M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
(Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, mes chers collègues, compte tenu de la gravité du sujet et de son caractère interministériel, ma question s'adresse à Mme la Première ministre. J'y associe mes collègues Catherine Conconne et Victoire Jasmin.
Elle porte sur le non-lieu, prononcé le 2 janvier dernier, dans l'enquête sur la contamination et la pollution au chlordécone. Je respecte les décisions de justice, mais en l'espèce, personne ne pourrait s'en satisfaire.
Cette décision est un indéniable déni, susceptible d'allumer des brasiers. Il n'y aurait en effet ni coupable ni responsable.
Bien qu'elle fût attendue, cette décision ajoute au scandale d'État un scandale judiciaire, madame la Première ministre.
Au-delà des actions menées par tous les gouvernements et par le vôtre, des plans mis en place et de la reconnaissance de la carence fautive des pouvoirs publics, je considère que l'État est un coresponsable majeur de cette tragédie, dont il demeure, de ce fait, comptable. Quelque quarante-six ans après les premières alertes et seize ans après la première plainte, vous ne pouvez rester indifférente.
Je formulerai quatre interrogations, madame la Première ministre.
Au-delà des suites que les parties civiles ne manqueront pas d'intenter, comptez-vous tout faire, dans le respect du droit, pour que le parquet rouvre ce dossier ?
Êtes-vous prête à créer un fonds d'indemnisation pour toutes les victimes ?
Êtes-vous prête à faire pour les victimes du chlordécone ce qui a été fait pour les victimes de l'amiante ?
Êtes-vous prête à renforcer l'action de l'État en faveur de la recherche fondamentale et de la dépollution des eaux et des sols ?
J'attends de vous une réponse humaine, débarrassée de toute vaine polémique.
(Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Catherine Conconne. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je constate comme vous – j'ai eu l'occasion de le dire hier à l'Assemblée nationale – la décision prise librement par les autorités judiciaires. Un membre du Gouvernement ne peut qu'en prendre acte.
J'ai bien lu les attendus de l'ordonnance : ils pointent une responsabilité collective dans ce scandale sanitaire. Mais comme vous l'avez indiqué, cela n'amoindrit en rien la responsabilité de l'État face à ce scandale. Celui-ci a d'ailleurs été reconnu pour la première fois par le Président de la République en 2018, et nous devons continuer d'avancer sur ce chemin.
Notre priorité commune est de protéger la santé de nos concitoyens, d'aider les secteurs économiques affectés et de renforcer la recherche. Avec Gérald Darmanin et le ministre de la santé et de la prévention, le Gouvernement s'est engagé et s'engage encore à répondre à ces enjeux.
Plusieurs avancées fortes, j'y insiste, ont déjà été obtenues : la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle ouvrant droit à indemnisation, l'analyse gratuite du taux de chlordécone dans le sang, l'analyse des sols ou encore les importants de travaux de recherche engagés pour la dépollution des sols.
Le colloque scientifique Chlordécone, connaître pour agiret les rencontres de terrain organisées au mois de décembre dernier ont été l'occasion de porter à la connaissance de tous ces nombreuses avancées, mais ils ont également montré qu'il y avait encore beaucoup à faire.
Je prends donc note de vos propositions, monsieur le sénateur. Nous les étudierons avec attention et avec la volonté d'aboutir.
Si l'ordonnance est le droit et la chose jugée, nous continuerons d'avancer. Je me rends en Martinique dès demain, en partie pour cela. La coordonnatrice du plan chlordécone m'accompagnera à cet effet.
(Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour la réplique.
M. Victorin Lurel. Madame la Première ministre, je regrette que vous n'ayez pas saisi l'occasion d'exprimer votre considération pour les populations de Martinique et de Guadeloupe, frappées de sidération et déjà marquées dans leur chair.
Monsieur le ministre, votre réponse, que je connais, est celle d'un communicant. Vous savez fort bien que tous les gouvernements ont engagé des actions et que les plans chlordécone, notamment le plan chlordécone IV, est insuffisant, parce qu'il est sous-financé.
Seulement 2,4 millions d'euros par an sont consacrés à la recherche fondamentale, quand il en faudrait au moins 5. Et seulement 10,8 millions d'euros par an sont consacrés aux plans chlordécone, quand ce budget s'élevait à 12 millions d'euros en 2010, durant le mandat de M. Sarkozy, et à 13 millions d'euros en 2016. C'est insuffisant.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. Je demande que, comme il l'a fait dans le cas de l'amiante, le Gouvernement nous fasse bénéficier du préjudice d'anxiété. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
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