Commission d'enquête Chiffres du chômage

Réunion du 7 juin 2016 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

président en remplacement de Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Andrzej Byrt, ambassadeur de Pologne en France, accompagné de Mme Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France.

La commission a souhaité vous entendre parce que la Pologne, au sein de l'Union européenne, a une situation favorable sur le plan du chômage. Selon les dernières statistiques Eurostat, le taux de chômage s'y établit en mars 2016 à 6,8 %, pour une moyenne de 8,8 % dans l'Union européenne des Vingt-Huit. Plus encore, le taux de chômage est en nette diminution, puisqu'il était de 7,2 % en novembre 2015.

Pouvez-vous tout d'abord nous éclairer sur les modalités d'établissement des statistiques du chômage en Pologne ? Il serait notamment utile à notre commission de savoir si, comme en France, deux types d'indicateurs produits, d'une part, par l'institut national des statistiques à partir d'une enquête, et, d'autre part, par l'organisme chargé de l'indemnisation des chômeurs à partir de données administratives, coexistent en Pologne.

Il serait également utile à la commission que vous présentiez les principales politiques de l'emploi mises en oeuvre ainsi que leurs résultats, eu égard à la baisse significative du taux de chômage dans votre pays ces dernières années.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat ; elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Effectivement, notre commission d'enquête s'intéresse à deux sujets distincts.

Le premier concerne l'élaboration des chiffres du chômage. En France, les données administratives remontées chaque mois par Pôle emploi ont été sujettes à caution durant les deux dernières années, tout d'abord, en 2013, du fait du « bug SFR » - des problèmes techniques ont rendu erronées les statistiques pour un mois donné -, puis, plus récemment, en mai 2015, quand d'autres interrogations se sont élevées sur la validité de ces chiffres. À ces données administratives s'ajoutent les données collectées chaque trimestre par l'INSEE ; celles-ci répondent aux critères du Bureau international du travail et permettent donc les comparaisons entre la France et les autres pays européens, y compris la Pologne.

Le système actuel repose donc sur un double décompte du nombre de chômeurs ; nous étudions les possibles moyens de le modifier.

Notre second sujet est l'efficacité des politiques de lutte contre le chômage entreprises par nos partenaires européens. La Pologne a connu une décrue relativement importante du chômage ; nous aimerions atteindre des résultats de même ampleur en France ! Nous souhaiterions par conséquent savoir quelles mesures ont porté le plus de fruits, tout en restant conscients du fait qu'il est délicat d'identifier laquelle s'est révélée la plus importante ; le contexte général et les politiques menées sur des périmètres plus larges comptent peut-être davantage.

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Je voudrais tout d'abord vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre invitation. Nous pouvons en effet vous présenter différents phénomènes économiques qui ont eu lieu en Pologne et que nos partenaires peuvent parfois nous envier.

Le phénomène le plus important est sans doute le dynamisme économique de notre pays, qui est à l'origine de notre succès dans la réduction du chômage. La Pologne a été le premier pays d'Europe centrale à transformer son système politique puis à effectuer, d'une manière dramatiquement rapide, la plus profonde réforme économique de ces pays.

Dans l'histoire polonaise depuis 1989, on peut distinguer plusieurs périodes. La première, entre 1989 et 1992, a constitué une « chute transformatrice ». Le PIB s'est contracté de près de 25 % durant cette période. En effet, beaucoup d'industries incapables d'absorber le choc de l'ouverture des frontières et de l'instauration de la concurrence ont dû clore leurs portes. L'inflation a atteint 700 % ; le premier gouvernement « post-communiste » - mais trois ministres communistes y siégeaient encore - a dû introduire une réforme économique drastique pour tuer l'inflation et imposer une concurrence dure entre les entreprises subsistantes. On a appelé en Europe cette réforme la « thérapie de choc ». Son instigateur, Leszek Balcerowicz, a d'ailleurs été nommé voici quelques mois à la tête des réformes économiques en Ukraine par le président Petro Poroshenko.

