M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Ma question s'adresse au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Depuis des mois, la Turquie de M. Erdogan multiplie les provocations à l'égard de ses alliés occidentaux : chantage aux flux migratoires, achat d'armes russes pour fragiliser l'OTAN, forages gaziers illégaux dans les eaux grecques et chypriotes, offensives contre nos alliés kurdes en Syrie, ingérence en Libye.
Pis encore, de manière irresponsable, au lieu d'agir en faveur de la paix, la Turquie attise le terrible conflit du Haut-Karabakh en envoyant des avions, des drones suicides et des mercenaires pour soutenir l'offensive de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie.
Cela n'est pas encore suffisant. Alors que la France vient de traverser un drame épouvantable, le président turc offense, par ses propos, le Président de la République, insultant par là même notre pays, tout entier. Le comble de l'inacceptable est cet amalgame inadmissible avec la situation des juifs dans les années trente, qui donne la nausée.
Monsieur le ministre, va-t-on une fois de plus et sans réagir supporter longtemps d'être le bouc émissaire de la crise économique et politique qui secoue la Turquie ?
Si la Turquie nous trouve aussi infréquentables, va-t-on, par exemple, continuer à lui prêter chaque année 300 millions d'euros – 3 milliards lui ont été avancés depuis dix ans –, montant que l'Agence française de développement (AFD) s'apprête, cette année, à porter à 400 millions d'euros ? Connaissez-vous, monsieur le ministre, un banquier qui prête de l'argent pour se faire copieusement insulter ?
La France, nous dit-on, a, comme ses voisins, des intérêts économiques en Turquie. Je ne les méconnais pas, mais l'appel au boycott des produits français est déjà une réponse qui devrait nous inciter à beaucoup plus de lucidité sur l'avenir de nos entreprises dans ce pays.
Ma question est bien simple : quelles mesures allez-vous prendre, au niveau national comme au Conseil européen de décembre prochain, où le soutien de nos amis est un peu mou,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Christian Cambon. … pour sanctionner ce dirigeant nationaliste qui veut jouer à l'empereur ottoman, alors qu'il fait offense à son peuple et à l'histoire même de la Turquie ?
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDPI, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président Cambon, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est retenu par un deuil familial.
Je rejoins en tout point ce que vous vous dites sur la Turquie et vous remercie de l'unité que vous permettez par votre soutien. Le dernier épisode du président Erdogan, qui repousse chaque jour les frontières de l'inacceptable – cette fois, en insultant le Président de la République – est révélateur, non pas d'un moment de tension passager, mais de la stratégie d'ensemble de la Turquie, qui, comme vous l'avez décrit, consiste à multiplier les provocations tous azimuts. L'objectif est toujours le même : exercer une pression maximale sur ses voisins et singulièrement, bien sûr, sur l'Union européenne.
Nous avons trop longtemps été naïfs. Puisque vous rappelez les propos qui ont été tenus à l'égard du Président de la République, je crois que c'est l'honneur de la France et du chef de l'État que d'avoir, en particulier tout au long des derniers mois, essayé de dessiller les yeux de l'Union européenne sur ce qu'est la réalité du régime turc actuel et de sa politique étrangère. De fait, du Haut-Karabakh à la Libye, en passant par la Méditerranée orientale et les insultes dont vous avez fait état, c'est la même stratégie qui est à l'œuvre.
Je crois que nous avons été le fer de lance de cette prise de conscience européenne, qui, vous avez raison, n'est pas encore suffisante. Cependant, les mots de solidarité qui ont été exprimés sans ambiguïté ces derniers jours par l'ensemble des dirigeants européens sont aussi un fait nouveau, qui marque l'évolution du consensus vers la position de fermeté qu'a défendue la France.
Nous irons plus loin. Nous continuerons cette stratégie de réactions françaises et européennes. Cela peut passer par de nouvelles sanctions. Je rappelle que la France en avait déjà pris l'initiative l'an dernier, après les forages dans les eaux chypriotes. Nous avons un rendez-vous au Conseil européen de décembre : nous pousserons évidemment en faveur de mesures européennes fortes, dont la possibilité de sanctions.
Il faut être précis : cela ne doit pas être le résumé de notre politique étrangère, y compris à l'égard de la Turquie. Le Président de la République n'a pas hésité non plus à réagir par une présence militaire renforcée, par exemple en Méditerranée orientale, cet été.
Sur la question des financements français et européens, l'Agence française de développement est active depuis 2004 en Turquie. Elle est en train de revoir sa politique d'intervention en Turquie, comme elle doit d'évidence le faire.
Je tiens à signaler, pour lever toute ambiguïté, que, d'ores et déjà, aucune subvention n'est versée à la Turquie. Il existe un certain nombre de prêts, qui ne transitent pas par l'État turc…
M. le président. Il faut conclure.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. … et qui soutiennent un certain nombre d'actions de la société civile. Nous reverrons aussi cette politique française et européenne de prêts à la Turquie, parmi d'autres instruments de réponse, dans les prochains mois.
En tout état de cause, je vous remercie de votre soutien, monsieur le président Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.