M. Jean Desessard. Ma question s'adresse au Premier ministre.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il n'est pas là !
M. Jean Desessard. Elle se fait l'écho des fortes réserves des écologistes quant à l'instauration du fichier des titres électroniques sécurisés.
Hier, à l'occasion des questions au Gouvernement, le député Lionel Tardy s'inquiétait, à juste titre, de la création par décret, au milieu d'un week-end de quatre jours, d'un colossal fichier regroupant l'état civil et les données biométriques de plus de 60 millions de Français. Ce « monstre », pour reprendre le terme de notre collègue Gaëtan Gorce, membre de la CNIL, pose de nombreuses questions relatives à son utilisation, à sa sécurisation et, plus largement, au respect des libertés individuelles.
M. Jérôme Bignon. En effet !
M. Jean Desessard. En guise de réponse, le ministre de l'intérieur a cru bon de préciser que ce fichier était totalement validé par la CNIL, ce qui constitue un curieux résumé de l'avis de cinq pages de la CNIL, mettant en avant un nombre considérable de réserves que le temps qui m'est imparti ne me permet pas de lister ici.
M. Bruno Sido. Dommage !
M. Jean Desessard. Ainsi, la présidente de la CNIL précise, dans un entretien à l'AFP, que la constitution d'un tel fichier « nécessite un débat au Parlement. Il ne nous paraît pas convenable qu'un changement d'une telle ampleur puisse être introduit, presque en catimini, par un décret publié un dimanche de Toussaint ». Dans son avis, la CNIL regrette également l'absence d'étude d'impact et demande une évaluation complémentaire du dispositif.
Monsieur le Premier ministre, pour vous conformer à l'avis de la CNIL et par respect de la démocratie, allez-vous organiser le débat parlementaire que la constitution d'un tel fichier exige ?
(Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Vous m'interrogez, monsieur le sénateur, sur le traitement des titres électroniques sécurisés, qui consiste à réunir deux fichiers existants, celui qui gère les cartes d'identité, obsolète, et celui qui gère les passeports, et qui fonctionne bien. Il s'agit là, tout simplement, de faciliter et de sécuriser la délivrance de titres d'identité pour nos compatriotes et de lutter contre les usurpations d'identité.
Le décret publié la semaine dernière – vous ne l'avez peut-être pas suffisamment souligné ; je me permets de le faire – interdit formellement et explicitement tout usage à des fins d'identification biométrique. En effet, tous les éléments d'information biométrique, tant les empreintes que les photographies, sont juridiquement exclus du dispositif. En outre, la construction technique de l'outil élimine systématiquement la possibilité d'y inclure de tels éléments : il s'agit de bases de données séparées et d'algorithmes totalement différents, de telle sorte que, techniquement, l'introduction par cryptage d'empreintes ou d'éléments photographiques est impossible.
Ce décret a évidemment été soumis au Conseil d'État, lequel a rendu un avis positif. Cet avis sera publié, monsieur le sénateur.
Je veux insister, comme vous l'avez fait, sur l'avis de la CNIL. Il est utile d'en citer l'intégralité : la CNIL a reconnu que les finalités du fichier TES sont « déterminées, explicites et légitimes », comme l'avait souhaité le Conseil constitutionnel en 2012 – comme vous le savez, un décret précédent présentant un certain nombre de difficultés avait été annulé.
M. Gaëtan Gorce. Il faut citer complètement cet avis !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le choix de recourir au décret et non pas à la loi est évidemment conforme à la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et a été approuvé par le Conseil d'État.
Certains ont par ailleurs fait remarquer qu'un autre gouvernement pourrait, s'il le souhaitait, modifier les conditions d'utilisation de ce fichier. Je répète que cela serait impossible au regard de la décision du Conseil constitutionnel…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … et de la construction technique que j'ai mentionnée.
Voilà, monsieur le sénateur, des éléments précis qui vous rassureront sur la totale sécurité qui entoure l'existence et l'utilisation de ce fichier.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.
M. Jean Desessard. Quelle meilleure réponse que celle de l'actuel garde des sceaux, en date du 6 mars 2012, sur un projet similaire : « Ce texte contient la création d'un fichier à la puissance jamais atteinte dans notre pays puisqu'il va concerner la totalité de la population ! Aucune autre démocratie n'a osé franchir ce pas. Or qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ? Aucun système informatique n'est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n'est toujours qu'une question de temps. Nous considérons donc que l'existence de ce fichier sera une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée. »
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean Desessard. Cette citation est tout à fait d'actualité. Elle est d'ailleurs encore visible sur le blog personnel du garde des sceaux.
(Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Gaëtan Gorce. Très bien !
M. Jérôme Bignon. Bravo !
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