M. Philippe Esnol. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et concerne la situation de la justice : d'une part, l'évolution sur la place du juge judiciaire dans notre droit est inquiétante ; d'autre part, la justice manque de moyens pour accomplir sereinement sa mission.
De plus en plus – la réforme pénale annoncée ne fait que confirmer cette tendance –, l'autorité judiciaire se trouve marginalisée dans le respect et le contrôle de la question, si essentielle pour une démocratie, des libertés individuelles. Avocats et magistrats parmi les plus importants – je pense notamment aux récentes déclarations du Premier président de la Cour de cassation –, tous s'inquiètent du recul du juge judiciaire au profit du juge administratif. Que leur répondez-vous, monsieur le garde des sceaux ? L'article 66 de la Constitution ne confère-t-il pas à l'autorité judiciaire le rôle de « gardienne de la liberté individuelle » et la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 ne lui assigne-t-elle pas très clairement la défense des « libertés individuelles » ?
Quand on parle de justice dans notre pays, il est devenu habituel d'évoquer son manque criant de moyens, qu'ils soient humains, matériels ou financiers. Vous n'avez pas découvert ce constat au lendemain de votre nomination place Vendôme, puisque, dès votre prise de fonction, vous avez déclaré : « J'ai quinze mois devant moi qui seront dédiés à une priorité : obtenir des moyens conséquents pour ce ministère. »
La justice a moins besoin de nouvelles lois que de moyens pour appliquer les lois existantes et surtout exécuter les décisions rendues par les juridictions.
Monsieur le garde des sceaux, face à l'urgence de la situation, qui est aussi le bilan de votre prédécesseur, à Bobigny comme ailleurs, quelles réponses êtes-vous en mesure d'apporter ? Comment le Gouvernement entend-il redonner à la justice les moyens dont elle a besoin ? Comment allez-vous surtout permettre le retour de la confiance des citoyens en leur justice ?
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, le budget de la justice s'élève à 8 milliards d'euros cette année. Cela peut paraître beaucoup - c'est en effet la première fois qu'il atteint une telle somme - ; pourtant, cela signifie que chaque Français consacre 61 euros au fonctionnement de la justice, alors qu'il consacre 136 euros à la redevance audiovisuelle.
M. Roger Karoutchi. Supprimons la redevance !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Voilà la difficulté ! Je compte donc sur vous comme sur le Sénat tout entier pour m'aider lors de la discussion du budget que vous aurez à voter cette année.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Pour la première fois, certaines juridictions sont au bord de l'asphyxie, notamment parce que le législateur multiplie les responsabilités données au juge. Il ne suffit pas de créer des postes, même si nous avons aussi créé des postes de greffier ; il faut aussi des moyens de fonctionnement.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué ce que j'ai dit lors de la passation de pouvoir ; je crois farouchement qu'il n'y a qu'une seule loi sur laquelle nous devons faire porter nos efforts, c'est la loi de finances. Cela étant, je veux vous rassurer, et à travers vous les autorités judiciaires - je l'ai d'ailleurs répété ce matin au Premier président de la Cour de Cassation - : personne ne compte remettre en cause l'article 66 de la Constitution. C'est évidemment l'autorité judiciaire qui est garante de la liberté et vous verrez que, dans les textes que nous allons présenter, nous renforcerons la place du juge judiciaire.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
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