M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, ce devait être la mère de toutes les réformes ; c'est du moins ce que le Président de la République, Emmanuel Macron, nous avait promis, depuis l'Olympe. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais son entrée dans l'atmosphère a été terriblement dégrisante.
Pas une seule étape, pas un seul étage sans un ratage ! Deux années studieuses de M. Delevoye pour rien, un avis cruel du Conseil d'État, un débat à l'Assemblée nationale escamoté, parce que l'essentiel de la discussion sur le financement se tenait dans une enceinte parallèle, et, pour finir, un article 49-3 décidé au sein d'un conseil des ministres convoqué en grande pompe pour discuter de la crise sanitaire !
Vous nous direz que c'est une habilité ; moi, je vous répondrai que c'est une maladresse. Monsieur le Premier ministre, débattre de la réforme des retraites sans en connaître le financement, c'est se moquer des Français !
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. C'est pourtant ce qui se passerait si vous refusiez la main tendue du président du Sénat ; j'ai bien entendu, moi aussi, la question du président Kanner.
Une chose m'échappe : vous n'avez cessé de repousser les dates d'application de la réforme, jusqu'en 2047. Dès lors, pourquoi chipoter sur ces quinze jours, qui permettraient un examen de meilleure qualité au Sénat ?
(Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Bruno Retailleau, passer de 42 systèmes de retraite, avec leurs règles, leur originalité, leurs contraintes, leur déséquilibre aussi parfois, pour créer un système universel par répartition et par points, c'est évidemment une chose difficile et complexe.
En vérité, je n'ai jamais caché que la tâche serait redoutable. Que l'on soit pour ou contre un système universel, pour ou contre un système par répartition, pour ou contre un système par points, faire converger les 42 systèmes existants vers un système universel prenant en compte les transitions professionnelles sans perte de droits et permettant à la solidarité nationale de s'exprimer envers tous les actifs et les retraités, c'est assurément un exercice redoutable.
Nous avons donc pris le temps de travailler, et certains nous ont d'ailleurs reproché la longueur de cette phase préalable.
M. Bruno Retailleau. Pas tous !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne dis pas que vous avez formulé cette critique, monsieur Retailleau, mais je l'ai entendue pas très loin de vous…
Nous devions prendre le temps d'examiner les différentes options susceptibles d'être retenues et les problèmes qui ne manqueraient pas de se poser pour construire, peu à peu, une réforme globale.
Le texte a été présenté au mois de décembre. Et j'ai indiqué, c'est vrai, que je souhaitais qu'il soit adopté avant l'été 2020, de sorte que certaines de ses dispositions puissent s'appliquer le 1er janvier 2022, quand d'autres entreront en vigueur le 1er janvier 2025. Par ailleurs, nous avons en effet prévu, à juste titre selon moi, des périodes de transition progressives, jusqu'en 2037 ou 2047.
Toutefois, à l'Assemblée nationale, la discussion du texte en commission spéciale, puis dans l'hémicycle, n'a pas été possible, non pas en raison de l'absence des dispositions financières que vous évoquez, monsieur Retailleau, mais parce qu'une partie des oppositions – pas toutes – a délibérément choisi, et d'ailleurs assumé, une stratégie d'obstruction.
Des discussions infinies se sont ainsi engagées sur plusieurs milliers d'amendements visant des sujets très importants, comme la question de savoir s'il fallait privilégier dans la rédaction du texte « chaque année » ou « annuellement », « analogue » ou « similaire », « eu égard » ou « considérant »…
(Sourires sur les travées du groupe LaREM.)
Tout cela permettant à l'évidence de faire avancer le débat (Mêmes mouvements.), j'ai en effet décidé de recourir à une arme constitutionnelle, certes exceptionnelle, mais parfaitement classique, utilisée 88 fois avant moi ! Je suis son 89e utilisateur depuis 1958. Peut-on vraiment, dans ces conditions, parler d'un coup de force ?
M. David Assouline. Il n'a jamais été utilisé pour une loi comme celle-là !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Contrairement à ce qui a été dit, l'article 49, alinéa 3 de la Constitution a parfois été utilisé pour faire face à ces situations d'obstruction. Je pense par exemple à sa mise en œuvre par Jean-Pierre Raffarin en 2003 pour faire voter le mode de scrutin des élections régionales. Je suis sûr que tout le monde s'en souvient dans cet hémicycle !
(MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido acquiescent.)
Nous assumons donc l'utilisation des dispositions de l'article 49, alinéa 3. Les deux motions de censure déposées ont été repoussées hier, et le texte va maintenant arriver au Sénat.
J'ai dit que j'étais disposé à travailler avec le président du Sénat sur la bonne organisation du débat, mais, je le répète, je veux tenir mon engagement d'une adoption du texte avant l'été, afin que les mesures d'application nécessaires soient prises et que la réforme puisse entrer en vigueur le 1er janvier 2022.
(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous aurons l'occasion, monsieur le président Bruno Retailleau, de discuter de l'architecture d'ensemble et des détails de ce texte, et peut-être même des principes qui le fondent.
J'ai hâte de pouvoir le faire, parce que le sujet est passionnant et que de nombreuses questions restent ouvertes. Ce texte mérite un débat approfondi, et je suis certain que nous pourrons l'avoir ensemble.
(Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.
M. Bruno Retailleau. Nous vous demandons quinze jours, monsieur le Premier ministre, alors que, contrairement à ce que vous affirmez, pour des millions de Français cette réforme n'aura pas d'effets avant 2037 !
Vous ne réformez pas, vous déformez notre modèle social ! Vous vous apprêtez non pas à moderniser notre sécurité sociale, mais à créer une insécurité sociale.
(Protestations sur les travées du groupe LaREM.)
M. Julien Bargeton. N'importe quoi !
M. François Patriat. C'est honteux !
M. Bruno Retailleau. Pour des millions de Français qui seront perdants, vous baisserez les pensions !
Vous vous apprêtez à créer une sécurité sociale à deux vitesses, en distinguant la majorité des Français d'un côté, et ceux qui gagnent plus de trois plafonds de la sécurité sociale de l'autre.
J'ai en mémoire un souvenir brûlant : l'extrême solitude de l'exécutif face aux « gilets jaunes ».
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. Je suis sûr que ce souvenir vous hante. Mais quelles leçons en avez-vous tirées ?
Je ne crois pas qu'une poignée d'hommes et de femmes puissent décider, seuls contre tous, de modifier un pacte social aussi important pour l'avenir de millions de Français !
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.)
Mme Valérie Létard. Très bien !
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