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...rgent contre ce qu’ils qualifient parfois de « dérive ». D’éminents juristes soulignent aussi l’impossibilité pour le législateur de se prononcer sur l’Histoire, sur la vérité ou sur la fausseté de tels ou tels faits. En mai dernier, les débats sur le même sujet ont remis en évidence les problèmes de conformité à la Constitution qui ne manqueraient pas de se poser. Les moyens de sanctionner le négationnisme, que M. le rapporteur vient de rappeler, existent déjà et peuvent être appliqués. J’évoquerai simplement dans ce propos quelques aspects plus politiques du texte dont nous débattons qui relèvent, j’en ai bien conscience, de notre temps. Faut-il rappeler que la France a reconnu, il y a onze ans, le génocide arménien et que peu d’États ont affiché une position aussi claire sur cette question...
... longue ! Comme l’a écrit Bertrand Mathieu, « la liste potentielle des martyrs de l’histoire est infinie. La réécriture ou le gel de toute recherche en serait la conséquence inévitable ». Il convient également de souligner l’imprécision des termes retenus par la proposition de loi. Le fait de « contester ou de minimiser de façon outrancière » l’existence d’un génocide est plus large que sa seule négation : la contestation ou la minimisation peut porter sur les lieux, les auteurs, les méthodes employées, le champ temporel des massacres, sans forcément nier de façon générale qu’un génocide a été commis. Ces termes seraient susceptibles de soulever de réelles difficultés d’appréciation s’agissant d’événements historiques sur lesquels subsistent encore des zones d’ombre. Au total, le champ de l’infr...
...ormes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. Or cet argument ne résiste pas à l’examen puisque cette proposition de loi ne prévoit qu’une transposition très imparfaite de cette décision-cadre. L’article 1er du texte européen dispose en effet que « chaque État-membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que [...] soient punissables [...] l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe [...] lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un ...
...testeraient ou minimiseraient de façon outrancière l’existence de génocides et autres crimes contre l’humanité. Par conséquent, mes chers collègues, nous ne pensons pas qu’il soit pertinent de s’engager dans la voie pénale, qui présente les risques très sérieux d’inconstitutionnalité que je viens d’évoquer. En outre, ce texte serait totalement inefficace si le but est de lutter contre des propos négationnistes tenus à l’étranger, car je vous rappelle que la loi pénale française ne s’applique qu’aux faits commis sur le territoire de la République. Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. §
...u’elle édicte et, corrélativement, de sanctionner leur irrespect. Un génocide – il faut savoir que le terme de « génocide » a été inventé par Richard Lemkin pour qualifier le massacre des Arméniens – est le plus grave des crimes commis contre l’humanité. La loi française en reconnaît deux à ce jour : la Shoah, au travers de la loi Gayssot et le génocide arménien, par la loi de 2001. Or seule la négation de la Shoah est pénalement réprimée. La présente proposition de loi vise donc à combler une lacune du droit pénal, en incriminant le négationnisme de tous les génocides reconnus comme tels pas la loi française, sans en mentionner aucun expressément. Dans cet esprit, ce texte se présente comme une extension de la loi Gayssot à tous les génocides reconnus par la loi. Il n’est pas une transposition...
...roit. Cet abus doit être puni par la loi Gayssot et par la présente proposition de loi. Je le répète, le génocide est un acte d’une telle gravité que cette restriction à la liberté d’expression paraît proportionnée aux objectifs poursuivis. La loi Gayssot tend à prévenir la résurgence d’un discours antisémite. Le texte que nous examinons aujourd’hui vise, lui, à prévenir l’influence en France du négationnisme d’État pratiqué aujourd’hui par la Turquie. Notre collègue Valérie Boyer, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, a subi insultes et menaces. Des sites internet haineux ont fleuri, diffusant des thèses négationnistes et racistes anti-arméniennes, anti-grecques, anti-kurdes. Je tiens les noms de ces sites à votre disposition, si vous le souhaitez. Il faut savoir que la ...
...il vaut mieux, dans un domaine aussi sensible, s’exprimer par la voie de résolutions que par des propositions de loi. Si un recours prospérait et que nous étions ramenés à la case départ, le vote d’une résolution, aujourd’hui inutile – celui de la loi du 29 janvier 2001 y supplée –, retrouverait sa raison d’être. La proposition de loi est inutile parce que les moyens juridiques de poursuivre le négationnisme existent. De surcroît, si celle-ci était adoptée, la France donnerait aux magistrats le pouvoir de se substituer aux historiens – un pouvoir qu’aucun pays n’a jugé utile de leur reconnaître. Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Celle-ci impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour rendre punissables, en particulier, « l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ». Cet argument repose sur une erreur d’analyse, la décision-cadre n’ayant ni pour objet ni pour effet de limiter la compétence pénale des États membres. En effet, dans le cadre du troisième pilier, l’Union européenne exerce seulement une compétence partagée avec les États membres. Par con...
