Interventions sur "législateur"

29 interventions trouvées.

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

...uirait à perpétuer ces souffrances. Le négationnisme est odieux. Nous le condamnons tous, sans aucune réserve. La question qui nous est posée aujourd’hui est celle qui consiste à savoir s’il appartient à la loi pénale de dire quels événements historiques peuvent être discutés sur la place publique et quels événements historiques ne souffrent aucune discussion. Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? Le Conseil constitutionnel a rappelé, à de multiples reprises, que « la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ». Je développerai tout à l’heure les raisons qui nous conduisent à penser que la présente proposition de loi encourt un fort risque de censure constitutionnelle. Je voudrais pour l’instant m’attarder sur les raisons p...

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet :

...nt sensible aux nombreuses interrogations et aux fortes réticences qu’elle suscite. Il faut évidemment s’interroger sur la compétence de nos assemblées parlementaires à qualifier des faits historiques et à encadrer, d’une manière ou d’une autre, le travail des historiens. Comme l’a soutenu avec son talent habituel M. Sueur, rapporteur de la commission des lois, la légitimité de l’intervention du législateur dans le jugement de l’histoire et sa compatibilité avec plusieurs principes fondamentaux de notre droit soulèvent de grands risques d’inconstitutionnalité. De la même façon, on ne peut que s’inquiéter de la détérioration de nos relations avec la Turquie, mais également de la perte d’influence de notre diplomatie dans la région. Notre pays se prive de marges de manœuvre internationales sans pour...

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Oui, « le premier texte constitutionnel qui condamne la loi du 29 janvier 2001 est l’article 34 de la Constitution » ! C’est une réalité intangible. L’article du doyen Vedel rappelle que la loi de 2001 « ne porte sur aucune des matières visées par le texte », qu’elle pose ou non des règles au sens de l’article 34. Tout aussi grave, rappelait-il, est l’usurpation par le législateur de compétences concernant les relations internationales et la conduite de la diplomatie. Vous en faut-il davantage ? Oui, nous souhaitons que ce texte fasse l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel ! Oui, ce texte est contraire au principe de la liberté d’expression protégé par les articles XI de la Déclaration des droits de l’homme et par l’article 10 de la Convention européenne de s...

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

J’ai tendance à penser que l’arrivée de cette proposition de loi en pleine période électorale ne facilite pas le jugement du législateur, écartelé entre sa conscience et la discipline de parti. L’histoire ne saurait s’écrire au Parlement, et moins encore avec de telles arrière-pensées. Outre qu’elle musèle la liberté d’expression et la liberté intellectuelle, une telle proposition de loi encourage enfin une compétition des mémoires et un communautarisme préjudiciables à la cohésion nationale. Pour toutes ces raisons, je suis favo...

Photo de Hervé MarseilleHervé Marseille :

... et singulièrement son Parlement – a, me semble-t-il, le droit de se forger une idée de son passé pour fonder son projet d’avenir. Le présent texte vise seulement à compléter la portée normative dont il était originairement privé, comme cela a été fait en Suisse et en Slovaquie. Depuis la reconnaissance par la France du génocide arménien, onze années se sont écoulées. Il nous appartient à nous, législateur, de servir la devise de la République et de veiller à l’égalité de traitement des citoyens devant la loi. Notre collègue Roger Karoutchi l’a souligné. Est-il admissible qu’il puisse exister une différence entre les génocides que nous avons reconnus ? Imaginez la situation dans laquelle un individu aurait tenu des propos négationnistes à la fois à l’encontre de la Shoah et du génocide arménien. ...

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach :

...istes, des écrivains, des intellectuels, des responsables associatifs d’origine turque et arménienne, des juristes ont exprimé des opinions très différentes sur la question. Je les remercie de nouveau de leur précieux concours. Légiférer, c’est écouter, débattre et décider. À l’issue de ces échanges, je suis encore plus convaincu de la nécessité de sanctionner le négationnisme. En le faisant, le législateur est bien dans le rôle que lui confère la Constitution. Ces dernières semaines, les détracteurs de la loi ont utilisé de nombreux arguments. Je souhaite y répondre pour éclairer le débat et ne laisser aucune amertume au sujet de cette loi, qui est du petit-lait pour les défenseurs de la vérité et de la justice. Tout d’abord, des voix se sont élevées pour dénoncer une prétendue volonté du législa...