Après deux ans de telles réformes et la contraction dramatique de notre PIB, nous avons été le premier pays à retrouver la croissance, au second semestre de 1992. Depuis lors, la croissance a été ininterrompue, phénomène unique en Europe et qui, à l'échelle mondiale, ne s'observe sur une durée supérieure qu'en Chine, depuis les réformes de Deng Xiaoping

Cette croissance s'élève en moyenne à 3,5 % par an ; nous espérons qu'elle atteindra 4 % cette année, après 3,6 % l'an dernier. La croissance a même continué durant la grande crise mondiale commencée en 2008. Le taux de croissance le plus faible a été observé en 2003 ; il était, cette année-là, de 1,4 %.

Les réformes du début des années 1990 ont consisté à ouvrir la concurrence et à donner à toutes et à tous la possibilité de créer leur propre entreprise. Cela a été rendu possible par la réduction des impôts et la facilitation des procédures d'enregistrement des nouvelles firmes. On a alors assisté à un phénomène unique : 3,5 millions de sociétés privées ont été créées en Pologne ! Ces nouvelles firmes ne pouvaient avoir plus de 100 employés. Nombreux sont les Polonais à avoir créé leur société. Ma propre famille en fait partie : plutôt que de travailler dans un office d'État, nous avons toujours eu nos propres entreprises. Avec ma femme, nous avons établi trois sociétés.

J'avais d'abord travaillé, au sortir de l'université, pour la foire internationale de Poznan, ville de la taille de Lyon ou Marseille, à mi-chemin entre Berlin et Varsovie. Cette ville est unique au sein de l'Union européenne : le taux de chômage y est de 2 % seulement. Dans cette ville, près de 70 % des diplômés de l'enseignement supérieur, plutôt que d'aller travailler pour de grands groupes internationaux, s'établissent comme entrepreneurs.

Certes, deux tiers d'entre eux font faillite : ce mécanisme, où tout le monde ne peut réussir, fonctionne dans le monde entier. L'important est d'essayer ; s'ils échouent, ils pourront être embauchés dans une autre compagnie. Cet esprit d'entreprise, cette volonté de percer le plafond de verre, n'existe pas partout en Pologne : l'histoire des différentes parties de la Pologne explique ces différences. En effet, durant 123 ans, notre pays a été divisé entre la Russie, la Prusse et l'Autriche ; contrairement aux Polonais soumis à l'occupation russe, qui s'y sont opposés à six reprises les armes à la main et ont subi des répressions dramatiques, les Polonais des régions occupées par la Prusse, l'ouest de la Pologne actuelle, où se situe Poznan, ont choisi de se battre économiquement, en développant leurs propres compagnies, banques et sociétés d'épargne. La carte du chômage reflète, elle aussi, ce contraste historique.

La réduction d'impôts opérée au début des années 1990 a elle aussi été cruciale. Aujourd'hui, l'impôt sur les sociétés ne s'élève en Pologne qu'à 19 %, quelle que soit la taille de l'entreprise. Le taux d'imposition devrait être le même pour tout le monde : moins il y a d'exceptions, meilleur est le système. Le mécanisme si compliqué de la relativité peut être présenté par l'équation si simple et élégante : « E=mc2 » ; il en va de même pour l'économie : plus on complique, moins le système est transparent et efficace ! Je vais le démontrer immédiatement en décrivant notre système de traitement du chômage.

La croissance qu'a connue la Pologne durant ces vingt-cinq dernières années est unique à notre époque. Ne nous enviez pas pour autant : la France a connu une période de croissance identique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dès la Libération, vous vous êtes mis au travail et, après la petite récession de 1948-1949, la croissance a été ininterrompue jusqu'à la crise pétrolière de 1973, quand les cycles conjoncturels de croissance et de récession ont commencé à alterner en zigzags. Nous n'avons pas encore atteint, en Pologne, ce niveau de développement.

Vous vous souvenez sans doute du « plombier polonais », dont on a beaucoup parlé en France. Au début des réformes, la différence entre les salaires français et polonais était de 1 à 10 ; si la liberté de circulation permise par l'Union européenne avait alors existé, la moitié des Polonais serait sans doute venue chez vous. La situation n'est plus la même : la différence des salaires n'est plus que de 1 à 2,5. Ce changement s'est effectué en une génération et, dans une quinzaine ou une vingtaine d'années, le niveau des salaires sera probablement égal entre nos deux pays et la pression migratoire induite éventuellement par la différence actuelle disparaîtra, même s'il y aura toujours un va-et-vient de spécialistes. On assiste d'ores et déjà à une grande immigration de personnels de direction et de spécialistes techniques français en Pologne.

