M. Hervé Maurey interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les déserts médicaux.
Force est de constater qu'il n'y a jamais eu autant de médecins dans notre pays ni autant de territoires où il est difficile de se faire soigner.
Les disparités territoriales en matière de démographie médicale atteignent un niveau jamais vu. Ainsi, le département de l'Eure comptait en 2015 167 médecins pour 100 000 habitants, contre 678,2 à Paris.
Ce phénomène ne recule pas mais s'accentue de jour en jour. On assiste ainsi à un véritable « exode médical » du centre de la France vers les régions littorales et la façade Est.
Selon une étude publiée dans le Monde le 31 mars 2017, 148 cantons ne comptaient plus de médecin généraliste libéral en 2017, alors qu'ils étaient seulement 91 en 2010 ; 581 cantons n'avaient pas de dentiste sur leur territoire contre 544 en 2010.
Ce problème ne se pose pas tant en termes de distance qu'en termes de délai d'attente pour une consultation. Il faut en moyenne 18 jours pour voir un pédiatre, 40 jours pour un gynécologue et 133 jours pours un ophtalmologiste.
La conséquence est sans appel : 70 % des Français disent avoir renoncé à se faire soigner à cause de ces délais.
Le problème devrait s'aggraver dans les dix prochaines années puisque la démographie médicale connaîtra un creux, conséquence du resserrement du numerus clausus.
Les réponses apportées par les politiques publiques depuis les années 1990 n'ont jamais eu les effets escomptés. Elles ont pour point commun de comporter des mesures essentiellement incitatives.
En plus d'être inefficaces, elles sont coûteuses.
C'est pourquoi, depuis plusieurs années, il propose, avec certains de ses collègues, la mise en place d'un conventionnement sélectif dans les zones sur-dotées selon le principe : « une installation pour un départ ».
Face à ce constat, le Gouvernement semble prendre le même chemin que les précédents.
Aussi lui demande-t-il combien de temps il lui faudra pour prendre la mesure des enjeux et opter pour des mesures qui ont fait preuve de leur efficacité pour d'autres professions de santé.
M. Hervé Maurey. Comme beaucoup, j'ai accueilli avec espoir l'annonce par le Premier ministre, dès sa nomination, de sa volonté de faire de la lutte contre les déserts médicaux une priorité. Malheureusement, cet espoir a été déçu par la présentation, le 13 octobre dernier, du plan de lutte contre la désertification médicale par la ministre de la santé.
Par manque de courage politique, par méconnaissance de la réalité de nos territoires, ce gouvernement, qui se veut pourtant le chantre d'un nouveau monde, a décidé de poursuivre, en matière de lutte contre les déserts médicaux, la vieille politique, celle qui ne repose que sur les incitations et qui a démontré depuis vingt-cinq ans son inefficacité.
Comment ne pas être déçu de ces choix, alors que l'accès aux soins se dégrade d'année en année ? Selon une étude récente, 148 cantons ne comptent plus aucun médecin généraliste, alors que ce chiffre était de 91 en 2010. Le département de l'Eure, dont je suis élu, compte 1,7 médecin pour 1 000 habitants, contre 7,5 à Paris, soit un rapport de un à quatre.
Il faut attendre en moyenne dix-huit jours en France pour rencontrer un pédiatre, quarante jours pour un gynécologue et cent trente-trois jours pour un ophtalmologiste. Ce ne sont là que des moyennes, les délais étant beaucoup plus longs dans de très nombreux cas. Selon un sondage, cette situation conduit à ce que 70 % des Français renoncent à se faire soigner, compte tenu des délais auxquels ils sont confrontés.
Devant ce constat, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable demande la mise en place d'un conventionnement sélectif, selon le principe « une installation pour un départ » dans les zones surdotées. Ce système a été mis en place pour d'autres professions de santé – infirmiers, sages-femmes, orthophonistes et chirurgiens-dentistes – et a prouvé son efficacité. Aujourd'hui, son extension aux médecins est de plus en plus souhaitée par les associations d'élus et les parlementaires. Des amendements au PLFSS allant en ce sens ont été signés par 110 sénateurs.
Je vous le dis solennellement, madame la secrétaire d'État : les mesures proposées ne sont pas à la hauteur de la situation et ne régleront rien. Je vous donne rendez-vous à l'échéance que vous fixerez – deux ans, trois ans ou cinq ans.
Comptez-vous faire un bilan des mesures qui ont été annoncées et, si oui, à quelle échéance ? Dans l'hypothèse où les craintes que je viens d'exprimer se confirmeraient, envisagez-vous d'entendre nos propositions en matière de régulation de l'installation, mais aussi de formation des futurs médecins – il y a beaucoup à dire en la matière –, ou comptez-vous rester dans le déni de la réalité, jusqu'à ce qu'un drame sanitaire vous oblige à agir enfin ?
(Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, Agnès Buzyn a en effet présenté au côté du Premier ministre, le 13 octobre dernier, un plan territorial d'accès aux soins ambitieux et pragmatique.
