Déposé le 18 mars 2013 par : Mme Garriaud-Maylam.
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger (n° 425, 2012-2013).
Le projet de loi a pour effet de proroger le mandat des conseillers de l'AFE de la série B d'une année supplémentaire. L'exposé des motifs justifie cette mesure par le souci de « mettre en place tout l'appareil législatif et règlementaire nécessaire »et d'éviter ainsi l'élection de conseillers de l'AFE pour un mandat qui serait écourté un an plus tard à l'occasion de l'installation de la nouvelle AFE.
Ce projet apparaît contraire à la Constitution pour trois motifs :
Premièrement, il porte atteinte aux droits des électeurs tels que garantis à l’article 3 de la Constitution. Il remet en effet en cause leur capacité à exercer leur droit de suffrage selon une « périodicité raisonnable ».Le Conseil constitutionnel a rappelé cette exigence dans plusieurs décisions. Il a précisé qu’une prorogation de mandat devait avoir un caractère exceptionnel et transitoire, être limitée dans le temps et être strictement nécessaire à la réalisation de l'objectif de la loi. Il n’a admis jusqu’ici qu’une prorogation une seule fois par catégorie d’élections et ne s’est pas prononcé sur une succession de prorogations jointe à une amputation du mandat d’une partie des élus.
Le principe de sincérité du suffrage suppose en effet que les électeurs soient informés, au moment de leur vote, des caractéristiques des mandats sur lesquels ils se prononcent, notamment leur durée. Or, le mandat des conseillers à l’AFE de la série B, élus en 2006 pour 6 ans, a déjà été prorogé d’un an par la loi du 15 juin 2011. Le présent projet de loi propose une nouvelle prorogation qui porterait la durée de leur mandat à 8 ans. Comme le souligne le rapport de la Commission des Lois, « un tel allongement est sans précédent au regard des prorogations de mandat les plus récentes. ». Cette accumulation de prorogations sème le trouble dans l’esprit des électeurs, qui n’ont plus aucune certitude sur la durée effective du mandat des candidats ou listes pour lesquels ils votent.
Deuxièmement, la prorogation a un caractère discriminatoire : elle viole l’égalité des élus devant la loi. Elle va en effet conduire à la prorogation du mandat des élus de la série B pour la deuxième fois, alors que le mandat des élus de la série A sera amputé de près de deux ans aux termes de l’article 37 du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France (n° 426 rectifié, 2012-2013). Le mandat des élus de la série B, initialement prévu pour six ans, par l’effet cumulé de la loi du 15 juin 2011 et du présent projet de loi, soit deux prorogations successives, va durer huit ans. Dans le même temps, le mandat des élus de la série A qui avait été prorogé jusqu’en juin 2016 par la loi du 15 juin 2011, sera amputé de près de deux années, puisqu’il devra s’achever au plus tard le 1eroctobre 2014. Les deux projets de loi qui sont liés créent ainsi une différence de traitement abusive et arbitraire entre les élus des deux séries. Cette combinaison de mesures de prorogations/amputation pour des durées importantes constitue bien une violation du principe d’égalité entre les élus.
Troisièmement, la prorogation des mandats des élus de la série B conduirait à une violation de la législation en vigueur. La loi du 7 juin 1982 prévoit, en effet, le commencement dans quelques semaines du processus normal de renouvellement de la série B de l’Assemblée des Français de l’étranger. Or, il est clair que le Gouvernement refusera l’application de cette loi républicaine, même si la nouvelle loi de prorogation n’est pas encore promulguée à la date de commencement normal du processus électoral. Le rapport de la Commission des lois souligne d'ailleurs ce risque : « L'adoption définitive de cette prorogation pourrait […] intervenir au cours du délai de 90 jours précédant le jour du scrutin. Or, en application de l'article 31-1 du décret n°84-252 du 6 avril 1984, un arrêté du ministre des affaires étrangères aurait déjà dû, à cette date, convoquer les électeurs. » Dans ce cas, la loi de prorogation validerait une illégalité commise sciemment par le pouvoir exécutif, qui a pourtant l’obligation constitutionnelle d’appliquer les lois en vigueur.
Or, le Conseil constitutionnel a déjà précisé qu’une validation ne pouvait être décidée qu’à la condition qu’aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne soit méconnu, « sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnel. Enfin, la portée de la validation doit être strictement définie ». (2011-166 QPC, 23 septembre 2011, Journal officieldu 24 septembre 2011, p. 16016, texte n°76, cons. 3 et 4). Ces conditions ne sont ici nullement remplies : la validation envisagée irait à l’encontre de l’intérêt général en portant atteinte à un principe constitutionnel majeur - les droits du suffrage universel et des électeurs - ; la prorogation a un caractère arbitraire et abusif puisque la réforme de l’AFE pourrait être menée sans avoir à proroger ou amputer les mandats des élus actuels ; enfin, la portée de la validation n’est pas strictement définie.
Pour tous ces motifs, ce projet de loi est contraire à la Constitution.
NB:En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.
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