La France est en effet bien implantée dans notre pays. Les exportations françaises sont en outre facilitées par la domination de groupes français sur la vente au détail en Pologne. Vous ne seriez pas dépaysés à la vue des enseignes présentes dans toutes nos villes : Auchan, Leroy-Merlin, Castorama, Intermarché, etc. Cela permet aussi une grande ouverture des débouchés français en Europe centrale, par l'intermédiaire des sociétés de commerce.

J'en veux prendre pour exemple l'exclave russe de Kaliningrad, voisine de la Pologne. Faisant mentir le préjugé sur la russophobie polonaise, nous avons obtenu de l'Union européenne que les citoyens russes de cette exclave puissent visiter les régions polonaises dans un rayon de 100 kilomètres depuis la frontière, ce qui leur permet de se rendre dans les grands ports de Gdansk et Gdynia. Or toutes les grandes sociétés françaises de distribution ont ouvert des magasins à proximité de la frontière polono-russe, permettant aux Russes de s'approvisionner rapidement. Les sanctions imposées par la Russie ne s'appliquent pas dans cette exclave, ce qui en fait une plaque tournante de l'exportation de biens de consommation européens vers la Russie, par l'intermédiaire de sociétés françaises et polonaises.

Beaucoup d'emplois ont été créés ainsi sur notre frontière orientale ; en outre, ce commerce transfrontalier constitue en quelque sorte un « pare-chocs » pour nous. Toutes les nations à l'est de la Pologne nous observent avec attention depuis 1989. Le commerce qui s'est développé avec elles après la chute du communisme, à l'origine parfois « au noir », a offert dans les années 1990 une solution à de nombreuses personnes sans travail. La liberté absolue de commerce et d'entreprise qui régnait alors n'existe plus telle quelle.

On pouvait alors créer une société en trois heures ; ce n'est malheureusement plus le cas depuis l'adoption des règles communautaires. La bureaucratie a pris le dessus de manière irréversible, ce qui ralentit dans une certaine mesure le fonctionnement du marché du travail. Nous avons essayé, comme vous, de simplifier les procédures, mais la grande majorité de ces tentatives a hélas ! échoué.

Les groupes d'intérêt sont trop puissants au sein de la jungle bureaucratique ; il faudrait pour résoudre ce problème soit une situation catastrophique - et ce n'est pas le cas - soit un pouvoir conscient du problème et doté d'une volonté forte. En dépit de notre forte croissance, nous devons faire face à l'accroissement non seulement de la bureaucratie d'État mais aussi des bureaucraties régionales, puisque le pouvoir est décentralisé. Nous avons grosso modo 16 provinces, ou voïvodies, environ 400 districts, ou « powiats », et environ 4 000 communes, ou « gminas ». La bureaucratie s'est insérée également dans les structures locales, ce qui ne peut manquer d'affecter le fonctionnement du pays.

Entre 1,2 et 1,5 million de personnes ont émigré depuis l'entrée de la Pologne dans l'UE en 2004 vers d'autres pays européens. Cette émigration s'est moins dirigée vers la France que vers le Royaume-Uni. Cela est dû à la bonne connaissance de l'anglais dans notre pays, mais aussi à la mémoire de l'armée polonaise en exil de 1940. La grande majorité des vétérans de cette armée ne sont pas retournés en Pologne communiste par crainte, justifiée, d'être arrêtés ou tués par le régime, et sont restés en Grande-Bretagne.

