Mme Annie David. Monsieur le Premier ministre, la mobilisation à l'encontre de la loi Travail, commencée le 9 mars dernier, ne cesse de s'amplifier et s'exprime encore avec force aujourd'hui. Aussi, je ne comprends pas votre obstination à bloquer tout dialogue.
Monsieur le Premier ministre, 67 % des Français s'opposent à ce texte, des centaines de milliers de manifestants se rassemblent chaque semaine dans nos rues, vous ne disposez pas de majorité à l'Assemblée nationale et vous vous obstinez à maintenir le débat parlementaire sur ce texte.
Vous n'écoutez personne et vous êtes même revenu sur le droit de manifester !
Vous refusez en outre toutes les propositions alternatives, qu'elles viennent de notre groupe parlementaire ou des différentes organisations qui y sont opposées. Aucun infléchissement n'a fait suite à la rencontre entre Mme El Khomry et leurs représentants. Aucune réponse n'a été faite à leurs propositions. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ce manque de dialogue ?
Pas plus que les organisateurs des manifestations, nous ne sommes responsables de la fatigue – légitime – des forces de l'ordre, ni des dégâts causés par les casseurs, ni de la dégradation du climat social ; c'est votre obstination qui en est la cause.
Nous estimons qu'il est temps de ramener de la sérénité dans notre société. Nous vous appelons donc à suspendre le débat parlementaire (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) et à engager des négociations dignes de ce nom avec les organisations syndicales et de jeunesse.
Ma question est donc simple : comptez-vous cesser votre stratégie de la tension, sortir de votre isolement et montrer, enfin, des signes d'ouverture en suspendant le débat parlementaire ?
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la sénatrice Annie David, n'en doutez pas un seul instant, le Gouvernement ira jusqu'au bout pour que ce texte soit adopté au mois de juillet.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Dominique Watrin. Grâce au 49.3 !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous irons jusqu'au bout parce que c'est nécessaire pour la France, pour les employeurs et, surtout, pour les salariés.
M. François Grosdidier. Ça, c'est la position d'aujourd'hui !
M. Manuel Valls, Premier ministre. En tant que chef du Gouvernement - cela n'a rien à voir ni avec une obsession ni avec une posture -, je veux que mon pays soit armé pour lutter face à la concurrence internationale. Je veux que nous mettions toutes les chances de notre côté pour lutter contre le chômage. Je n'accepte pas la dualité du marché du travail et je veux, nous voulons donner des perspectives à ceux qui sont, aujourd'hui, en dehors de ce marché du travail, notamment à notre jeunesse, à cette génération qui regarde l'avenir avec inquiétude.
Madame la sénatrice, ma responsabilité, c'est de refuser tous les conservatismes. Ne rien faire, c'est condamner la France à l'immobilisme, c'est se résoudre au chômage et à la précarité, et ce n'est pas mon ambition pour la France.
Ce texte contient des avancées et des progrès que je défends inlassablement, comme le fait inlassablement aussi Myriam El Khomri devant votre assemblée. D'ailleurs, c'est une curieuse proposition que de vouloir suspendre un débat qui est en cours, ici, au Sénat.
Mme Annie David. C'est seulement un débat avec la droite !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Que vous le vouliez ou non, ce texte renforce les protections des salariés. C'est le sens du compte personnel d'activité, dont vous ne dites pas un mot. C'est la raison pour laquelle nous luttons aussi contre la fraude au détachement des travailleurs. C'est aussi pourquoi nous créons le droit à la déconnexion.
Nous assumons - c'est ainsi, cela fait partie du débat - la philosophie du texte. Nous défendons la place du dialogue social dans l'entreprise. C'est l'échelon pertinent, là où les acteurs de notre économie, les entreprises, savent ce qu'il est nécessaire de faire.
