Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Des trois priorités mises en avant par l'Union européenne dans la négociation de l'accord de retrait avec le Royaume-Uni, la question de l'Irlande est probablement la plus sensible et la plus compliquée.
Nous avons lu attentivement le rapport des négociateurs. Derrière des formules qui ont permis d'apaiser temporairement les inquiétudes, beaucoup d'interrogations demeurent. Le plus dur reste donc à venir.
D'autant plus que le temps est compté. Nous avons pris connaissance avec intérêt des récents propos de votre ministre en charge des affaires européennes, Mme Helen Mc Entee. Elle souligne que la question de la frontière devra être réglée d'ici juin. Elle relève qu'en l'absence de proposition alternative du Royaume-Uni permettant de garantir un statu quo, le « filet de sécurité » - comme on le qualifie - devra s'appliquer.
C'est pourquoi votre éclairage nous est très précieux. Compte tenu de la volonté du Royaume-Uni de ne pas rester dans le marché unique et l'Union douanière, comment éviter le retour à une frontière physique entre les deux Irlande, dès lors que l'Irlande du Nord voudrait régler son sort sur celui du Royaume-Uni ?
Peut-on envisager une formule de compromis qui pourrait être opérationnelle ? Laquelle ?
Au-delà, nous souhaitons recueillir vos analyses sur l'appréciation plus générale de l'Irlande face au Brexit. Quelle est votre évaluation de l'impact de celui-ci sur les équilibres toujours fragiles entre les deux parties de l'Irlande ? Quelle est votre vision sur le cadre des relations futures du Royaume-Uni avec l'Union européenne ?
Dans le contexte du Brexit, l'Irlande peut trouver intérêt à consolider des appuis sur le continent et, en particulier à renforcer les liens avec notre pays. Que pouvons-nous faire dans ce sens ?
A la lumière des différentes auditions du groupe de suivi, il apparaît clairement que la question de l'Irlande est cruciale. Selon le mot de la Secrétaire générale des affaires européennes, que nous auditionnions hier, si nous trouvons une solution à cette question, nous aurons résolu neuf dixièmes des difficultés. Nous devons prendre en compte la géographie et l'histoire, qui font que cette question est infiniment complexe.
Quelle est la vision du gouvernement irlandais à ce sujet ? Quelles relations imaginez-vous pour l'avenir avec le Royaume-Uni ? Comment éviter que ne ressurgissent les fantômes du passé, tout en faisant en sorte que le Brexit se traduise par une vraie séparation ?
Il convient, en effet, de ne pas mettre en place, pour le Royaume-Uni, un statut qui soit si favorable que d'autres pays de l'Union européenne risqueraient, à sa suite, de demander un statut similaire, avec de nombreux avantages et très peu d'inconvénients. Nous savons que des tentations existent. Le groupe de suivi, qui se penche non seulement sur le Brexit mais aussi sur la refondation de l'Union européenne, a une double responsabilité.
Nous vous remercions de l'occasion qui nous est offerte de présenter la position de l'Irlande sur le Brexit et de discuter de ce sujet qui est important pour la France et l'Irlande.
Je suis bien consciente qu'en tant que membres du Groupe de Suivi, vous avez examiné de très près les évolutions du Brexit, ainsi que les développements relatifs à l'Irlande. Je crois savoir que vous avez déjà entendu le commissaire Barnier, les hauts fonctionnaires français, y compris Sandrine Gaudin hier, et, mon cher collègue, l'ambassadeur de France en Irlande, Stéphane Crouzat, qui, j'en suis sûr, vous a donné un bon aperçu de nos préoccupations en Irlande.
Permettez-moi de dire d'emblée que la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne est une décision que le gouvernement irlandais respecte bien entendu, mais regrette infiniment aussi.
Le Brexit représente des enjeux politiques, économiques et diplomatiques sans précédent pour l'Irlande.
Nous devons faire face à deux problèmes plus particulièrement. En premier lieu, le processus de paix en Irlande. En second lieu, les enjeux commerciaux et économiques.
Sur l'impact du processus de paix en Irlande du Nord, si vous le permettez, j'aimerais commencer par vous faire le récit d'un témoignage.
En février dernier, il m'a été donné de visiter la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord avec notre ministre des affaires européennes et son homologue, Nathalie Loiseau.
C'était un matin frais, au début du printemps, nous roulions sur une petite route sinueuse de campagne bordée de collines verdoyantes se déversant par intermittence en Irlande du Nord. Alors que nous longions la frontière, les seuls et uniques panneaux que nous croisions étaient des panneaux de signalisation routière, tantôt marqués en kilomètres et tantôt marqués en miles. Le marquage de la signalisation au sol, lui passait tantôt du jaune au blanc et vice et versa !
Nous nous sommes arrêtés dans un petit café pour prendre une tasse de thé. M'adressant aux ministres présents, je leur ai fait remarquer que nous étions assis là tout bonnement en Irlande, à contempler sereinement, à un jet de pierre, les collines couvertes de moutons qui s'étendaient devant nous, en Irlande du Nord. « Et pourtant, il n'y a pas si longtemps », ai-je déclaré le coeur gros, « le tableau était tout autre. Dans ce paysage si paisible aujourd'hui, se trouvaient là des postes frontières lourdement fortifiés, cibles de choix pour les terroristes ». Alors que nous étions assis et buvions notre thé sous un soleil radieux, il était difficile d'imaginer un seul instant que dix-huit personnes dont un enfant avaient été tuées alors qu'ils étaient en voiture sur ces même routes frontalières que nous avions empruntées.