...u citoyen du 26 août 1789 consacre la séparation des pouvoirs en disposant que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La séparation des pouvoirs apparaît ainsi comme le corollaire indispensable de la protection des droits naturels de l’homme. Or, en se prononçant sur les sanctions punissant la négation d’un crime qui n’a pas été défini juridiquement, le Parlement outrepasse ses compétences, laisse place à l’arbitraire et porte atteinte à la liberté d’expression, ainsi qu’à la liberté de la recherche. Nous l’avons rappelé, en mai 2011, les membres de la commission des lois, au premier rang desquels Jean-Jacques Hyest, expliquaient déjà pourquoi la proposition de loi tendant à réprimer la contes...
...re l’histoire, mais seulement à la « faire » par des décisions politiques. La France doit-elle compatir à la douleur des descendants des victimes ? Bien sûr ! Incombe-t-il au législateur de pénaliser cette réalité historique ? Certainement pas ! D’autant que cette démarche se heurte à nos principes constitutionnels. Mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour but d’incriminer la négation des génocides « reconnus comme tels par la loi française ». Or seuls les génocides juif et arménien ont fait l’objet d’une telle reconnaissance. Ce texte, dans la mesure où la négation de la Shoah est déjà pénalement répréhensible, n’a vocation à s’appliquer qu’au drame arménien : il s’agit donc d’un texte de circonstance. Je renvoie ceux qui soutiendraient que l’examen de ce texte ne devrait pa...
...é inscrit à l’ordre du jour, monsieur le ministre, alors que notre pays traverse une terrible crise économique et sociale et que nous avons des problèmes bien plus aigus et surtout bien plus urgents à régler. Je déplore qu’une certaine forme de « bien-pensance », sûre de la validité de ses idéaux, puisse nous amener à envisager de sanctionner, avant que les Arméniens eux-mêmes ne le décident, la négation d’un génocide dont seule l’Arménie a été tragiquement victime. Encore une fois, mes chers collègues, il ne nous appartient pas de dire l’histoire, surtout quand cela n’est ni opportun ni constitutionnel ! C’est pourquoi, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable déposée par les Radicaux de gauche et les membres du RDSE, seul groupe uni aujourd’hui, avec celui ...
...avant tout, je voudrais vous faire part de ma fierté et de mon émoi d’être devant vous, dans cet hémicycle chargé d’histoire, qui représente à lui seul les fondements de notre démocratie à travers les mots de liberté, d’égalité et de fraternité. Qui aurait pu penser que la fille d’un réfugié arménien prononcerait sa première intervention au Sénat à l’occasion d’un débat sur la condamnation de la négation des génocides, en particulier du génocide arménien ? En cet instant, mon émotion est grande et j’espère que vous la comprendrez. Je me sens ce soir enfant d’Arménie et je ne puis m’empêcher, à travers le souvenir de mon père et de mes grands-parents, de penser aux souffrances de notre peuple martyr. C’est à la fois un témoignage, un hommage et un plaidoyer que je veux vous présenter. Au cours ...
...t cette intention, c’est qu’ils doutent encore du caractère génocidaire, pourtant incontestable, de l’extermination des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915. Yves Ternon a écrit qu’il n’y avait pas l’ombre d’un doute sur le caractère génocidaire de ces événements. Il n’y a donc pas de controverse historique scientifique possible. En revanche, il subsiste des polémiques nauséabondes à caractère négationniste. Nous ne sommes pas face à une loi mémorielle visant à établir une vérité historique. Cette proposition de loi condamne les négationnistes du génocide arménien, comme la loi française condamne désormais les négationnistes de la Shoah. Nous récusons donc l’argument d’une intrusion du législateur dans le champ de l’histoire. Il est au contraire dans son rôle lorsqu’il légifère dans le but de...
... vérité par la confrontation rigoureuse de ses sources. Qu’en sera-t-il demain si le Parlement s’entête à vouloir répondre à toutes les exigences mémorielles ? En l’occurrence, le terme « minimisé », introduit à l’article 1er, inquiète les historiens, qui doivent manier des chiffres et, souvent, donner des fourchettes, car ils ne disposent pas toujours des sources conduisant à la certitude. La négation ne doit faire l’objet, en droit, d’aucune indulgence. Le négationnisme est une insulte à la mémoire, tout le monde en convient. Mais sa déclinaison juridique, c’est-à-dire la contestation, la banalisation grossière et aujourd’hui la « minimisation », crée une marge d’appréciation du juge potentiellement handicapante pour la recherche historique et contraire au principe fondamental de notre procéd...