Vous savez que le texte qui sera mis au vote dans cette assemblée la semaine prochaine ne sera pas de cette nature. Vous savez que la majorité sénatoriale - c'est son droit - l'a déjà profondément,...
M. Éric Doligé. Amélioré !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... du point de vue du Gouvernement, déséquilibré (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) : suppression des 35 heures et retour aux 39 heures, suppression du compte engagement citoyen, qui fait partie intégrante du compte personnel d'activité, suppression de la généralisation de la garantie jeunes. Voilà le projet de la majorité sénatoriale que j'aimerais plutôt vous voir combattre !
Mme Éliane Assassi. C'est ce qu'on ne cesse de faire, mais vous n'êtes pas là pour l'entendre !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, laissez-moi aller jusqu'au bout ! Je comprends que vous soyez fatiguée (Rires sur les travées du groupe CRC.), mais, en tout cas, laissez-moi aller jusqu'au bout !
Vous voulez faire croire que le Gouvernement refuse le dialogue. Or vous le savez parfaitement, le débat a bien lieu.
Mme Éliane Assassi. C'est minable !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il a lieu avec des syndicats, il a lieu au Parlement, au Sénat, qui aura examiné ce texte durant deux semaines. Les syndicats qui s'opposent à ce texte ont exprimé leur opinion. Ils ont manifesté à de nombreuses reprises et continuent à le faire en ce moment même, notamment à Paris,...
M. Philippe Dallier. Ils tournent en rond !
(Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... mais pas seulement, en accord avec la préfecture de police. Je vous rappelle que d'autres syndicats soutiennent le compromis qui a été bâti.
Enfin, madame la sénatrice, vous affirmez que notre prétendue obsession serait responsable des violences ; moi, je vous attends : condamnez ces violences (Protestations sur les travées du groupe CRC.),...
Mme Éliane Assassi. On n'arrête pas de le faire !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... mais ne les mettez pas sur le dos du Gouvernement !
La violence des groupes de l'ultragauche, de ceux qui s'en prennent aux policiers, aux gendarmes, aux biens publics, comme actuellement à Rennes : voilà ce qui mérite la condamnation la plus claire et la plus nette. Elle a bien tardé à venir, il y a une semaine, quand certains s'en sont pris à l'hôpital Necker-Enfants malades.
(Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. - Protestations sur les travées du groupe CRC.)
M. François Grosdidier. Vous avez laissé faire !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la sénatrice, le dialogue a eu lieu. Ce texte est nécessaire pour notre économie, pour nos entreprises et pour nos salariés, et je le dis très tranquillement, avec la maîtrise qu'il faut, ce texte ira jusqu'à son terme et sera adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.
Mme Annie David. J'ai bien entendu votre réponse, monsieur le Premier ministre, et elle me désole profondément : je déplore cette obstination à vouloir dire que nous n'avons fait aucune proposition. Nous vous avons fait des propositions, nous avons déposé 400 amendements sur ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui n'ont reçu aucun avis favorable de Mme la ministre, à l'exception peut-être de deux d'entre eux !
Nous faisons des propositions, les organisations syndicales en font aussi, mais c'est vous qui ne les écoutez pas, qui ne voulez pas les entendre ! Aujourd'hui, 60 % de la population, 80 % de la jeunesse soutiennent le mouvement contre ce projet de loi, malgré toutes les tentatives de dénigrement auxquelles nous assistons depuis des mois et qui donnent lieu de votre part, monsieur le Premier ministre, à un certain nombre d'amalgames assez détestables, je dois le dire.
Vous nous parlez de points positifs. Oui, le CPA, c'est positif. Oui, la lutte contre la fraude au détachement, c'est positif. Mais l'inversion de la hiérarchie des normes, c'est une catastrophe, tout comme la casse de la médecine du travail...
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annie David. ... ou l'assouplissement des licenciements économiques. Ne nous faites pas croire que ce texte est bon pour les salariés, c'est tout le contraire, et vous le savez parfaitement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
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