La présence de ces vétérans ou de leurs descendants a facilité le « parachutage » de nouveaux émigrants polonais dans ce pays ; les Polonais constituent aujourd'hui la communauté étrangère la plus importante du Royaume-Uni - à comparer aux Pakistanais et aux Indiens, qui occupaient auparavant la première et la deuxième place. Leur taux d'emploi approche d'ailleurs les 100 % : cette émigration fonctionne bien. Elle suscite néanmoins un débat important - on n'hésite pas à crier à l'invasion. On relève notamment que les Polonais installés au Royaume-Uni envoient souvent à leur famille au pays les allocations familiales reçues au titre de leurs enfants, restés eux en Pologne, sous la garde de la grand-mère ou de parents : le gouvernement britannique suspendra sans doute le versement de ces allocations.

Le ralentissement de la croissance observé en 2003, consécutif à la crise américaine dite des « dot-com », a conduit à l'accroissement du taux de chômage jusqu'à 20 %. Cette valeur est celle obtenue à partir du système national polonais d'enregistrement des chômeurs et non pas d'après l'enquête statistique BAEL, effectuée selon les critères européens et internationaux.

Je veux à cette occasion vous exposer les modalités de calcul de notre taux de chômage. Notre institut de statistique national, le GUS, effectue l'enquête BAEL. L'autre statistique décompte les personnes enregistrées dans les services équivalents au « Pôle emploi » français ; c'est le ministère du travail qui compile ces chiffres.

En 2003, nous avions donc 3 176 000 chômeurs enregistrés, soit un taux de chômage de 20 %. Aujourd'hui, suivant cette même méthode, nous avons 1,6 million de chômeurs, soit 10 % de la population active, deux fois moins qu'en 2003 ! Les données BAEL que vous avez citées en ouverture de cette audition sont inférieures : le taux de chômage s'élève selon cette enquête à 6,8 % seulement.

Le système BAEL est fondé sur les normes internationales et les recommandations d'Eurostat. Il décompte les personnes âgées entre 15 et 74 ans répondant aux conditions fixées par le Bureau international du travail, que vous connaissez.

La limite d'âge choisie importe. En effet, l'âge légal de la retraite en Pologne est inférieur à 74 ans : il est de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes. On devait le porter à 67 ans, mais le nouveau parti au pouvoir, Droit et Justice, ou PiS, a annoncé le rétablissement des règles antérieures.

Je ne peux pas spéculer contre mon gouvernement, mais je dois avouer qu'une telle décision ne serait pas très sage. Elle a été prise, mais devrait évoluer ; du moins, les personnes qui veulent travailler au-delà de l'âge légal de la retraite, les femmes, notamment, devraient toujours pouvoir le faire, ce qui est le cas depuis une dizaine d'années. Seulement, un employé ayant atteint l'âge de la retraite et qui décline un changement de poste au sein de son entreprise peut être mis à la porte.

En tant que PDG de la foire internationale de Poznan, j'ai édicté la règle selon laquelle tous ceux qui le désirent, quel que soit leur âge, peuvent continuer à travailler, mais dans des conditions de pénibilité physique ou mentale adaptées à leur âge. Une telle approche de la solidarité des entreprises avec leurs collaborateurs n'est pas encore commune ni a fortiori obligatoire, mais elle se répand, tel un bon exemple, de la même manière que le management fondé sur la social responsability.

La notion de solidarité est traditionnellement importante en Pologne, comme en témoigne le nom du plus grand syndicat indépendant des années 1980, Solidarnosc, qui jouait le rôle d'un parti contestataire contre le régime communiste. Cette valeur stabilisatrice du tissu social est aujourd'hui importante pour la plupart des Polonais, jusqu'aux anciens communistes. Le souvenir des luttes de Solidarnosc rappelle la nécessité de cette valeur à la nouvelle génération de managers qui, diplômés de Harvard ou de l'INSEAD, sont tentés, une fois de retour en Pologne, de gérer brutalement leurs employés. Cela existe en Pologne comme ailleurs dans le monde, mais la dimension de la solidarité reste très prégnante.

La Pologne d'aujourd'hui, contrairement à celle des années 1980, ne connaît pratiquement pas de grèves. Trois secteurs restent néanmoins bloqués.