...igueur en France comme en Turquie, contient une clause d’amnistie qui n’aurait aucun sens si les massacres de 1915 n’avaient pas été considérés comme des crimes internationaux. Certains affirment également qu’une telle loi pourrait pénaliser le travail des historiens. Je pense exactement le contraire. Ceux qui empêchent les historiens de faire leur travail, de mener leurs recherches, ce sont les négationnistes. Je pense donc que cette loi a plutôt tendance à protéger les historiens. Par ailleurs, et cela a été souligné cet après-midi, aucun historien ne s’est plaint d’avoir été empêché par la loi Gayssot de continuer à mener des recherches. Pourtant, à l’origine, des craintes avaient été exprimées en ce sens. On nous dit aussi que la liberté d’expression pourrait être remise en cause. Je n’en c...
D’ailleurs, les deux actes ont été condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme. Fallait-il une loi ? Je pense que oui, car la vérité n’est pas toujours assez forte pour terrasser le mensonge. Le négationnisme, à l’instar du racisme, ne peut et ne doit pas être considéré comme une opinion. Ce sont l’un et l’autre des délits, condamnables par les lois de notre République ! Alors, oui, une loi est nécessaire pour tous les génocides ! Contrairement à ce qu’on entend parfois, ce n’est pas une loi contre la Turquie ! Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant. À mon sens, un jour vien...
Dans le cas du génocide arménien, la France ne porte aucune responsabilité. Ensuite, la loi Gayssot est conforme à la philosophie de la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008 : elle reconnaît la Shoah comme génocide et pénalise sa négation parce que la Shoah a été qualifiée de génocide par une juridiction internationale. Il n’y a rien de semblable pour le génocide arménien. Par conséquent, la proposition de loi va plus loin que la décision-cadre européenne. Enfin, loin de faire pression sur la Turquie, le vote de cette proposition de loi ne ferait qu’exacerber la position intransigeante de l’État turc et bloquer toute évolution ve...
...eante de ces libertés et la volonté de condamner fermement les atrocités subies par le peuple arménien en 1915. Néanmoins, cette condamnation a été prononcée sans ambiguïté par la loi du 29 janvier 2001. Point n’est besoin, si ce n’est pour des raisons d’affichage et peut-être pour des motifs électoralistes qui risqueraient d’être bien déçus, de s’aventurer sur le terrain de la pénalisation de la négation des crimes. Revient-il au Parlement de dire la vérité historique et de l’imposer, tout contrevenant s’exposant à des peines d’emprisonnement ? Nous sommes nombreux à penser que non. À mon sens, il s’agit d’un vrai détournement de la loi telle qu’elle est définie par l’article 34 de la Constitution. C’est aussi une atteinte à la séparation des pouvoirs. Les parlementaires ne doivent se substitue...
...ommunauté des historiens de travailler avec l’objectivité qui la caractérise. Comme elle relève de l’affect, de l’émotion, la mémoire est labile ; elle est pourtant nécessaire car elle rend toujours vivants ceux qui ne sont plus et qui nous ont précédés. Mais, pour reprendre les propos de Jacques Le Goff, « la mémoire […] ne cherche à sauver le passé que pour servir le présent et l’avenir. » Le négationnisme est une insulte à la mémoire. La loi, quant à elle, n’a pas vocation à trancher les rapports entre l’histoire et la mémoire. Comme l’a, à juste raison, souligné Robert Badinter, et comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, « le Parlement n’est pas un tribunal. » Mes chers collègues, tout comme Jean-Michel Baylet, je m’interroge : comment aurions-nous réagi si un pays tiers avait légiféré ...
.... Le génocide est le crime le plus odieux qui soit : le nier, c’est le perpétuer ; en refuser la mémoire, c’est prolonger la souffrance. Le génocide des Arméniens est un fait incontestable ; il a d’ailleurs été à l’origine même de la notion de génocide, qui a vu sa traduction juridique s’appliquer à la Shoah. Une partie des crimes commis ont déjà été jugés par les tribunaux turcs, avant que leur négation ne constitue l’un des éléments fondateurs du régime de Mustafa Kemal Atatürk. La France, nous dit-on, ne serait pas concernée par le génocide des Arméniens. Il s’agit là d’une curieuse manière de voir les choses, car, dans l’histoire intime de plus de 500 000 Français, l’arrivée en métropole de leurs parents, de leurs aînés est directement liée aux crimes subis par leurs frères, sœurs et parents...