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Jacqueline Gourault
Question d'actualité au gouvernement N° 650 au Premier Ministre


Projet de révision constitutionnelle

Question soumise le 18 novembre 2015

Mme Jacqueline Gourault. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Vendredi soir, nous avons vécu une nouvelle tragédie. La douleur que nous ressentons tous est toujours intense.

Dans l'esprit d'unité nationale qui nous anime, nous ferons tout pour empêcher ces barbares de perpétrer de nouveaux crimes, et nous nous réjouissons de la coopération européenne et de la coordination internationale qui semblent enfin se mettre en place.

Nous souscrivons aux mesures annoncées hier par le Président de la République pour lutter contre ces fanatiques.

Nous voudrions cependant revenir sur un point : la révision de la Constitution.

Selon le Président de la République, les articles 16 et 36, qui régissent les situations exceptionnelles, ne seraient plus adaptés aux circonstances.

Nous en déduisons que le Président de la République considère que la Constitution, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas soit d'adopter les mesures législatives qu'il appelle de ses vœux, soit de conférer au Gouvernement des pouvoirs durablement accrus. Nous aimerions avoir plus de détails, monsieur le Premier ministre.

Nous voudrions comprendre en quoi une réforme de notre Constitution est nécessaire. Des clarifications nous éviteront un débat réducteur : pour ou contre la révision constitutionnelle.

Par ailleurs, cette procédure lourde et longue ne doit pas nous faire oublier des sujets qui ont été moins abordés hier. Quelle relation entre la République et l'islam ? Quelles actions de prévention contre l'endoctrinement des jeunes ? Quelle politique d'intégration ? Quelle place pour les femmes ? Quelle place pour l'éducation et à culture dans ces perspectives ?

M. le président. Il faut conclure !

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le Premier ministre, nous savons comme vous que les Français attendent des mesures concrètes. Expliquez-nous comment cette réforme constitutionnelle serait à même de leur apporter les réponses.
(Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Réponse émise le 18 novembre 2015

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd'hui dans cet hémicycle après la réunion du Parlement en Congrès, où nous avons entendu le Président de la République s'exprimer dans un moment évidemment rare, mais indispensable, et à la hauteur de l'attaque que nous avons subie.

J'espère de tout cœur, sincèrement, qu'au-delà de nos différences, légitimes dans une vie démocratique, et même nécessaires, puisque c'est la démocratie qu'on a voulu atteindre, nous resterons tous - mais je ne doute pas que ce sera votre cas - au niveau de cette exigence.

Madame la sénatrice, vous avez raison de dire - M. le Président de la République l'a d'ailleurs souligné hier - que la réponse est de plusieurs ordres.

Il y a les plans diplomatique et militaire, sur lesquels nous reviendrons sans doute à l'occasion de la question posée par M. Jean-Pierre Raffarin.

Il importe aussi de prévoir des moyens supplémentaires. Nous avons fait déjà beaucoup, mais il faut continuer nos efforts en matière de sécurité, de création de postes de policiers, de gendarmes, et de renforcement des moyens de la justice, de l'administration pénitentiaire, des douanes. Il faut aussi des moyens de protection supplémentaires pour ces forces de l'ordre, en termes d'équipements, de véhicules, d'armes, d'immobilier. Dans le cadre de l'examen du projet de budget pour 2016, le Gouvernement proposera un amendement visant à permettre que ces engagements puissent être traduits immédiatement en loi de finances initiale.

Il y a aussi, bien entendu, la nécessité de se doter d'un certain nombre d'outils juridiques. Demain, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sera présenté en conseil des ministres. L'Assemblée nationale en sera saisie jeudi, et le Sénat vendredi. Les présidents Jean-Jacques Urvoas et Philippe Bas ayant beaucoup travaillé - je ne doute pas de leur exigence -, nous œuvrerons ensemble pour que ce texte soit adopté le plus rapidement possible.

L'honneur de la démocratie, c'est de se battre avec la force du droit. Il y a le court terme : c'est l'état d'urgence et sa prolongation. Il doit y avoir une réponse de long terme. Oui, il faut apporter aussi une réponse juridique efficace, forte, aux défis que le terrorisme représente pour la démocratie !

Ainsi que le Président de la République l'a rappelé, notre Constitution prévoit des mesures permettant de faire face à des situations exceptionnelles - l'article 16 et l'article 36 -, mais elles qui ne sont pas adaptées à la situation que nous connaissons.

L'état d'urgence, qui est aujourd'hui la réponse de court terme que nous apportons, n'est donc pas prévu explicitement par la Constitution, même si le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître de ce dispositif en 1985. De notre point de vue, dans un contexte de guerre contre le terrorisme, le fonctionnement de notre démocratie nécessite de compléter notre Constitution. Il s'agit de permettre la mise en œuvre de mesures exceptionnelles n'apportant à l'exercice des libertés publiques que les restrictions strictement nécessaires à la garantie de la sécurité nationale. Ces mesures doivent être adaptées aux caractéristiques particulières de la menace terroriste, en particulier à sa durée. Une telle révision avait été proposée en 2008 par le comité Balladur.

Nous saisirons évidemment les présidents des deux assemblées. La volonté du Gouvernement est claire sur ce sujet, comme sur la déchéance de la nationalité, comme sur le droit de visa aussi pour les binationaux qui reviennent en France d'un pays où ils auraient pu accomplir des actes terroristes.

Ces trois éléments - sans doute y aura-t-il également d'autres propositions - devront être examinés avec l'état d'esprit qui est le nôtre, celui de l'union nationale, de la concorde et, bien entendu, de l'efficacité ; c'est ce que nous demandent les Français. Madame la sénatrice, je tiens à vous faire part de notre disponibilité pour travailler ensemble et avancer ensemble.

Enfin, et vous avez évidemment raison, toutes les questions qui ont été posées et les débuts de réponses qui ont été apportées après les attentats du mois de janvier restent plus que jamais d'actualité.

J'ai déjà eu souvent l'occasion de dire que ce serait un combat long, difficile. La priorité doit être donnée à l'éducation, à la culture. La lutte contre le terrorisme passe par le terrain extérieur, mais elle se déroule aussi dans notre pays.

Il faut lutter contre le salafisme, l'islamisme radical, le djihadisme, contre le fait que, dans le monde, des centaines de milliers de jeunes sont captés par cette idéologie totalitaire. C'est le cas chez nous, où ce phénomène concerne non pas quelques dizaines, mais sans doute plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de jeunes. Il suffit de lire les rapports parlementaires qui ont été produits.

Ce combat contre le terrorisme est aussi, au fond, un combat sur nous-mêmes, au nom des valeurs de la République, en nous impliquant les uns et les autres et en mobilisant la société française. L'union nationale n'est pas uniquement celle des formations politiques ou des représentants de la Nation ; tous les Français doivent être mobilisés. En tout cas, je suis convaincu que c'est ce qu'ils attendent de nous. Vous pouvez être certaine que c'est la priorité du Gouvernement, madame la sénatrice.

Aujourd'hui, nous devons nous élever, être à la hauteur de cette exigence, ne pas retomber dans un certain nombre de débats qui ne sont pas à la hauteur de l'attente des Français. Vous pouvez en tout cas compter sur mon engagement, madame la sénatrice.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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