M. Guillaume Gontard interroge Mme la ministre des armées sur l'état des lieux de l'enquête interne lancée suite aux révélations de l'opération Sirli.
Le lundi 22 novembre 2021 étaient publiés par le média d'investigation Disclose des documents issus des services de l'Élysée, du ministère des armées et de la direction du renseignement militaire, révélant l'implication possible de nos forces armées dans un minimum de 19 bombardements contre des civils dans le nord de l'Égypte entre 2016 et 2018, dans le cadre d'une opération de renseignement visant à soutenir ce pays dans la lutte contre le terrorisme, opération commencée en février 2016.
Les éléments publiés indiquent également que le pouvoir exécutif français aurait été informé rapidement que les objectifs que poursuivait l'Égypte, grâce à l'appui des forces armées françaises, relevaient en priorité de la lutte contre le trafic transfrontalier et contre l'immigration illégale et que la lutte contre le terrorisme était un objectif secondaire. Le pouvoir exécutif français aurait été informé que, en conséquence, les victimes des bombardements menés grâce aux missions de renseignement françaises étaient des civils, protégés par le droit international humanitaire.
De tels événements, s'ils étaient avérés, constitueraient des faits d'une gravité extrême. Cette campagne d'exécutions arbitraires menée par l'Égypte relèverait de sérieuses violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme et les faits reprochés à la France dans cette affaire seraient de nature à mettre en cause sa responsabilité pour fait internationalement illicite, selon les critères de la résolution 56/83 du 28 janvier 2002 de l'assemblée générale des Nations unies.
Par ailleurs, quelle que soit la responsabilité de la France par le biais de l'opération susmentionnée, si ces allégations étaient fondées, elles remettraient en cause les nombreuses coopérations que les gouvernements français successifs ont conclues avec l'Égypte depuis plusieurs années, qui en ont fait un partenaire de premier plan dans la région, en particulier via le partenariat stratégique récemment approfondi par la vente de 30 avions Rafale et équipements associés. La vente de ces systèmes d'armement à l'Égypte, alors que l'exécutif en aurait connu les agissements illicites, irait à l'encontre des réglementations en vigueur concernant les exportations d'armements, dont le traité sur le commerce des armes et la position commune de l'Union européenne en la matière.
Il rappelle qu'il a posé une question écrite n° 23682 le 8 juillet 2021 au sujet de la conclusion du contrat portant sur les Rafale, qui n'a pas obtenu de réponse. Au moment de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et alors que notre pays est mobilisé pour la construction de la défense européenne, ce sujet affecte sérieusement la crédibilité de la France.
Les jours suivant les révélations de Disclose, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères avait fait part de son « interrogation » et la ministre des armées annonçait diligenter une « enquête interne pour vérifier que les règles ont bien été appliquées » par les partenaires égyptiens car « les contours de cette mission de renseignement répondent à des exigences extrêmement strictes : il s'agit de lutte contre le terrorisme, à l'exclusion de problématiques domestiques ».
Aussi il lui demande de bien vouloir préciser l'état des lieux de cette enquête, près de 3 mois après son lancement, et comment les informations publiées au sujet de l'opération Sirli ont été prises en compte dans l'attribution des licences à l'exportation des armements avec l'Égypte, en amont de la conclusion des contrats récents.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la question n° 2147, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Guillaume Gontard. Il est possible que nos forces armées soient impliquées dans au moins dix-neuf bombardements contre des civils effectués dans le cadre d'une mission de renseignement lancée en 2016 dans le nord de l'Égypte.
C'est ce qu'a révélé le 22 novembre dernier le média Disclose, en s'appuyant sur des documents issus des services de l'Élysée et du ministère des armées.
Les éléments publiés indiquent que l'exécutif a été rapidement informé du détournement, par le régime égyptien, de cette mission visant à lutter contre le terrorisme vers la lutte contre le trafic transfrontalier et l'immigration illégale.
Ces faits, s'ils étaient avérés, seraient d'une gravité extrême. Ils mettent en cause la responsabilité de la France dans une campagne d'exécutions arbitraires, possiblement en connaissance de cause.
Depuis ces événements, le Gouvernement a poursuivi le partenariat avec l'Égypte, en particulier par les ventes d'armes. Ainsi, trente avions Rafale et des systèmes de surveillance ont été vendus à un État qui, selon des documents issus de votre propre ministère, madame la ministre, exécuterait arbitrairement des civils.
Au passage, j'attends toujours une réponse à ma question écrite portant sur ce sujet.
Non seulement ce partenariat constitue une violation évidente des valeurs humanistes que nous défendons, mais il piétine aussi allègrement nos engagements devant la communauté internationale.
Il y a bientôt trois mois, la ministre des armées annonçait diligenter une enquête pour vérifier que les règles fixées avec l'Égypte avaient été respectées.
Madame la ministre, j'ai deux questions à poser : où en est cette enquête trois mois après son lancement et comment les informations publiées sur cette opération ont-elles été prises en compte, notamment pour l'attribution des licences d'exportation vers l'Égypte ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, la mission dont vous parlez a été engagée dans le cadre du partenariat stratégique établi avec l'Égypte, dont un des objectifs majeurs – je veux le préciser – est la lutte antiterroriste. Elle vise à répondre prioritairement aux besoins en renseignements du partenaire.
S'agissant des conclusions de l'enquête interne demandée par la ministre des armées au chef d'état-major des armées, elles démontrent que la mission a fait l'objet d'un cadrage clair et que des mesures préventives strictes ont été mises en place : organisation cloisonnée et capacités limitées.
La prévention d'un éventuel risque de dérive a donné lieu à un suivi dans la durée, ce qu'attestent à la fois les rapports des différents détachements qui se sont succédé et les directives en provenance du commandement. Les mesures adoptées et les limitations techniques posées ont été constamment appliquées et rappelées au partenaire.
Compte tenu de la matière dont il est question, monsieur le sénateur, les résultats de cette enquête sont également placés sous la protection du secret de la défense nationale, sans préjudice toutefois de la pleine collaboration du ministère des armées avec la justice.
Concernant l'adaptation de notre politique d'exportation que vous évoquiez, je rappelle que, quel que soit le pays destinataire, les autorisations d'exportation d'armes sont délivrées sous l'autorité du Premier ministre à l'issue d'un examen approfondi et rigoureux. Les demandes de licences sont étudiées en tenant compte notamment des conséquences de l'exportation considérée pour la paix et la sécurité régionales, de la situation intérieure du pays de destination et de ses pratiques en matière de respect des droits de l'homme, ou encore du risque de détournement au profit d'utilisateurs finaux non autorisés.
Ces exportations se font dans le strict respect de nos obligations internationales et européennes et de nos engagements en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, j'entends ce que vous dites, mais les parlementaires devaient être informés des éléments de cette enquête. Nous avons besoin d'éléments approfondis. Les parlementaires vous sollicitent à ce sujet depuis bientôt trois mois.
La semaine dernière, la Commission européenne a fini par demander à la France si elle avait autorisé la vente d'une technologie de cybersurveillance à l'Égypte. Il s'agit d'une première, en pleine présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.