M. Bernard Bonne attire l'attention de Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur l'obligation pour les organisations de solidarité internationale et de développement de désormais « cribler » les bénéficiaires finaux de l'aide publique au développement, pour les activités qui ne relèvent pas de l'aide d'urgence.
Ces organisations doivent procéder à la vérification de l'identité des bénéficiaires finaux, quel que soit le type de soutien dont ils bénéficient dans les secteurs spécifiques définis en fonction de leurs besoins.
Le Gouvernement a, certes, aménagé un régime spécifique pour les acteurs de l'action humanitaire qui bénéficient d'un allègement de ces exigences de criblage ; mais les principes de neutralité et de non-discrimination sur lesquels il s'appuie peuvent également être transposés au champ du développement et de la solidarité internationale.
Le « criblage » des populations fait ainsi peser un risque éthique fort et d'entrave à l'action de solidarité de ces organisations non gouvernementales (ONG) et aucun pays européen n'a mis en place un tel mécanisme.
Le Gouvernement explique que cette mesure doit répondre aux enjeux de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent ; il fait ainsi reposer sur les organisations de solidarité internationale la mise en œuvre de sa politique et transforme ces acteurs en opérateurs de contrôle des populations.
Aussi, alors que la mise en œuvre opérationnelle d'un tel dispositif risque de s'avérer inopérante eu égard à la situation dans de nombreux pays d'intervention, il demande au Gouvernement de bien vouloir revenir sur ce dispositif de criblage et préserver ainsi les valeurs d'une solidarité internationale efficace.
Des lignes directrices en matière de criblage ont été transmises au Parlement à la fin de l'année 2021, conformément aux dispositions de l'article 17 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ces lignes directrices sont l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois, qui a fait l'objet d'échanges multiples avec les organisations de la société civile dès le premier trimestre 2021. Le Parlement sait l'importance que cette question a revêtue pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), et les efforts que l'ensemble de ses équipes ont déployés pour parvenir à un document le plus équilibré possible. Ces lignes directrices en matière de criblage ont été conçues afin de garantir le respect des engagements internationaux et européens de la France en matière de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme et de permettre aux organisations de la société civile de continuer de déployer leurs activités, essentielles à la politique française d'aide au développement. Elles retiennent une approche fondée sur la finalité de l'action, reposant sur un faisceau de critères objectifs. Elles encadrent ainsi une minorité de projets, uniquement ceux impliquant des transferts monétaires et les dons de biens monétisables vers les bénéficiaires finaux. Ces lignes réaffirment, comme l'avait annoncé le Président de la République lors de la Conférence nationale humanitaire du 17 décembre 2020, l'application pleine et entière du principe de non-discrimination dans l'attribution de l'aide suivant les besoins des populations en situation de risque humanitaire. Elles se fondent également sur le postulat que certaines actions s'inscrivent dans le cadre d'un continuum avec l'action humanitaire et que la notion d'aide à des populations en situation de risque humanitaire doit constituer la pierre angulaire du raisonnement à tenir, permettant d'exempter de criblage la grande majorité des projets mis en œuvre par les organisations de la société civile. L'approche retenue se fonde sur la nécessité de mettre en œuvre les diligences, le cas échéant, de manière proportionnée, raisonnée et adaptée aux contextes de terrain, tout en veillant à analyser et atténuer les risques et à accompagner les acteurs de la société civile. Concernant les projets mis en œuvre sur financements de l'Agence française de développement (AFD), la logique retenue est donc celle du faisceau d'indices permettant de caractériser la finalité d'un projet répondant directement, ou non, aux besoins essentiels des populations en situation de risque humanitaire. L'État français n'exigera donc pas le criblage des bénéficiaires finaux de l'aide, lorsque les projets impliquant des transferts monétaires ou des dons de biens monétisables aux bénéficiaires finaux seront mis en œuvre en zones de crise ou dans le cadre d'une aide d'urgence, et s'inscriront dans les secteurs couverts par les plans de réponse humanitaire des Nations unies. En outre, les lignes directrices prévoient un certain nombre d'exceptions qui sont autant d'éléments de flexibilité qui permettront de ne pas exiger le criblage des bénéficiaires finaux. Ce sera le cas notamment lorsque les bénéficiaires finaux de l'aide ne disposent pas de documents légaux d'identité ou lorsque les bénéficiaires de cette aide pourraient être exposés à des persécutions en raison de leur engagement ou de leur identité. Enfin, le criblage des bénéficiaires finaux ne sera pas non plus exigé lorsque les montants transférés seront faibles dans certains cas précis, exposés dans ces lignes directrices. De ce fait, et du fait des exceptions introduites, le continuum entre aide d'urgence et stabilisation ne sera pas rompu et seul un nombre limité des projets mis en œuvre par nos partenaires de la société civile sur financements du MEAE ou de l'AFD devraient nécessiter un criblage des bénéficiaires finaux. Parallèlement à la mise en place progressive de ces lignes directrices, la plateforme des organisations non gouvernementales françaises Coordination SUD, aux côtés de sept autres organisations non gouvernementales françaises, a saisi le Conseil d'État en déposant un référé en urgence et un recours en annulation pour contester ces lignes directrices en matière de criblage. Le Conseil d'État n'a pas donné suite à leur référé en urgence. Sans préjuger de la décision que rendra le Conseil d'État en réponse au recours en annulation que ces organisations ont formulée, l'État demeure engagé en faveur de l'accomplissement des missions de développement menées sur le terrain par les organisations de la société civile au service des populations locales, dans le respect de nos engagements en matière de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent.
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