Mme Michelle Demessine. L'actualité sociale de ce début d'année nous sidère. En effet, nous assistons simultanément à une nouvelle vague de licenciements dans l'industrie et à la condamnation à neuf mois de prison ferme de ceux qui résistent devant la brutalité de telles décisions.
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
L'urgence est-elle vraiment à la criminalisation de la résistance ouvrière face aux multinationales, qui entrent et sortent de notre pays sans avoir à rendre de comptes, en laissant derrière elles dégâts sociaux et industriels ?
La condamnation, à la demande du ministère public, de huit syndicalistes de Goodyear à neuf mois de prison ferme – c'est une première – est scandaleuse ! Ils doivent être relaxés.
J'invite tous ceux qui soutiennent cette condamnation à considérer le bilan humain de la fermeture de cette usine : douze suicides, des centaines de familles brisées, séparées. De quel côté la violence se trouve-t-elle ?
Le 15 décembre dernier, le tocsin a encore sonné dans la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, qui a reçu un beau cadeau de naissance !
La direction du groupe Pentair a annoncé la fermeture de l'usine de Ham, qui compte 132 salariés, ainsi que 49 licenciements à Saint-Ouen-l'Aumône et 25 sur le site d'Armentières. Le groupe se désengage de la France, alors même qu'il s'était rendu acquéreur de ces sites voilà seulement deux ans. Cette décision incompréhensible aurait été prise pour motifs économiques, alors même que tous les objectifs de productivité ont été atteints, voire dépassés, que le taux de marge brute est de 18 % à 20 % et que le carnet de commandes est plein.
Monsieur le Premier ministre, qu'en est-il de la politique de réindustrialisation de notre pays ?
Les principaux clients de Pentair sont AREVA, EDF et DCNS, dont l'État français est actionnaire.
J'ai entendu avec intérêt la réponse faite par M. Macron à l'Assemblée nationale concernant des pistes actuellement envisagées. Une course de vitesse est désormais engagée, car les nouvelles dispositions de la loi Macron, que nous avons combattue, vont bientôt s'appliquer pour la première fois, réduisant largement le temps disponible pour s'opposer à ces mauvais coups. De quels moyens le Gouvernement va-t-il se doter pour y faire face ? N'oublions pas que c'est l'impuissance devant la brutalité sociale qui mène à l'exaspération et aux tensions, et non le contraire !
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2016.
Madame la sénatrice, je répondrai sur les deux points développés dans votre intervention.
Concernant la société Pentair, le ministre de l'économie, vous l'avez rappelé, s'est déjà exprimé. Ce groupe américain a entamé un processus de réorganisation de ses marques, de ses produits et de ses sites de production à l'échelle internationale. Le projet de restructuration conduisant à la fermeture du site de Ham, à la suppression d'emplois sur celui d'Armentières et au transfert de lignes de production sur d'autres sites du groupe est vécu comme un choc.
Ces annonces sont difficilement acceptables, socialement et sur le plan industriel. Les services de l'État se sont immédiatement mobilisés. Dans votre région, madame la sénatrice, le commissaire au redressement productif, en lien avec les élus, est en première ligne sur ce dossier.
Les équipes d'Emmanuel Macron œuvrent pour apprécier les qualités tant industrielles qu'économiques du site. Le ministre a demandé à son cabinet de recevoir prochainement à Bercy la direction du groupe, pour discuter de sa stratégie à long terme et des implantations de Pentair en France, étudier ensemble les différents scenariipossibles et, éventuellement, trouver des solutions alternatives : il faut en permanence en chercher ! Si la décision de désengagement devait se confirmer, l'entreprise serait soumise, dans le cadre de la loi dite « Florange », à l'obligation de rechercher un repreneur. En tout état de cause, nous ne baissons pas les bras, et toutes les pistes seront explorées.
Concernant Goodyear, il n'appartient évidemment pas au Gouvernement de commenter une décision de justice, mais il lui incombe de rappeler quelques principes et valeurs.
S'agissant des principes, d'abord, la justice, en France, est indépendante. Certains n'arrivent pas à s'y faire, mais c'est la réalité du fonctionnement démocratique de notre pays. Non, le procureur n'est pas le représentant du Gouvernement, contrairement à ce que certains ont pu affirmer hier. Le parquet a pris des réquisitions en toute indépendance. La décision de la juridiction de première instance est indéniablement lourde, mais il faut la respecter : en tant que chef du Gouvernement, je ne peux pas dire autre chose, tout en mesurant pleinement le choc qu'elle représente pour les syndicalistes condamnés, les salariés de l'entreprise et leurs familles.
Sur le plan des valeurs, ensuite, si le combat syndical est toujours respectable, le respect des personnes représente un principe fondamental. Tout n'est pas permis, y compris quand la violence sociale est très forte. Chacun ici connaît la difficulté du dossier Goodyear, qui avait notamment été suivi par Pascale Boistard, alors députée, et peut parfaitement mesurer le désarroi des salariés.
Il faut toujours maintenir le dialogue, même dans les situations les plus tendues, et ne jamais basculer dans la violence. Cela étant, cette dernière peut prendre différentes formes. C'est la raison pour laquelle je n'accepte pas non plus les propos haineux et violents qui ont été tenus par un dirigeant d'entreprise américain ayant envisagé un moment de reprendre le site. Je n'accepte pas les leçons de ce patron. À mes yeux, mettre de l'huile sur le feu, pousser l'autre à la faute ou insulter un pays ou les salariés d'une entreprise n'est pas digne d'un dirigeant.
Je crois savoir que les syndicalistes condamnés font appel. Dans ces moments où les institutions sont bousculées, je vous invite toutes et tous à faire confiance à la justice pour trouver une position d'équilibre permettant de marquer les limites de ce qui est admissible tout en signifiant la légitimité de la revendication syndicale en tant que telle et la nécessité de la respecter. Il n'y aura jamais, dans notre pays, de criminalisation de l'action syndicale. Je n'accepte pas que l'on exprime des soupçons ou des sous-entendus à cet égard, ce que vous n'avez d'ailleurs pas fait, madame la sénatrice.
Le Gouvernement croit au dialogue social, au rôle et à l'apport des partenaires sociaux, tant au niveau national que, au quotidien, à celui de chaque entreprise.
Cette conviction, que je souhaitais réaffirmer devant vous, ne nous dispense pas de trouver des solutions immédiates pour le site concerné. Comme l'ont dit hier Emmanuel Macron et Pascale Boistard, toute l'attention du Gouvernement se concentre aujourd'hui sur le devenir des salariés et la réindustrialisation du territoire d'Amiens.
Vous avez évoqué avec émotion les événements de ces derniers mois, non pour les instrumentaliser, mais simplement pour rappeler les faits, que nous devons garder en permanence à l'esprit. À cet égard, je connais parfaitement les difficultés des salariés. Une solution a été trouvée pour près des deux tiers d'entre eux, et nous devons nous mobiliser pour qu'il en soit ainsi pour chacun des 1 055 salariés licenciés. Nous travaillons avec les élus du territoire d'Amiens à la réindustrialisation de l'ancien site de Goodyear...
M. François Grosdidier. La quatrième année du quinquennat ! Il serait temps !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... et, plus largement, au développement du bassin d'emploi : 6 millions d'euros ont été mobilisés en ce sens et les efforts devront se poursuivre. Sur de tels dossiers, ce sont la constance, les valeurs, les principes et le travail qui paieront !
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
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