Ce plan s'appuie sur le terrain, sur les remontées des professionnels de santé, des collectivités territoriales et des usagers.
Pour remédier aux difficultés que rencontrent nos concitoyens en matière d'accès aux soins, il n'y a pas de réponse miracle, mais un panel de solutions. Ce plan représente un vrai changement de paradigme. L'accès aux soins repose non pas sur l'installation d'un médecin, mais sur l'organisation coordonnée entre tous les professionnels de santé du territoire. Ces solutions doivent être trouvées au niveau local, dans chaque territoire, par les acteurs eux-mêmes : il faut donc leur donner le maximum de liberté d'organisation.
Le plan d'accès territorial aux soins ne s'appuie pas sur la coercition, car elle est contre-productive. Le conventionnement sélectif que vous proposez s'applique aux professionnels de santé qui sont en surnombre, ce qui est le cas des infirmières par exemple. Au contraire, le nombre des médecins va diminuer au cours des prochaines années et nous connaîtrons une fuite encore plus importante si nous appliquons un tel dispositif, comme le montre l'exemple d'autres pays européens.
Le plan a pour objectif d'augmenter le temps consacré aux soins des professionnels de santé en levant les freins réglementaires qui empêchent les acteurs de terrain d'innover et de répondre aux besoins de la population, et surtout de répondre de manière rapide à la problématique de l'accès aux soins.
Ce plan généralisera la téléconsultation et la télé-expertise, en permettant aux professionnels les pratiquant d'être rémunérés et en équipant tous les EHPAD et toutes les zones sous-denses d'ici à 2020. Il faut accompagner la mise en place de la télémédecine.
Ce plan favorisera aussi la coopération entre professionnels de santé, en doublant le nombre des maisons de santé pluriprofessionnelles en cinq ans grâce à un programme d'investissement de 400 millions d'euros dans le cadre du Grand Plan d'investissement.
Agnès Buzyn souhaite aussi développer les consultations avancées et créer des postes d'assistant partagé. Le cumul emploi-retraite pour les médecins installés est inscrit dans le PLFSS pour 2018.
De nouvelles aides conventionnelles destinées à favoriser l'installation des médecins dans les zones sous-denses verront le jour : elles s'élèveront à 50 000 euros sur trois ans pour l'installation d'un médecin dans une telle zone.
Nous souhaitons également valoriser les contrats conventionnels dans le cadre des zones sous-denses, dont le contrat de solidarité territoriale médecin, visant à inciter à la réalisation de consultations avancées dans les territoires qui en ont le plus besoin.
Ce plan sera amené à évoluer en fonction des besoins de la population et des évolutions démographiques. Trois délégués ont été nommés pour intégrer le comité de suivi : M. Thomas Mesnier, député, Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, et Mme Sophie Augros, présidente du syndicat des jeunes médecins ReAGJIR. Ils auront la charge de suivre le plan sur les territoires et de faire remonter les initiatives innovantes du terrain.
De plus, ce plan sera évalué, monsieur le sénateur, car il est important de pouvoir établir de façon claire l'impact des politiques menées.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Madame la secrétaire d'État, vous ne serez pas étonnée que je vous dise que votre réponse m'attriste, même si je ne m'attendais évidemment pas à ce que la réalité de la situation de nos territoires vous soit soudain apparue…
Vous prétendez que le plan présenté par le Gouvernement est ambitieux ; il n'a aucune ambition en réalité. Vous dites qu'il marque un changement de paradigme ; ce n'est absolument pas le cas.
Encore une fois, pour reprendre une expression chère au gouvernement auquel vous appartenez, nous sommes là dans la vieille politique. Il s'agit de mesures que l'on met en œuvre depuis vingt-cinq ans et qui ne marchent pas !
Les maisons de santé, c'est formidable, mais quand elles ne comptent aucun médecin, c'est juste un énorme gâchis d'argent public et une immense déception pour les élus et les citoyens qui ont cru que la création de telles structures allait régler les problèmes.
Ce que nous proposons, ce n'est pas, comme vous l'affirmez de façon quelque peu caricaturale, la contrainte, mais la régulation. Cela n'a rien à voir et cela se pratique aujourd'hui pour tous les professionnels de santé, à l'exception des médecins, aucun gouvernement n'ayant eu jusqu'à présent le courage d'affronter le lobbymédical, quitte à nuire à l'intérêt général et à l'accès aux soins pour nos concitoyens. C'est extrêmement regrettable.
À quelle échéance le bilan que vous avez évoqué sera-t-il dressé ? Peut-être pourrez-vous me l'indiquer par écrit, madame la secrétaire d'État, puisque le règlement ne vous permet plus de me répondre.
Il faut ouvrir les yeux, aller dans les territoires ruraux, mais aussi, de plus en plus, dans certains territoires urbains et périurbains, pour voir à quel point la situation en matière d'accès aux soins devient dramatique dans notre pays.
Je le redis : un drame sanitaire surviendra un jour dans ce pays. En effet, quand on attend des mois, voire des années, un rendez-vous avec un spécialiste, il n'est parfois plus utile d'aller à ce rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
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