Mme Nathalie Delattre. Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous parler de sa robe, de sa couleur brillante, de ses effluves parfumés, de ce patrimoine français, de cette culture de l'excellence ; je voudrais vous parler, tout simplement, du vin !
(Exclamations amusées sur de nombreuses travées. – M. Bruno Sido rit.)
Je voudrais vous parler de nous, les vignerons, de la terre que nous avons façonnée pendant des siècles pour en faire des terroirs de renom ; de nous, chefs d'entreprise, qui créons des emplois malgré grêles et gel et qui faisons notre révolution environnementale, sous la forme du bio ou de la haute valeur environnementale, la HVE, car nous sommes avant tout des femmes et des hommes responsables !
Le vin se boit avec modération, mais extase, et ne saurait être ramené à la seule dimension d'une boisson contenant de l'alcool. La profession ne saurait être pointée du doigt, alors que nous sommes engagés depuis de nombreuses années dans une politique de consommation responsable.
Le candidat Macron, un verre à la main, énonçait que la viticulture était une part vibrante de nos territoires. J'ajouterai que c'est une part importante de notre économie : en 2016, son chiffre d'affaires à l'export atteignait 10,5 milliards d'euros, ce qui faisait d'elle le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française.
Par courrier en date du 19 janvier dernier, le Président de la République exprimait son souhait que « les acteurs de santé, mais aussi les acteurs économiques » que nous sommes « s'emparent du sujet afin de mener la révolution de la prévention. »
Pourtant, votre ministre des solidarités et de la santé ne cesse de jeter l'opprobre sur nos têtes. (Marques de dénégation sur les travées du groupe La République En Marche.) Sa stratégie nationale de santé vise à remplacer une politique de prévention des risques par une politique de prévention de toute consommation d'alcool. Or la consommation de vin a déjà été divisée par deux en cinquante ans, sans que le problème de l'alcoolisme ait été résolu pour autant. Cette voie n'est donc pas la bonne.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : allez-vous reconnaître l'existence d'une consommation responsable, ou souhaitez-vous suivre votre ministre des solidarités et de la santé, qui veut faire de la France le pays de la prohibition ? Allez-vous nous précipiter dans un grand plan de licenciements et de démembrement, ou allez-vous décider de nous associer à notre destin, comme cela a toujours été le cas et comme le Président de la République s'y est engagé ?
(Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, permettez à un élu normand, donc issu d'une région où la production viticole est, il faut le reconnaître,…
M. François Patriat. Limitée…
(Sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … moins importante que d'autres productions agricoles, de vous répondre !
(Rires.)
Comme le Président de la République, comme vous, manifestement, comme des millions de Français, j'aime le vin.
(Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur diverses travées.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela n'a pas toujours été le cas de tous les grands élus de notre pays…
(Rires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. Jean-Claude Requier. C'est vrai !
M. Roger Karoutchi. Encore une agression…
(Sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Quoi qu'il en soit, madame la sénatrice, même sans y goûter, on peut reconnaître la place particulière qu'occupe le vin dans la culture et dans l'imaginaire français, et l'attachement des Français à ce produit.
Vous nous dites que le Gouvernement, par la voix de Mme la ministre des solidarités et de la santé, serait engagé dans je ne sais quelle croisade contre le vin. Permettez-moi de vous dire que votre propos, que j'entends, que je respecte, m'apparaît outrancier.
(Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Oui, c'est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je le dis comme je le pense.
Madame la sénatrice, d'où tenez-vous que ce gouvernement aurait pris des mesures défavorables aux viticulteurs et à la culture du vin ? Peu de gens le disent, mais vous savez que les négociations internationales menées par la Commission européenne facilitent les exportations et apportent des protections plus solides aux producteurs français de vin. J'observe que, y compris chez ceux qui se targuent d'aimer et de défendre la profession vitivinicole, on dénonce volontiers ces négociations commerciales, en oubliant qu'elles ont également souvent pour objet, et pour effet, de permettre un accroissement et une facilitation des exportations de produits français.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, ce gouvernement aurait-il modifié en quoi que ce soit la fiscalité applicable au vin ? Il n'en est rien.
M. François Patriat. Tout à fait !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pouvez-vous imaginer une seconde que la ministre des solidarités et de la santé, qui, durant sa vie professionnelle, a été médecin et professeur d'hématologie, dise publiquement que le vin ne comporte pas d'alcool et que la consommation d'alcool n'a pas d'impact sur la santé publique ?
(Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Bouchet. Et les taxes ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce que nous souhaitons faire, c'est développer un usage modéré. Je crois que tout le monde ici accepte l'idée qu'il faille boire le vin avec modération.
(Marques d'ironie sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. Ne trompez pas les Français !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si vous considérez qu'il n'y a pas là de sujet de santé publique, dites-le !
(Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. Mais ce n'est pas le vin, le problème !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, ce que je vous propose, c'est de regarder le problème en face. Nous respectons la place particulière du vin dans la culture et dans l'agriculture françaises, mais nous n'allons pas, pour autant, faire semblant et prétendre qu'il n'existe pas de problème de santé publique. Il serait en effet profondément irresponsable de refuser de voir l'autre face de la pièce ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. David Assouline et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
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