M. Gérard Lahellec attire l'attention de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur la stratégie de mise en location-gérance initiée par le groupe Carrefour. Celle-ci consiste pour le groupe à céder l'exploitation du fonds de commerce de ses magasins à des tiers, les locataires gérants, moyennant le paiement d'une redevance, le rachat du stock magasinier sous la forme de prêt et surtout le transfert automatique des contrats des employés du magasin.
Le groupe Carrefour met en exergue l'élaboration de clauses sociales protectrices dans les accords collectifs. Toutefois la location-gérance, qui entraîne un changement d'employeur pour le personnel de l'ensemble transféré, met en cause les accords qui régissaient jusque-là ce personnel. L'accord continuera de produire ses effets seulement jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis de trois mois, sauf si une clause prévoit une durée supérieure. En pratique, ces accords se substituent quinze mois après le transfert par la convention collective de branche, bien moins protectrice.
Par ailleurs, cette précarisation de l'emploi des salariés est d'autant plus regrettable que les justifications de cette stratégie apportées par le groupe Carrefour paraissent insuffisantes. D'une part, si la location-gérance est présentée comme le moyen de redresser des magasins en difficultés financières, aucun document comptable ne vient corroborer ces dernières, le groupe n'ayant pas donné suite au droit d'alerte du comité social et économique. D'autre part, le fait que les locataires gérants ne soient pas autonomes et continuent en pratique à s'approvisionner dans la centrale d'achat du groupe donne l'impression que, par cette stratégie, le groupe Carrefour maintient son activité économique en se délestant du coût des cotisations salariales. Enfin, la mise en location-gérance de magasins non rentables, conduisant parfois consécutivement le locataire gérant à déposer le bilan, fait alors peser la prise en charge des indemnités de licenciement en totalité sur l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés en totalité, sans frais pour le groupe Carrefour.
Ainsi, s'il est vrai que la stratégie de location-gérance est conforme au cadre légal, il n'en apparaît pas moins qu'elle induit une précarisation de l'emploi et permet, en pratique, aux grandes entreprises de contourner le dispositif protecteur du plan de sauvegarde de l'emploi. Compte tenu de cela, il lui demande si des garanties protectrices ne pourraient pas être apportées aux salariés dont les magasins ont été passés en location-gérance.
Au terme de l'article L. 144-1 du code de commerce, la location-gérance se définit comme « tout contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ou d'un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls ». La conclusion d'un contrat de location-gérance entre pleinement dans le champ de l'article L. 1224-1 du code du travail, qui prévoit que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ». Ainsi en a décidé une jurisprudence constante, notamment en dernier lieu un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 18 décembre 2000, n° 98-41.178, publié au Bulletin civil, 2000, V, n° 425, p. 326 : « Attendu, cependant, que la mise en location-gérance du fonds de commerce avait entraîné le transfert d'une entité économique, dont l'activité a été poursuivie par le locataire-gérant, qui était tenu, en application de l'article L. 122-12 du code du travail, de reprendre les contrats de travail des salariés […] ». Dès lors, la mise en location-gérance de magasins du groupe CARREFOUR n'entrainera aucune modification des éléments essentiels du contrat de travail des salariés concernés par le transfert, notamment en matière de rémunération et de conditions de travail. En ce qui concerne les avantages collectifs, les dispositions de l'article L. 2261-14 du code du travail prévoient que lorsque l'application d'une convention ou d'un accord est mise en cause dans une entreprise en raison notamment d'une cession, cette convention ou cet accord continue de produire ses effets jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué, ou à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, soit quinze mois au total, sauf clause prévoyant une durée supérieure. A l'expiration de ce délai, en l'absence de nouvelle convention ou de nouvel accord, les salariés affectés ont droit au maintien de leur rémunération perçue au cours des douze derniers mois. La jurisprudence a décidé que les dispositions précitées de l'article L. 2261-14 étaient applicables en cas de location-gérance : « une location-gérance, qui entraîne changement d'employeur pour le personnel de l'ensemble transféré, met en cause au sens de l'article L. 2261-14 les conventions et accords qui régissaient jusque-là ce personnel » (Cass. 2° civ, 9 avril 2009, Bull. civ. 2009, II, n° 99). Dès lors, la mise en location-gérance de magasins du groupe CARREFOUR, si elle entraîne effectivement une mise en cause des éventuels conventions ou accords collectifs d'entreprise, ouvrira cependant droit au bénéfice d'une garantie de rémunération versée selon les modalités prévues à l'article L. 2261-14 du code du travail, pour tous les salariés concernés par le transfert.
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