M. Loïc Hervé. Monsieur le président, mes chers collègues, j'aimerais poser ma question à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, la société française va mal, et, dans nos départements, nous ressentons une montée préoccupante des tensions sociales, sur fond, notamment, de réforme des retraites.
Ici, l'accès des sous-traitants à un dépôt de gaz est empêché ; là, des dockers multiplient les opérations « ports morts ».
Hier matin, une coupure de courant a privé 30 000 foyers d'électricité au sud de Paris et interrompu Orlyval.
Depuis plusieurs mois, nos sapeurs-pompiers sont en grève pour réclamer des moyens supplémentaires, mais également pour dénoncer les violences dont ils sont l'objet.
Cette semaine a commencé par des perturbations de certaines épreuves communes de contrôle continu du nouveau baccalauréat, qui suscite de vraies inquiétudes chez les enseignants et leurs élèves.
En marge de ces contestations, des incidents se sont multipliés, laissant place à la violence, mais aussi à des actions nouvelles, si bien que le Président de la République lui-même a dû quitter un théâtre en cours de représentation. C'est un fait inédit.
Violences de manifestants, répliques de forces de l'ordre épuisées, actions coup de poing : notre pays vit au rythme d'une immobilisation qui suscite de vives inquiétudes chez les acteurs économiques, mais aussi la lassitude et la colère de nos concitoyens.
Monsieur le Premier ministre, il est temps d'apaiser ce climat, qui est l'expression de la souffrance des Français, mais dont ils sont également les principales victimes.
Quelles initiatives concrètes entendez-vous prendre pour que ce climat change et que la concorde nationale revienne ?
(Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur le climat social qui prévaut en France et sur la nécessité d'apaiser, à bien des égards, les débats et l'ensemble du pays.
Monsieur le sénateur, je voudrais vous dire d'abord que je partage votre constat ; nous le partageons tous, je le crains. Le débat public est souvent vif dans notre pays, les réactions sociales, lorsque des réformes sont envisagées, quelles que soient d'ailleurs les majorités qui envisagent ces réformes, sont souvent vives. J'ai le souvenir, il y a quelques années, des manifestations parfois violentes qui avaient accompagné les discussions relatives à la loi dite « El Khomri » sur le travail.
Nous constatons, cette fois encore, dans la perspective des discussions parlementaires qui interviendront sur le système universel de retraite, des grèves – elles sont légales, et il n'est pas question, ici, de dénier à quiconque la possibilité de faire grève –, des manifestations – de même, personne ici ne voudrait dénier à quiconque le droit de manifester.
Toutefois, nous observons aussi des comportements violents, des blocages et, parfois, des actes qui, je le dis aussi simplement que je le pense, sont totalement opposés à l'esprit du service public, totalement illégaux et, en vérité, totalement inacceptables.
Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la coupure sauvage d'électricité qui est intervenue hier et qui a privé près de 60 000 Franciliens d'un accès au réseau, interrompant des activités économiques et des transports publics. Elle a aussi interrompu l'alimentation des appareils dont nos concitoyens ont parfois besoin dans leur vie quotidienne et – j'y insiste pour connaître le sujet – dont ils ont parfois besoin pour continuer à vivre dans de bonnes conditions, notamment dans le cas de matériels médicaux.
Je veux le dire avec clarté, monsieur le sénateur : le droit de grève est légal, y compris dans les secteurs de l'énergie, et beaucoup de ceux qui y travaillent, lorsqu'ils choisissent de faire grève, s'inscrivent dans le cadre légal. À tel point que lorsque, pour les nécessités liées à la sécurité nationale, ils sont réquisitionnés, alors même qu'ils se sont déclarés grévistes, pour assurer le bon fonctionnement des installations de production ou de distribution d'électricité, ils obtempèrent à la réquisition et respectent la loi. À ceux-là, il faut dire que leur comportement ne pose aucun problème.
Néanmoins, à ceux qui, se parant de je ne sais quel militantisme, décident d'accomplir des actions parfaitement illégales et potentiellement dangereuses, il faut dire que leur comportement n'est pas acceptable et qu'il mène directement à des sanctions. Il ne peut pas en être autrement !
(Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
J'ajoute un dernier mot, monsieur le sénateur, puisque votre question porte sur les voies permettant de revenir à une situation apaisée ou de renouer le dialogue, pour dire deux choses.
D'une part, le dialogue n'a jamais été rompu. (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Nous discutons depuis longtemps avec les organisations syndicales, qui ont d'ailleurs toujours accepté de venir aux réunions et aux rendez-vous que nous organisions et qui ont travaillé avec nous, certaines assumant des désaccords complets sur l'objet de la réforme que nous préparons.
Il est vrai que certaines refusent par principe la construction d'un système universel et que d'autres refusent par principe un système à points, mais il est des organisations syndicales, et pas les plus négligeables d'entre elles, qui pensent que, au contraire, un système universel par répartition et par points est un bon système et peut constituer à la fois un progrès social et un élément de solidité du système de pension.
(M. Pierre Laurent s'exclame.)
Nous travaillons donc avec l'ensemble des organisations syndicales dans un esprit – je le dis et je l'assume – de confiance et de respect.
Par ailleurs, je crois, monsieur le sénateur, que c'est en affirmant la nécessité du respect et de la confiance et peut-être même en assumant la logique de compromis que nous sortirons de cette tension ; c'est également en appelant à la responsabilité l'ensemble de notre société, les responsables politiques, bien entendu, qui doivent, je le crois, et ils le font régulièrement, condamner la violence et les actes illégaux, et les responsables syndicaux, qui doivent, eux aussi, assumer leurs responsabilités.
Au-delà de ces différents responsables, chacun de nos concitoyens, dans une démocratie, doit assumer ses responsabilités. Celui qui se rend coupable d'un acte illégal ou d'un acte de coupure sauvage d'électricité doit assumer ses responsabilités et ne peut pas les renvoyer à tel ou tel autre qui lui aurait demandé de le faire ou qui justifierait qu'il commette un acte illégal.
Autrement dit, la solution, c'est la responsabilité individuelle, l'engagement collectif et la discussion, autant que possible. Ce n'est jamais l'inaction.
(Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, d'avoir pris le temps de me répondre.
Il y a le constat que nous partageons, évidemment, et la dénonciation des faits délictueux. Il y a aussi la durée du mouvement, donc le ras-le-bol exprimé par les Français. Enfin, il y a le rôle du Parlement, lieu du débat politique. Et, à cet égard, j'ai la conviction que le Sénat peut jouer un rôle qui est plus que celui d'un simple exutoire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
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