C'est, en premier lieu, le secteur minier : notre pays compte les plus grandes mines d'Europe. Les syndicats de ce secteur se battent pour trouver des solutions au déclin du secteur, mais la grande majorité comprend que, du fait du caractère déficitaire de l'extraction du charbon en Pologne, personne ne peut rendre le secteur profitable. Une réforme avait été préparée il y a une quinzaine d'années, sous le gouvernement de M. Jerzy Buzek, du parti Solidarité, devenu depuis président du Parlement européen. Après sa défaite aux élections, le nouveau gouvernement social-démocrate a abandonné cette réforme, qui aurait permis de liquider ce problème qui subsiste encore aujourd'hui.

Beaucoup de mines avaient certes été fermées en Silésie, au sud de la Pologne, mais une politique généreuse a été menée à destination des mineurs - des crédits leur ont été offerts - pour leur permettre d'être embauchés dans d'autres compagnies. Des investisseurs étrangers se sont implantés dans cette région, sachant qu'ils y trouveraient une main-d'oeuvre issue du secteur minier, abondante et qualifiée - beaucoup de mineurs sont ainsi électriciens. Du fait de l'arrêt de ce programme, l'accablement social et économique de ce secteur perdure.

On peut citer en deuxième lieu le secteur hospitalier. Le gouvernement de M. Donald Tusk, aujourd'hui président du Conseil européen, a commencé la privatisation de ce secteur. Certaines privatisations ont été vraiment exemplaires ; les établissements concernés fonctionnent d'une façon extraordinaire. Dans d'autres établissements, en revanche, pour des raisons le plus souvent historiques, la privatisation ne peut se faire du jour au lendemain et des tensions apparaissent. La première grève depuis bien des années a éclaté dans un grand hôpital pour enfants près de Varsovie.

Le troisième secteur qui reste délicat est celui des chemins de fer. Les cheminots, chez nous comme chez vous, sont un grand groupe de travailleurs, aux conditions de travail souvent très dures, qui connaît une sur-syndicalisation. Plusieurs centaines de syndicats existent ! Une grande partie des réformes entreprises, y compris de privatisation, a bien réussi, mais le processus reste inachevé et a été suspendu à la suite du récent changement de gouvernement.

Tels sont les trois secteurs dans lesquels je vois de possibles tensions dans le futur.

Pour en revenir aux modes de calcul du taux de chômage, je veux vous expliquer comment est calculé le nombre de chômeurs suivant les critères polonais et non plus internationaux. Il est établi à partir d'enquêtes menées par le ministère du travail, suivant les critères établis par la loi de 2004 sur la promotion de l'emploi et les institutions du marché du travail.

La définition d'un chômeur y est établie à partir des conditions suivantes : enregistrement dans un « Pôle emploi », absence de toute activité rémunérée et de revenus soumis à l'impôt, disponibilité et volonté de travailler à temps plein, âge compris entre 18 ans et l'âge de la retraite. Les personnes ayant dépassé l'âge de la retraite ne sont donc pas comprises dans cet ensemble, même si elles manifestent leur volonté de continuer le travail, ce qui distingue notre méthode de la méthode internationale BAEL et explique la différence entre les taux obtenus.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Nous avons également en France un écart important entre chiffres de Pôle emploi et chiffres BIT, près de 700 000 personnes, ce qui est beaucoup.

La Pologne vit donc aujourd'hui ses Trente glorieuses. La désindustrialisation et la fermeture des mines en ont chez nous marqué la fin ; vous nous avez expliqué que ce processus, malheureusement, est aussi en cours chez vous.

Pour en revenir à la récente et assez spectaculaire baisse du chômage en Pologne, des mesures particulières relatives aux contrats de travail ont-elles été prises au cours des dernières années et, en particulier, depuis 2013 ? Il s'agit en France d'un sujet très débattu, entre CDD et CDI. Ce débat s'est-il posé en Pologne ? Ces mesures, si elles ont été prises, ont-elles eu un impact sur le taux de chômage ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

À la suite de la baisse de la croissance observée en 2003, le gouvernement polonais a introduit des réformes du marché du travail, similaires aux réformes entreprises en Allemagne durant les mêmes années, dites « Hartz IV ». Les sociaux-démocrates étaient alors au pouvoir dans ces deux pays. La possibilité de contrats à durée déterminée a été renforcée : ils peuvent être renouvelés une fois, après quoi il doit s'agir d'un contrat à durée indéterminée. Les employeurs ont aussi reçu la possibilité de changer de manière anticipée le statut de leur employé d'un CDD à un CDI. Cette réforme a permis une diminution relativement rapide du taux de chômage.

