provinciales en Nouvelle-Calédonie prévue aux articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999. Dans sa version originale, l'accord de Nouméa prévoyait une durée d'installation de dix ans en Nouvelle-Calédonie pour être inscrit sur la liste. Telle était, du moins, l'interprétation faite à l'époque par le Conseil constitutionnel. À la demande des partis indépendantistes qui souhaitaient le gel du corps électoral et non pas un corps électoral glissant, la Constitution a été modifiée. Depuis cette modification, il était admis que l'installation en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 1998 permettait l'inscription sur la liste spéciale. Le Premier ministre de l'époque a rappelé cette interprétation au début de l'année 2014. Or, la Cour de Cassation, par une interprétation littérale et non téléologique de la loi organique - comme le font remarquer les partis non indépendantistes – a jugé que la présence sur le territoire depuis au moins 1998 n'était pas suffisante et qu'il fallait avoir été formellement inscrit sur la liste spéciale à cette date pour continuer à y figurer. Cette interprétation remet donc en cause cette liberté d'inscription. Elle met en cause les droits électoraux fondamentaux de toute personne installée définitivement sur le territoire calédonien avant 1998 mais après 1988. Par ailleurs, si la Cour européenne des droits de l'homme avait reconnu que la limitation du droit de vote pouvait être acceptée en raison des circonstances et de son caractère temporaire, elle ne s'était prononcée que sur le « corps électoral glissant » et non sur le « corps électoral gelé ». La nouvelle jurisprudence restreint encore davantage ce corps électoral au point qu'une partie des signataires des accords de Nouméa la juge inconciliable avec les principes démocratiques. Il lui demande, en conséquence, de bien vouloir lui faire connaître si le Gouvernement entend confirmer les engagements pris en la matière par le précédent Premier ministre et s'il envisage de proposer une modification de la loi organique afin que les engagements pris soient respectés.
Ni l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 ni la loi organique du 19 mars 1999 qui met en œuvre les dispositions à valeur constitutionnelle de cet accord, n'imposent ou ne prévoient des conditions strictement identiques pour tous les électeurs calédoniens ayant vocation à faire partie du corps électoral restreint défini par le point 2.2.1 de l'accord. Ce corps électoral restreint, qui correspond à différentes situations personnelles bien précises, est réservé « aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de dix ans à la date de l'élection » ainsi qu'aux descendants de ces électeurs. La consultation du 8 novembre 1998 s'étant substituée au scrutin d'autodétermination prévu en 1998 par la loi référendaire du 9 novembre 1988, l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 reprend les différentes catégories d'électeurs prévues par l'accord de Nouméa : « Art. 188- I - Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l'une des conditions suivantes : a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ; b) Etre inscrit sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ». Le c) du même article 188 règle, par ailleurs, la situation des électeurs accédant à la majorité après le 31 octobre 1998, en des termes strictement identiques à ceux de l'accord de Nouméa. La loi organique de 1999 comme l'accord de Nouméa lui-même ne prévoit donc pas une situation unique appelant un traitement uniforme des électeurs mais bien deux situations différentes concernant les électeurs majeurs en 1998 qui répondent à des critères différents. Les électeurs répondant aux critères du a) correspondent aux personnes installées en Nouvelle-Calédonie avant 1988. Soit ces personnes ont été inscrites sur la liste des électeurs admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 et cette inscription suffit, soit elles ne l'étaient effectivement pas mais remplissaient néanmoins les conditions pour l'être. Ces conditions, fixées par les articles 3 et 8 du décret du 20 août 1998, sont celles de l'âge et de la durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie entre le 6 novembre 1988 et le 8 novembre 1998. Outre la capacité électorale prévue par le code électoral, les électeurs inscrits au titre du a) de l'article 188-I de la loi organique doivent donc justifier d'une durée de domicile de 10 ans entre 1988 et 1998. Pour computer cette durée, l'accord de Nouméa et la loi organique du 19 mars 1999 prévoient des situations qui, bien qu'ayant conduit à séjourner hors de la Nouvelle-Calédonie, autorisent à regarder ces séjours comme non interruptifs du délai. Les électeurs répondant aux critères du b) sont les personnes installées