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach :

Il faut surtout souligner que la proposition de loi sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui vise à incriminer la contestation ou la minimisation d’un génocide quand elle est faite de façon outrancière. Le fait d’ajouter par rapport au texte de mai dernier l’élément intentionnel, fondamental en droit pénal, permet au législateur de démontrer qu’il ne vise pas tant la contestation du génocide en tant que telle que l’incitation à la haine raciale dont elle est porteuse. Pour ce qui serait une atteinte à la liberté d’expression, personne ne saurait contester que dans tout État démocratique la liberté d’expression connaît des limites. Ces limites ont ici, pour objet de prévenir toute incitation à la haine induite par le nég...

Photo de Luc CarvounasLuc Carvounas :

...mes des crimes de 1915 demeurent ancrées dans nos mémoires. L’acte génocidaire vise à l’anéantissement d’un groupe, d’un peuple. Mais il ne s’arrête pas là, une fois l’horrible forfait commis. La volonté génocidaire se perpétue incontestablement à travers le négationnisme. Si le génocide est l’anéantissement des corps, le négationnisme est l’anéantissement des mémoires. Quel rôle vient jouer le législateur dans cette affaire ? Selon certaines critiques, le Parlement se chargerait ici de délivrer une vérité historique officielle en empruntant un chemin intrusif à travers le champ de l’Histoire. D’autres critiques s’épanchent sur le caractère répétitif de l’adoption de lois dites mémorielles ou sur le fait que nous attenterions à la liberté d’expression se manifestant à travers la recherche scientif...

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

À la question : « Le législateur est-il dans son rôle ? », nous répondons : « Non ! » À la question : « Rend-on vraiment service à la cause arménienne avec ce texte ? », nous répondons encore : « Non ! » En conséquence, nous voterons contre la présente proposition de loi. §

Photo de Ambroise DupontAmbroise Dupont :

Les lois mémorielles amènent le législateur à prendre position sur des questions qui relèvent de l’Histoire. Or il me semble que, si le législateur fait parfois l’Histoire, il ne relève pas de sa fonction de l’écrire. Nombre d’historiens sérieux s’insurgent contre ce qu’ils qualifient parfois de « dérive ». D’éminents juristes soulignent aussi l’impossibilité pour le législateur de se prononcer sur l’Histoire, sur la vérité ou sur la faus...

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

...nale ni par une juridiction française. De ce fait, sur un plan strictement juridique, il n’existe pas de définition précise, ni dans une convention internationale ni dans des décisions de justice revêtues de l’autorité de la chose jugée, des actes constituant ce génocide et des personnes responsables de son déclenchement. Cette difficulté pourrait également valoir pour d’autres génocides que le législateur pourrait souhaiter qualifier comme tels par la loi. Ainsi, lors des débats sur cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, un amendement a été déposé afin de permettre la reconnaissance officielle, par la République française, du génocide vendéen de 1793-1794. Or comment définir celui-ci ? Par ailleurs, au cours des années récentes, plusieurs propositions de loi ont été déposées au Sénat ou...

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

...ion ou de minimisation d’événements historiques qualifiés de génocide par la loi ferait peser un risque certain sur les travaux scientifiques que des historiens seraient amenés à conduire de bonne foi, dès lors que leurs conclusions, fondées sur l’étude de sources historiques, seraient regardées par certains comme contestant ou minimisant ces événements tragiques. Enfin, c’est à la compétence du législateur que cette proposition de loi porterait atteinte si elle était adoptée. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, en inscrivant dans la loi la condamnation de ceux qui contestent l’existence des génocides « reconnus comme tels par la loi française », le législateur se conférerait à lui-même une nouvelle compétence que ne lui reconnaît pas la Constitution, celle de reconnaître...

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach :

Je veux répondre aux arguments avancés par la commission des lois. Il est reproché à la proposition de loi de porter atteinte à la séparation des pouvoirs en substituant le législateur au juge. J’entends naturellement cet argument : la séparation des pouvoirs est un principe essentiel dans notre démocratie. D’ailleurs, au cours des dix dernières années, aucun groupe n’a été plus résolu que le groupe socialiste à protéger le pouvoir judiciaire contre les ingérences des autres pouvoirs, notamment celles du pouvoir exécutif. Toutefois, en l’espèce, cette objection doit être réfu...

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

...fusion entre la fonction législative et la fonction judiciaire. Or il est essentiel que le pouvoir de légiférer et celui de juger soient séparés. Les Parlement et le tribunal sont deux instances distinctes et doivent le rester ! De plus, la proposition de loi contrevient au principe de la légalité des délits et des peines. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que la Constitution impose au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » afin de prémunir les sujets de droit contre le risque d’arbitraire, « sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ». En l’espèce, sur quelle base s’appuiera-t-on pour constater l’infraction p...