Néanmoins, plus de dix ans après cette réforme, une grande inquiétude existe aujourd'hui parmi les jeunes qui entrent sur le marché du travail quant à la précarité des emplois offerts, qualifiés de « contrats déchets » ; cette inquiétude explique en partie le récent basculement électoral.

Le gouvernement actuel réfléchit à des modifications à apporter à la législation du travail, visant notamment à réduire la période pouvant être effectuée en CDD durant la durée des deux premiers contrats. On demandera aussi aux employeurs de payer les cotisations sociales durant le premier contrat, ce dont ils sont aujourd'hui dispensés. Ces modifications doivent répondre aux attentes expresses exprimées pendant la campagne électorale. Le système en sera sans doute rendu plus rigide, mais un tel changement rencontre une approbation générale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Cela représente sans doute un retour en arrière. Comment peut-on malgré tout expliquer la récente baisse du chômage ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Cette baisse est avant tout due à la grande activité économique qui existe dans le pays. La croissance explique la baisse du chômage. Nous verrons quels seront les résultats des prochaines modifications suscitées par le rejet des réformes consécutives à la crise de 2003. Si le taux d'installation de nouvelles sociétés augmente, nous sauverons notre peau !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Nous connaissons en France le problème des travailleurs détachés, qui se pose également à l'échelle européenne. Le projet de loi dit « Sapin II » devrait chercher à le résoudre. Ce problème existe-t-il en Pologne ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Près d'un million de travailleurs en Pologne proviennent de pays proches, mais il s'agit non pas, dans leur large majorité, de ressortissants de l'Union européenne, mais d'Ukrainiens. Nous ne connaissons pas à proprement parler de fuite des Ukrainiens depuis leur pays vers le nôtre pour des raisons politiques ; en revanche, nombreux sont ceux qui viennent travailler en Pologne. Leur langue est similaire à la nôtre ; il leur est encore plus aisé de se débrouiller chez nous qu'il ne l'était voici cinquante ans pour les Italiens en France. Ils travaillent surtout dans la construction, dans l'agriculture et l'horticulture, ou dans le secteur des services à la personne, comme employés de maison ou auprès des seniors.

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Ils le sont moins que les Polonais qui prétendent à des emplois similaires, ce qui explique qu'on les recherche.

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Il s'élève à environ 380 euros. Le salaire moyen, quant à lui, est d'environ 850 euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Comment sont indemnisés les chômeurs, et sous quelles conditions ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Ils doivent tout d'abord s'enregistrer auprès de l'équivalent polonais de Pôle emploi.

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

On ne peut recevoir l'allocation chômage avant un an, ce qui incite les gens à travailler.

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

On doit exprimer sa volonté de travailler.

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

J'ai une amie en France qui est depuis trois ans au chômage ; or elle ne cherche pas de travail, car tout est payé pour elle, jusqu'à la piscine et au cinéma. Une telle situation serait impossible en Pologne. Les gens ne pourraient pas vivre sans argent pendant un an, donc ils cherchent du travail tout de suite.

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

Ce n'est pas toujours évident ; bien évidemment, il y a du chômage en Pologne aussi. Pour autant, ils en cherchent. En outre, une minorité importante travaille sur le marché noir.

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

En effet, je ne peux pas le nier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Les questions de formation sont jugées importantes en France pour leur rôle dans la situation actuelle du chômage. On relève notamment combien il est difficile ici d'adapter l'offre à la demande sur le marché de l'emploi, notamment pour ce qui concerne la formation par alternance, ou apprentissage. Notre voisin commun, l'Allemagne, est réputé pour son système de formation professionnelle. Quelle est la situation de ce domaine en Pologne ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

La formation professionnelle n'est malheureusement pas en bon état en Pologne. Nous avions un réseau extraordinaire d'écoles professionnelles secondaires. Néanmoins, ce système a été démantelé après la chute du communisme ; nous manquons donc aujourd'hui de personnels qualifiés. Il serait difficile de trouver une école capable de former un plombier capable d'envahir le marché français ! (Sourires.)

