M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le ministre, nous achetons à l'étranger des œufs qui ont été pondus dans des cages que nous avons vendues.
Nous y achetons des cerises, parce qu'on a arraché nos cerisiers, et bientôt nos pommiers et noisetiers.
Nous achetons du poisson déchargé de bateaux battant pavillon étranger, parce qu'on a détruit et que l'on continue de détruire notre flotte, alors que nous nous targuons de posséder le deuxième domaine maritime mondial.
Déjà, les fruits et légumes, faute de main-d'œuvre – et demain peut-être les endives – sont laissés en terre, faute à une énergie trop chère, que l'on brade aux concurrents d'EDF.
Malgré le plan Protéines, le sucre ou les lentilles sont importés de pays, où sont autorisés des traitements qui sont interdits ici.
Ajoutez à cela l'angoisse des règlements, des contrôles, des injonctions contradictoires, des charges administratives et l'incertitude des revenus soumis aux négociations annuelles… Vous le voyez, le « compte de faits » ne fait pas rêver la profession agricole, qui s'interroge sur la place réelle et sur l'avenir que vous lui réservez.
Exposée à ces vents contraires, la ferme France s'affiche cette semaine en lettres capitales, pour proclamer la qualité des productions et l'engagement des hommes et des femmes pour des produits respectueux des exigences sanitaires et durables, pour protéger les consommateurs et notre environnement.
Croyez-vous que les agriculteurs refusent de se lancer dans des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan) et préfèrent répandre plus de nitrates, dont les coûts ont plus que triplé ?
Croyez-vous que les agriculteurs ou les industriels ont attendu les déclarations du Président de la République évoquant la fin de l'abondance au sujet de l'eau pour économiser cette ressource, alors que des entreprises comme Cristal Union, dans la Somme, utilisent l'eau même des betteraves pour leur cycle de production de sucre et ne puisent rien dans les nappes pour gagner en compétitivité et répondre aux exigences environnementales ?
M. Olivier Véran, ministre délégué. C'est vrai !
M. Laurent Somon. L'agriculture est soumise à la nature et au temps.
Monsieur le ministre, faites-vous, résigné, le choix de son déclin ou celui d'une agriculture vitrifiée et d'importation, voire in vitro ?
La ferme France a besoin de connaître le cap pour adapter son évolution, dépendante de la recherche technique et génétique, ainsi que les moyens alloués et le pas de temps nécessaire.
Ce temps politique, c'est maintenant, monsieur le ministre ! Quelle est votre ambition ?
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Jacquemet et Françoise Férat, ainsi que M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Laurent Somon, je partage votre constat selon lequel les agriculteurs ne nous ont pas attendus pour identifier des solutions.
Vous citez l'entreprise Cristal Union et l'usine de betteraves, capable de recycler l'eau en totalité. Figurez-vous que je me suis rendu sur place pour constater, avec les responsables de ladite usine, qu'ils avaient mis, dans le bon sens du terme, la charrue avant les bœufs, en réduisant fortement leur consommation énergétique et en réduisant considérablement leur consommation d'eau. C'est donc possible !
En tant que représentants de l'État, nous devons être capables, d'abord, de colliger ces bonnes pratiques, de les enregistrer, de les reconnaître et de les soutenir, mais aussi de les faire essaimer dans l'ensemble des entreprises du secteur agricole et sur l'ensemble du territoire national.
Voilà ce que nous appelons restaurer la compétitivité de la ferme France. Il faut aussi partir de ce qui fonctionne sur le terrain et de l'exemple que nous montrent celles et ceux qui aiment profondément la terre, qui aiment la cultiver et nourrir les Français. Telle est véritablement notre ambition.
Un rapport du Sénat a montré que, depuis 1990, la compétitivité de la ferme France s'était progressivement effritée. C'est la raison pour laquelle nous tenons fermement à identifier des solutions.
Depuis 2017, des choses ont été faites. Nous avons mis par exemple le revenu agricole au cœur de notre politique, au travers notamment de la loi dite Égalim 2 (loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs). Vous l'avez votée, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous en remercie !
Cette loi vise à ce que le juste prix ne soit plus seulement le prix bas, mais tout simplement celui qui permet à nos agriculteurs de vivre. Il s'agit d'une véritable rupture avec la loi de modernisation de l'économie de 2008, dite LME.
Vous aurez par ailleurs prochainement l'occasion d'assurer la prolongation du SRP+10, qui est un des leviers du dispositif Égalim.
Nous avons également engagé des transitions ambitieuses dans le cadre, par exemple, du Varenne de l'eau. Il est important de regrouper les parties prenantes et de discuter ensemble pour identifier les bonnes solutions. Je pense encore à la réforme de l'assurance récolte ou au travail mené sur la réutilisation des eaux usées.
Les agriculteurs, qui sont bien souvent les premières victimes, le savent parfaitement : l'adaptation au changement climatique et la souveraineté alimentaire sont un seul et même combat.
Voilà ce que nous appelons la logique de planification écologique, qui rejoint la logique de planification agricole. Ce projet est porté à bras-le-corps par le ministre en charge de l'agriculture et, évidemment, par la Première ministre.
(M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.
M. Laurent Somon. Monsieur le ministre, en vingt ans, la France a vu son industrie décliner. Nous importons désormais voitures, médicaments, jusqu'à notre électricité.
Demain, si vous ne remettez pas en cause vos choix, nous perdrons nos agriculteurs, les vocations et notre souveraineté alimentaire.
Nous avons laissé notre industrie décliner, n'en faisons pas de même avec notre agriculture !
Redonnez confiance à nos agriculteurs, que nous n'ayons pas à répéter au président ce que Fénelon écrivait en 1694 à Louis XIV : « La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
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