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

...nt, est-il possible de prendre des dispositions ayant une portée pénale alors que, contrairement à la Shoah, le génocide arménien n’a, hélas ! – c’est un fait – pas été reconnu au niveau international par une cour ou par une autre instance ? Néanmoins, ces arguments peuvent tout aussi bien être réfutés dans la mesure où ils s’appliquent plus particulièrement à la loi de 2001. Bien évidemment, le législateur peut s’interroger indéfiniment sur ce qu’il vote, mais on ne peut taxer de contraire à la Constitution le fait qu’il tire aujourd'hui des effets d’une loi qu’il a précédemment adoptée ! En ce qui me concerne, et comme la majorité des membres de mon groupe, je voterai contre l’exception d’irrecevabilité. Ce qui l’emporte dans cette position, c’est la reconnaissance que nous devons à nos concitoye...

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

...c’est exclusivement sur la base de travaux réalisés par des historiens de renommée internationale, non à partir de déclarations d’élus, de ministres ou de parlementaires, qui ne sont en aucune façon habilités à dire ou écrire l’histoire, mais seulement à la « faire » par des décisions politiques. La France doit-elle compatir à la douleur des descendants des victimes ? Bien sûr ! Incombe-t-il au législateur de pénaliser cette réalité historique ? Certainement pas ! D’autant que cette démarche se heurte à nos principes constitutionnels. Mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour but d’incriminer la négation des génocides « reconnus comme tels par la loi française ». Or seuls les génocides juif et arménien ont fait l’objet d’une telle reconnaissance. Ce texte, dans la mesure où la nég...

Photo de Luc CarvounasLuc Carvounas :

J’ai écouté avec attention les arguments défendus par notre collègue Jean-Michel Baylet voilà quelques instants. Je vais tenter de répondre très brièvement à chacun d’entre eux : non, cette proposition de loi n’est pas une loi mémorielle ; non, avec ce texte, le législateur n’intervient aucunement dans le champ de l’histoire ; enfin, il faut minimiser les risques d’inconstitutionnalité de ce texte. Je ne crois pas, pour reprendre les propos de Serge Klarsfeld, que nous écrivions avec ce texte le « verdict de l’histoire ». Comment peut-on croire que l’intention du législateur est ici de poser une vérité historique officielle ? Si certains, en dehors de cette enceint...

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

...de loi est mémorielle, n’en déplaise à ceux qui disent le contraire. Nous pensons qu’il faut proscrire ce type de lois de façon générale, même si elles visent un objectif tout à fait louable, car on ne peut pas légiférer sur tout. Du reste, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, en particulier par le président Bel, il faut se prémunir contre l’inflation législative. Quelle légitimité le législateur français a-t-il pour se prononcer sur un crime du siècle dernier, qui n’a été jugé par aucun tribunal et qui n’a pas été commis en France ou par des ressortissants Français ? Pourquoi ne pas légiférer aussi sur les génocides commis au Kosovo, au Rwanda, au Cambodge, sur ceux dont ont été victimes les Indiens d’Amérique, les Tziganes ou encore les musulmans au temps des Croisades ? Les souffrance...

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

...une reconnaissance par une convention internationale ou par des décisions de justice ayant autorité de la chose jugée. Il est un autre point à propos duquel on ne nous a fourni aucune explication convaincante. Si cette loi était promulguée, elle donnerait au Parlement une compétence nouvelle, que n’ont prévue ni l’article 34 ni aucune autre des dispositions de la Constitution. Dans l’avenir, le législateur pourrait établir par la loi une sorte de vérité officielle en reconnaissant l’existence d’un génocide, avec pour conséquence automatique d’étendre le champ de l’interdit ici envisagé. Cette proposition de loi est dangereuse au regard de notre Constitution et des principes généraux du droit, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre. Elle est, en outre, profondément inopportune. Comme le rapp...

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

... ! Au-delà des analyses juridiques – je partage celle qui a été excellemment présentée par M. le rapporteur – certes controversées, mais conformes au point de vue maintes fois exprimé par Robert Badinter, qui concluent à l’inconstitutionnalité de ce texte, nous devrions être beaucoup plus attentifs aux objections de nombreux chercheurs et historiens, qui récusent l’intrusion des politiques et du législateur dans l’écriture de l’histoire. C’est par les travaux des chercheurs et des historiens que peut se faire le difficile cheminement des mémoires collectives. Comme le suggère Robert Badinter et comme l’ont souligné plusieurs orateurs, une commission d’historiens sous l’égide de l’UNESCO ferait certainement beaucoup plus qu’une loi pour établir la vérité, et surtout pour conduire la Turquie à assumer...