Par ailleurs, alors que je dirigeais la foire internationale de Poznan, nous avions organisé plusieurs foires consacrées à l'emploi des jeunes. Des centaines de sociétés allemandes s'y rendaient pour recruter des spécialistes polonais. Ils savent que les Polonais peuvent bien travailler. En outre, nombreux sont nos jeunes qui apprennent l'allemand ; ils vont même parfois suivre l'enseignement d'écoles allemandes.

Le nouveau gouvernement polonais a décidé de lancer un grand programme de renouvellement du système de formation professionnelle spécialisée. Sans aucun doute, on veut largement revenir au système bien organisé qui existait sous le communisme : la preuve en est le « déluge » de plombiers polonais, bien éduqués et très motivés, qui sont allés travailler en Europe à partir des années 1990 !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Giraud

Vous nous avez dit que, durant leur première année de chômage, les demandeurs d'emploi ne sont pas indemnisés en Pologne. De quoi vivent-ils donc ? Créent-ils des entreprises ? Comment est organisée l'indemnisation après cette première année ? Est-elle dégressive ?

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

D'abord, pour recevoir l'allocation chômage, il faut avoir eu un travail. Le système a changé : maintenant, on peut recevoir des fonds calculés sur une base trimestrielle. On reçoit 600 zlotys le premier trimestre, soit environ 150 euros, une somme très faible. Le trimestre suivant, on reçoit 800 zlotys, puis 1 000 zlotys à la fin de l'année. Les chômeurs peuvent désormais recevoir cette allocation sous condition de s'être inscrit au « Pôle emploi ». La période d'attente d'un an a été raccourcie d'abord à six mois, pour être maintenant d'un mois seulement ; il suffit donc d'être enregistré depuis un mois pour percevoir une allocation..

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

L'indemnité est donc progressive. Pour combien de temps est-elle versée ?

Debut de section - Permalien
Agata Wadowsk

Ces trois tranches sont versées, après trois mois, six mois, puis un an de chômage. Il faut également remplir des conditions de recherche d'emploi pour les recevoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Si le demandeur d'emploi ne trouve pas de nouveau travail, combien de temps est-il indemnisé au maximum ?

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

Je vous ferai parvenir la réponse exacte à cette question ; je pense que la durée maximale est de deux ans. Beaucoup de changements ont eu lieu récemment dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Ce système est très différent du nôtre, où l'indemnisation intervient dès l'enregistrement, pour deux ans sans dégressivité. En outre, une allocation existe chez nous pour les personnes sorties de l'indemnisation chômage : le RSA. Ce double système existe-t-il aussi en Pologne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Giraud

Quelle est la durée moyenne du chômage en Pologne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

L'indemnisation chômage est-elle en Pologne une allocation d'État ou bien provient-elle des cotisations des entreprises ?

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Chaque employé et chaque employeur paie des cotisations égales, qui s'accumulent et servent au financement des allocations chômage.

Debut de section - Permalien
Agata Wadowska, deuxième secrétaire, chef du service économique de l'ambassade de la République de Pologne en France

Il n'existe pas en Pologne d'allocation comparable au RSA français. Un système d'aides sociales existe, mais il est difficile de les obtenir. Il faut ne disposer d'aucun revenu, ou être un parent isolé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Merci pour vos réponses extrêmement intéressantes. Les Français ont toujours regardé la Pologne avec beaucoup de sympathie. Vous vivez aujourd'hui une croissance qui appartient pour nous au passé ; j'espère que vous ne connaîtrez pas à l'avenir les zigzags auxquels nous sommes maintenant habitués !

Debut de section - Permalien
Andrzej Byrt, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Pologne en France

Merci d'avoir bien voulu nous écouter. Nous n'avons pas été en mesure de répondre de manière exhaustive à toutes vos questions, et je vous prie de nous en excuser ; nous vous ferons parvenir ces réponses par écrit.

La réunion est levée à 10 heures.

- Présidence de Mme Anne Emery-Dumas, présidente -