M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour le groupe CRC.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le Premier ministre, chaque mois sont annoncées des fermetures d'entreprises et des suppressions d'emplois. Les seules justifications de ces désastres sociaux et humains sont, la plupart du temps, l'abandon de toute politique industrielle, l'accroissement des profits des actionnaires et les décisions de dirigeants sans scrupules.
Alstom, Areva, Petroplus, Vallourec, Florange… La liste n'est pas exhaustive. Et toujours les mêmes cellules de crise, les mêmes promesses et les mêmes réponses ponctuelles !
Encore une fois, c'est l'État actionnaire qui ne joue pas son rôle et qui veut nous faire croire qu'il ne connaissait pas la décision d'Alstom. Un État actionnaire qui a accepté le dépeçage d'Alstom par General Electric, portant un coup à la cohérence de l'entreprise, comme il avait décidé de rachats douteux, qui, aujourd'hui, mettent Areva en difficulté. Un État qui, au mépris de toute politique industrielle, ferroviaire, d'aménagement du territoire, de transition énergétique, renonçant à une politique de long terme, doit négocier dans l'urgence avec la SNCF et la RATP un nouveau carnet de commandes.
Pourtant, nous savons qu'Alstom est bénéficiaire, que l'entreprise a distribué plus de 3 milliards d'euros de dividendes et a largement bénéficié de l'argent public.
Qu'allez-vous faire concrètement pour empêcher la casse d'Alstom ? Quel avenir proposez-vous aux familles, aux salariés et sous-traitants victimes d'une inaction de l'État, qui ne profite qu'aux intérêts financiers ?
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous retrouve avec plaisir à l'occasion de cette session extraordinaire.
Plusieurs questions concernent Alstom ; Axelle Lemaire répondra ultérieurement à deux autres questions, au nom du ministère de l'économie et des finances.
Monsieur le sénateur, je vais vous répondre avec plaisir et de façon précise.
Il est une réalité que personne ne peut ignorer – nous l'évoquons ici, comme ce fut également le cas à l'Assemblée nationale –, mais, heureusement, certains secteurs industriels vont bien. Il existe aussi et surtout, vous ne l'avez pas souligné, mais vous auriez pu le faire, un État actionnaire qui joue son rôle. Comme j'aurai l'occasion d'inaugurer demain le salon de l'automobile, je pense à Renault ou à PSA – les élus de la région de Montbéliard, qui n'est pas loin de Belfort, peuvent dire combien le rôle de l'État a été important. Je pense par ailleurs à STX ou encore à Michelin – l'État, même s'il n'est pas actionnaire de cette entreprise, a pleinement joué son rôle, notamment en matière d'innovation et de recherche.
Mais revenons-en à Alstom.
Pour avoir joué un rôle important avec le Président de la République et le ministre de l'économie de l'époque, Arnaud Montebourg, je ne partage pas l'analyse que vous faites à propos de General Electric.
Tout le monde connaît la situation. La direction a annoncé, le 7 septembre dernier, le transfert de la production de locomotives et de motrices de TGV du site de Belfort vers celui de Reichshoffen, mettant en cause la pérennité de 400 emplois. Le maire, les élus, les représentants des salariés, bien sûr, les salariés et les familles ont exprimé leur profonde inquiétude.
Nous avons déjà eu l'occasion de le dire, notamment avec Christophe Sirugue – le Président de la République s'est aussi exprimé sur le sujet –, il était inacceptable de prendre une telle décision sans discussion préalable avec les représentants des salariés, les élus locaux et, bien sûr, l'État. Le Gouvernement a donc exigé et obtenu d'Alstom la suspension de cette décision, afin d'examiner toutes les solutions possibles, qui passent par la pérennisation du site.
Chacun le sait – le constat est partagé –, dans un monde ouvert, avec une situation de surproduction dans ce secteur, notre industrie ferroviaire risque, au cours des prochaines années, de connaître des difficultés, d'une part, à l'export, parce que les obligations de production locale sont plus importantes et favorisent les acteurs économiques locaux et, d'autre part, sur le marché intérieur, parce que la prochaine vague de renouvellement du matériel roulant n'interviendra qu'à la fin de cette décennie, à partir des années 2020.
Pour s'adapter à ce contexte difficile, il convient de s'organiser collectivement. Cela signifie qu'il est indispensable de maintenir les compétences et le savoir-faire de notre industrie ferroviaire – sur ce point, nous nous retrouvons –, afin de pouvoir bénéficier de la reprise des commandes, quand elle interviendra.
Il revient avant tout aux dirigeants d'Alstom de proposer une stratégie industrielle ambitieuse – c'est ce qui compte ! Certes, il peut y avoir des choix que j'appellerai « défensifs », mais, dans le secteur industriel, il faut être à l'offensive, notamment dans ce secteur où notre savoir-faire est incontestable. Il faut donc proposer des stratégies industrielles ambitieuses qui tiennent compte de ce contexte. L'État a en effet également son rôle à jouer, celui de faire émerger ce que j'appelle des « solutions collectives », en créant surtout une logique de filière, et celui de s'assurer de l'avenir de cette industrie à long terme, en soutenant les investissements d'avenir – c'est ce que nous faisons.
L'intérêt de la filière ferroviaire française, en particulier des grands clients – je pense à la SNCF et à la RATP –, c'est de maintenir une industrie forte sur notre territoire. Une partie de la réponse doit donc provenir du secteur lui-même ; celui-ci doit gérer la charge industrielle dans le temps, et il lui appartient d'assurer une demande suffisante pour maintenir un écosystème industriel performant et compétitif.
Sur tous ces points, des discussions sont en cours, et nous présenterons des solutions dans les prochains jours. L'activité ferroviaire à Belfort sera maintenue, comme nous nous y sommes engagés. Il faut maintenant que les choses avancent ; c'est une question de jours. Bien entendu, nous ne manquerons pas de tenir pleinement informés la représentation nationale et les élus concernés.
C'est une grande partie de l'avenir ferroviaire de notre pays qui est en jeu ! Chacun doit en être conscient et se montrer à la hauteur des responsabilités.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Voilà une réponse très claire !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Bosino. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le Premier ministre, mais vous me permettrez de trouver votre propos bien général. Les salariés d'Alstom, qui ne manquent pas de nous écouter, avec leurs organisations syndicales, jugeront.
La réalité, c'est que, ces cinq dernières années, 900 entreprises industrielles ont fermé et 170 000 emplois industriels ont disparu. Alors, oui, il faut à la France une véritable politique industrielle, ce qui est autre chose que d'augmenter le CICE à 7 %, comme vous le prévoyez ! Nous avons besoin d'une véritable politique d'investissements publics et privés pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et faire tourner l'industrie française ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
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