M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour le groupe Union Centriste.
(Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. « M. le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la sous-préfecture l'emporte majestueusement au concours régional de la Combe-aux-Fées. […] Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu'il regarde tristement. »
Et si M. le sous-préfet regarde si tristement sa serviette, c'est parce qu'il sait qu'il va être la victime collatérale de la crise des gilets jaunes et des errements de l'administration pendant la période du covid.
(Sourires sur plusieurs travées.)
Victime par ricochet, M. le sous-préfet est d'autant plus triste après vos dernières annonces, monsieur le Premier ministre. Comme nous, vous avez certainement lu la lettre d'Alphonse Daudet avec beaucoup de plaisir. Vous vous souvenez qu'emporté par sa passion le sous-préfet faisait des vers. Je ne suis pas sûr qu'il s'en contente après votre réforme : faute de statut, il ira pantoufler, il entrera dans le grand mercato des hauts cadres dirigeants.
(M. le Premier ministre manifeste son exaspération.)
Peu à peu, l'État sera vidé de son armature et privé de la stabilité qui fait sa marque : ou alors il faudra que nous acceptions une haute fonction publique qui succombe aux chants des sirènes, ceux sonnants et trébuchants de rémunérations comparables à celles du privé.
(M. le Premier ministre lève les yeux au ciel.)
Sont-ce les prémices d'un système des dépouilles à la française ? Est-ce ainsi que vous voulez dessiner la France ?
Le problème, ce n'est pas la qualité du corps préfectoral : c'est ce que l'on attend de lui comme serviteur d'un territoire ; c'est le cadre qu'on lui offre pour accomplir sa mission.
Monsieur le Premier ministre, la France n'a-t-elle pas besoin du corps préfectoral, à l'heure où le monde rural souffre ?
La France n'a-t-elle pas besoin d'un système qui a montré toute son efficacité depuis deux cents ans ?
La France n'a-t-elle pas besoin d'une école aussi prestigieuse que l'ENA pour étendre son influence à l'international ?
(Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le sénateur, ce matin en conseil des ministres, j'ai effectivement présenté une ordonnance qui réforme l'encadrement supérieur de l'État.
Vous le savez, il s'agit non pas d'une réforme de l'ENA, mais bien d'une réforme de l'État. À cet égard, je tiens à rappeler certaines vérités : depuis quelques quinquennats, cette réforme s'est soldée par l'affaiblissement de l'État.
Ici, dans les rangs de la droite,…
Mme Laurence Rossignol. Dont vous venez !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … certains ont défendu la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP…
(Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Avec vous !
M. Roger Karoutchi. Où étiez-vous à ce moment-là ? Avec nous, dans les cabinets ministériels !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Qu'ont-ils fait ? Ils ont vidé les préfectures et les sous-préfectures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.) Ils ont affaibli de 30 % l'armature des forces vives qui s'occupent réellement des Français là où ils sont.
Cette réforme n'a pas été comblée par la gauche, je vous rassure…
(Exclamations à gauche.)
Aujourd'hui, notre gouvernement ne suit pas une approche comptable : il cherche à remettre sur le terrain des hommes et des femmes compétents, choisis parce qu'ils ont du métier, parce qu'ils ont reçu une formation et parce qu'ils répondent aux besoins des Français.
(M. Édouard Courtial proteste.)
Comme en 1945, nous regardons notre pays en face. Nous regardons ses faiblesses, ses forces et ses défis.
Le monde a changé depuis 1945. Qu'il s'agisse des technologies, notamment du numérique, ou du climat, nous devons former autrement et recruter autrement.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, le spoil systemque certains décrivent ne correspond pas à nos valeurs et, pour ma part, en tant que ministre de la fonction publique, j'assume le choix de remettre des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires sur le terrain.
Je suis la première ministre de la fonction publique depuis quinze ans à avoir remis des hauts fonctionnaires dans les départements : ces hommes et ces femmes, ce sont les sous-préfets à la relance, que vous avez d'ailleurs critiqués !
(Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
J'assume aussi de défendre le statut de la fonction publique. J'entends d'anciens ministres, notamment certains de mes prédécesseurs de droite,…
Mme Sophie Primas. Mais d'où venez-vous ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … appeler à bazarder tout simplement le statut de la fonction publique.
M. Roger Karoutchi. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. « Plus de statut, rien que des contrats ! » Cette politique n'est pas la nôtre.
Enfin, j'assume notre choix face aux logiques de corps : préférer systématiquement les compétences, les métiers et les personnes !
(Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Pierre Louault et Bernard Fialaire applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Madame la ministre, je pensais que votre réforme avait été construite sans la participation des énarques : mais M. Longuet nous a rappelé que le Premier ministre était l'un d'eux. Raison de plus pour défendre l'ENA et le corps préfectoral !
(Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
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