en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998. Ces personnes n'acquièrent la qualité de citoyens calédoniens qu'après une durée de dix ans de domicile, soit le 8 novembre 2008 au plus tard. Cette durée de dix ans de domicile n'est toutefois ni suffisante ni identique à la durée de dix ans prévue au a). Cette condition de durée de domicile n'est pas suffisante : le b) de l'article L.118-I impose en effet, une condition supplémentaire, celle d'être « inscrit sur le tableau annexe ». La révision constitutionnelle du 23 février 2007 a complété l'article 77 de la Constitution afin de préciser que ce « tableau annexe » était celui dressé à l'occasion de la consultation du 8 novembre 1998. Ce « tableau annexe », soit la liste des personnes non admises à participer à un scrutin donné, a été initialement prévu par le dispositif de la loi référendaire du 9 novembre 1988 précitée et son décret d'application du 24 décembre 1990. L'article 1er de ce décret de 1990 confie à une commission administrative spéciale le soin d'établir la liste électorale spéciale prévue par la loi référendaire et de déterminer, en outre, pour chaque bureau de vote, sur un tableau annexe, les électeurs inscrits sur la liste électorale mais qui ne remplissent pas la condition de domicile requise. Ce tableau annexe est également expressément mentionné par l'article 7 du décret du 20 août 1998 précité. La liste électorale dont il est question ne peut pas être, bien évidemment, la liste électorale spéciale aux élections provinciales puisque le tableau annexe recense précisément ceux des électeurs qui ne peuvent pas participer aux scrutins. Dans sa décision du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel rappelle que le tableau annexe comprend « les électeurs inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie pour l'élection du Président de la République, des députés à l'Assemblée nationale, des conseils municipaux et du Parlement européen et pour les référendums » (cf. considérant 32 de la décision n° 99-410 DC). Il n'est donc ni contesté ni contestable que toute inscription sur le tableau annexe suppose une inscription préalable sur la liste électorale générale. Tout électeur inscrit sur le tableau annexe que ce soit en 1997 ou en 1999 était nécessairement inscrit sur la liste électorale générale de la Nouvelle-Calédonie de 1997 ou de 1999. Le premier avait vocation à rejoindre la liste électorale spéciale en 2007 alors que le second n'y aura jamais accès, ne justifiant pas de dix ans de domicile le 8 novembre 2008 au plus tard. En outre, si la présence au tableau annexe antérieur à 1998 exigeait également l'inscription sur la liste électorale générale antérieure à 1998, il est plus que probable que l'électeur soit toujours inscrit sur la liste électorale générale de 1998, sauf éventuelle radiation motivée. L'article 77 de la Constitution définissant l'année 1998 comme date du tableau annexe à prendre en considération, cette même année concerne également la liste électorale générale de référence. Tel est le raisonnement de la Cour de cassation qui, dans plusieurs décisions confirmatives du 14 septembre 2014, fait une lecture de l'article 188 de la loi organique de 1999 parfaitement conforme à l'Accord de Nouméa, dans sa lettre comme dans son esprit. Cette condition de durée de domicile est différente : cette condition de dix années de domicile, sauf périodes interruptives légales, n'est pas celle prévue au a), entre 1988 et 1998, puisque le tableau annexe concerne, au premier chef, les électeurs ne justifiant pas de dix ans de domicile le 8 novembre 1998. Elle ne s'apprécie plus à la date de chaque élection provinciale mais au plus tard le 8 novembre 2008 puisque l'inscription sur le tableau annexe concerne l'année 1998, comme le précise l'article 77 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007. La décision PY de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du 11 janvier 2005, ne laisse pas supposer que la question de l'inscription préalable sur une liste électorale générale eût été de nature à infléchir la position unanime des juges européens. La question fondamentale posée à la Cour résidait dans la restriction même du corps électoral, fondée essentiellement sur une durée minimum de domicile exigée des électeurs. Cette restriction du corps électoral a été validée, dans son principe, dans le cas très particulier de la Nouvelle-Calédonie. Le gel du corps électoral restreint est désormais fixé par la Constitution et aucun débat sur l'une des conséquences de cette cristallisation constitutionnelle, comme peut l'être l'inscription sur la liste électorale générale de 1998, année fondamentale du dispositif prévu par l'Accord de Nouméa, n'est aujourd'hui envisageable dans le cadre actuel.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.