M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour le groupe Les Républicains.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice ; elle sera simple et directe : madame la ministre, mesurez-vous la gravité de la situation ?
Des règlements de comptes en plein centre-ville, des bandes armées qui déferlent pour s'affronter avec une violence inédite et qui narguent la police et la justice : cela ne se déroule pas dans le chaos de pays lointains, mais bel et bien dans un quartier d'une paisible ville de province. L'État n'apparaît assurément plus assez fort pour y faire régner l'ordre public.
La loi de la République est supplantée par la loi du plus fort et du plus violent. C'est la négation même de notre civilisation ; le tribalisme a remplacé la justice. L'impunité est devenue la règle dans ces quartiers ; les témoignages de policiers désespérés devant l'absence de peines ou le prononcé de peines symboliques se multiplient.
Mais il y a pis encore que l'absence de peine ou la peine symbolique : vos récentes décisions, madame la ministre, constituent un véritable blanc-seing pour les voyous et autres délinquants.
Après avoir procédé à près de 14 000 libérations pour cause de crise sanitaire, vous avez diffusé, le 20 mai dernier, une circulaire visant à réduire le plus possible les incarcérations : vous préférez ainsi voir condamner des délinquants insolvables à des peines d'amende, à de la prison avec sursis ou à des travaux d'intérêt général qui, de toute façon, ne seront jamais exécutés.
Il y a deux façons de lutter contre la surpopulation des prisons : en construire de nouvelles – promesse du début du quinquennat passée aux oubliettes – ou vider celles qui existent, quitte à se laisser aller à l'injustice et à faire disparaître le sens même de la peine.
Malheureusement, vous avez choisi cette seconde solution, qui s'accorde avec votre conception de la justice, hélas impuissante pour éviter l'embrasement du quartier des Grésilles. Vous préférez dicter aux juges le choix de la peine en fonction des capacités pénitentiaires.
Quelle justice voulez-vous, madame la ministre ? Pensez-vous que le moment est bien choisi pour mettre en œuvre la « régulation carcérale » que vous appelez de vos vœux, qui n'est ni plus ni moins que l'institutionnalisation d'une totale impunité ? Est-ce le moment de donner le signal que l'État baisse les bras ? Jusqu'à quel niveau de violence faudra-t-il aller avant que vous reconnaissiez faire fausse route ?
Je vous invite, en conclusion, à méditer ces mots de Charles Péguy : « L'ordre, et l'ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. »
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, je vous répondrai en trois points.
Premièrement, les mesures que nous avons adoptées pendant la crise sanitaire avaient une visée exclusivement sanitaire : il s'agissait d'éviter la diffusion du virus dans les milieux fermés que sont les prisons. Nous avons bénéficié, d'une part, de la faiblesse de la délinquance de rue pendant le confinement, et, d'autre part, de mesures de libération en toute fin de peine de certains détenus. Ces éléments conjugués font qu'il y a aujourd'hui 13 000 détenus de moins que le 16 mars dernier.
Deuxièmement, je souhaite que nous puissions conduire une politique pénale volontaire, claire et ferme. Cette politique se traduit par le refus d'une loi d'amnistie : comme je l'ai rappelé à plusieurs reprises, alors que beaucoup m'incitaient à en faire adopter une, je souhaite que les libérations soient toujours la conséquence de décisions individuelles prises par des juges.
Par ailleurs, je n'ai pas d'objectif chiffré. Mon propos –celui du Gouvernement – est d'établir des peines justes et efficaces, des peines qui correspondent à l'infraction et à la personnalité de celui qui l'a commise. Je dois dire que les libérations qui ont été prononcées de manière anticipée durant la crise sanitaire ont débouché sur peu d'échecs : nous n'avons relevé qu'une trentaine de réincarcérations, pour 6 600 personnes libérées avant la fin de leur peine. Ces chiffres ne traduisent pas, me semble-t-il, un échec de cette politique.
Troisièmement, monsieur le sénateur, il ne faut pas faire d'amalgame.
M. Bruno Retailleau. Quel amalgame ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce serait une erreur ; selon moi, de tels propos ne doivent pas être tenus dans cette assemblée. Ce qui se passe à Dijon est grave, dramatique ; nous devons soutenir les forces de l'ordre et combattre les personnes qui sont à l'origine de ces violences. Cela étant, je vous ferai observer qu'aucune des personnes gardées à vue à la suite de ces violences n'était sortie récemment d'incarcération.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Aucune n'avait bénéficié des libérations anticipées des derniers mois. Il est très important de ne pas faire d'amalgame ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
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