M. Michel Boutant. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
La disparition, le 2 octobre dernier, du journaliste d'origine turque Jamal Khashoggi a déclenché une véritable onde de choc dans le monde.
Il y a tout d'abord les conditions de cette disparition : au sein du consulat saoudien à Istanbul et, si l'on en croit le président turc Erdogan, il s'agirait d'un assassinat particulièrement sordide.
Au-delà de ces circonstances et de cette brutalité qui choquent, il ne s'agit pas simplement d'un fait divers. J'en veux pour preuve l'adresse du président Erdogan au parlement turc, les déclarations du président Trump, celles des responsables européens, le retrait d'un certain nombre de grands investisseurs du monde entier du sommet de Riyad, mais aussi le déplacement plus discret de la directrice de la CIA en Turquie et les rencontres entre Mohammad ben Salmane, personnage central de cette affaire, et le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin.
Les déclarations des responsables européens amèneront ma première question. La chancelière allemande appelle à cesser l'exportation des armes vers l'Arabie saoudite, qui –faut-il le rappeler ? – conduit une guerre meurtrière au Yémen. Comment la France, qui depuis 2008 a exporté pour 11 milliards d'euros d'armes en Arabie saoudite, considère-t-elle cette déclaration de l'Allemagne ? Quelques mois avant les élections au Parlement européen, l'Europe ne donne-t-elle pas une image de plus de sa désunion ?
Plus largement, car on voit bien que cette affaire dépasse ses protagonistes, comment notre pays voit-il la sortie de ce qui pourrait être une crise déstabilisatrice ? La Turquie, héritière de l'Empire ottoman, n'est-elle pas en train de faire monter la pression en distillant les informations à petites doses ? Que cherche-t-elle à obtenir des Américains, des Saoudiens ? La domination du monde musulman sunnite, par le rétablissement du califat ? La realpolitik ne va-t-elle pas finalement reprendre le dessus, les importations de pétrole saoudien et les exportations d'armement valant bien plus que la vie d'un homme que l'on dit par ailleurs proche des Frères musulmans et de Ben Laden ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Michel Boutant. De plus, la realpolitik, toujours elle, ne va-t-elle pas pousser à un statu quo pour éviter que l'Arabie Saoudite ne soit affaiblie face à l'Iran et ne se tourne vers d'autres puissances ?
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Boutant, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est en déplacement au Mexique.
Vous l'avez fort bien rappelé, il s'agit, avec l'affaire Khashoggi, du meurtre, dans une enceinte diplomatique, d'un journaliste saoudien contributeur régulier à la presse internationale. Ce crime constitue de surcroît une grave atteinte à la liberté de la presse et aux droits les plus fondamentaux. Vous avez raison de souligner qu'il ne s'agit pas d'un simple fait divers. Cet événement d'une extrême gravité suscite à juste titre l'indignation de la communauté internationale et appelle, de la part des autorités saoudiennes, une réponse transparente et exhaustive.
C'est ce que la France et ses partenaires ont demandé à l'Arabie saoudite. C'est l'objet de nos entretiens avec nos homologues saoudiens à tous les niveaux, y compris entre le Président de la République et le roi Salmane, hier, et entre le ministre des affaires étrangères et les autorités saoudiennes.
Les autorités saoudiennes ont reconnu le caractère de « meurtre » s'attachant à la mort de M. Khashoggi. Cependant, elles n'ont pas encore, à ce jour, établi les circonstances exactes de cette mort ni les responsabilités engagées.
La France demande que les enquêtes qui sont diligentées fassent toute la lumière sur la manière dont un tel meurtre a pu être commis. Nous l'attendons de l'Arabie saoudite. Nous avons avec ce pays une relation politique et stratégique forte, fondée sur des intérêts communs, qui crée aussi des attentes, notamment en matière de respect des droits de l'homme : nous vérifierons qu'elles sont bien prises en compte. Nous le devons d'abord à la famille et aux proches de M. Khashoggi.
La France n'hésitera pas à prendre, en lien avec ses partenaires – comme vous l'avez souligné, il ne saurait y avoir, dans ce domaine, d'action isolée –, des sanctions internationales contre les coupables.
(Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. Simon Sutour. On verra…
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.