Mesdames et Messieurs, par ce témoignage, mon point est de vous faire prendre conscience de l'enjeu que représente la sortie du Royaume-Uni, et de l'Irlande du Nord par voie de conséquence, de l'Union européenne, pour l'Irlande. Il n'est pas question de revenir en arrière. Nous ne pouvons pas nous permettre que ces postes frontières défigurent à nouveau ces collines.
Hier, Le 10 Avril, a marqué le vingtième anniversaire de l'Accord du Vendredi Saint.
Cet accord est le socle de la paix en Irlande du Nord. Tout au long du processus du Brexit, il est resté un élément phare. Le gouvernement irlandais a la responsabilité, avec le gouvernement britannique, de veiller à protéger l'accord du Vendredi Saint, et les acquis ainsi que les bienfaits du processus de paix, qui ont été laborieusement édifiés au cours des trois dernières décennies, voire plus.
L'accord du Vendredi Saint, et en particulier ses dispositions sur la coopération entre l'Irlande et l'Irlande du Nord, a permis aux deux juridictions partageant l'île d'Irlande de coopérer dans toute une série de domaines : la santé, l'environnement, l'agriculture, l'énergie, le tourisme et les transports, et où, travailler ensemble a toujours eu du sens. Cette coopération a contribué à la normalisation des relations sur l'île, et en particulier dans la région frontalière. La frontière ouverte et effectivement invisible, importante pour l'Irlande du Nord et l'Irlande, économiquement, politiquement et socialement, est également au coeur des relations chaleureuses et étroites que nous entretenons aujourd'hui. La frontière ouverte n'est pas seulement un aboutissement du processus de paix, mais elle est également indispensable pour maintenir la paix et renforcer la réconciliation.
C'est la raison pour laquelle, mon gouvernement a privilégié, dans les négociations sur le Brexit, la nécessité d'éviter une frontière « dure » pour soutenir la coopération Nord-Sud, et la protection de l'Accord du Vendredi saint.
En plus d'avoir des répercussions sur le processus de paix, le Brexit aura également un impact important sur le commerce et l'économie de l'Irlande.
Pour comprendre l'ampleur de ces répercussions, un simple coup d'oeil permet de saisir à quel point les économies irlandaise et britannique sont interdépendantes aujourd'hui.
L'Irlande est l'une des économies les plus ouvertes au monde. Les échanges commerciaux sont déterminants pour notre pays en raison d'un marché intérieur réduit. Notre histoire, notre géographie et notre culture ont fait qu'une grande partie de notre commerce s'est toujours faite avec le Royaume-Uni. Bien que nous ayons réussi à diversifier les exportations vers les marchés internationaux, bon nombre de nos exportations de biens et de services sont destinées encore au Royaume-Uni.
De plus, ces exportations proviennent principalement des secteurs locaux de notre économie. Ce sont des secteurs qui emploient le plus grand nombre de personnes.
Le secteur agricole sera particulièrement touché par le Brexit. Près de la moitié de nos exportations alimentaires et d'animaux vivants sont destinées à la Grande-Bretagne ou à l'Irlande du Nord.
Nos liens ne se limitent pas uniquement aux exportations. Nous dépendons aussi beaucoup du Royaume-Uni pour nos importations. Près d'un quart de nos importations proviennent de Grande-Bretagne.
Notre industrie touristique qui est dynamique repose beaucoup sur la venue de touristes en provenance du Royaume-Uni.
L'accès aux eaux autour de la Grande-Bretagne est très important pour nos pêcheurs et l'industrie des produits de la mer - comme c'est le cas d'ailleurs pour la France.
Nous dépendons aussi du Royaume-Uni pour le transport de nos exportations vers d'autres marchés internationaux et de l'UE. Le Royaume-Uni est notre «pont terrestre» et notre «pont aérien» vers le reste du monde.
Il est dans l'intérêt de l'Irlande qu'il y ait une relation des plus étroites entre le Royaume-Uni et l'Union européenne après le Brexit, y compris dans les échanges commerciaux.
À cet égard, le Conseil européen de mars a marqué un autre pas dans les négociations. L'Union européenne a adopté des lignes directrices pour les futures relations de l'UE avec le Royaume-Uni et un accord conditionnel sur une transition.
Nous nous félicitons vivement de cette avancée et de la volonté du Conseil européen d'avoir un partenariat aussi étroit que possible avec le Royaume-Uni à l'avenir. Le Conseil européen a confirmé qu'il était prêt à commencer à oeuvrer en faveur d'un accord de libre-échange équilibré, ambitieux et de grande envergure avec le Royaume-Uni.
Du point de vue du gouvernement irlandais, notre préférence ne va pas vers un accord de libre-échange. Nous avons clairement indiqué dès le début que, selon nous, la solution idéale serait que le Royaume-Uni reste dans le Marché Unique et dans l'Union Douanière.
Cependant, la décision en revient au Royaume-Uni, qui a exprimé son souhait de quitter le Marché Unique et l'Union Douanière. Le Conseil européen doit en tenir compte. Ce qui limite malheureusement la portée du futur partenariat entre l'UE et le Royaume-Uni.
En même temps, nous espérons un partenariat économique ambitieux et à grande échelle entre l'UE et le Royaume-Uni. Il devrait comprendre un accord de libre-échange qui éliminerait les droits de douane et réduirait les barrières non tarifaires. Cela devrait garantir des conditions de concurrence équitables pour nos entreprises. Et il devrait garantir l'intégrité du marché intérieur.
En parallèle, le travail se poursuit sur l'accord de retrait. Nous nous félicitons de la confirmation, lors du Conseil européen de mars, de l'accord conclu par les négociateurs sur certaines parties, dont les droits des citoyens, les règlements financiers et la transition.
En particulier, l'accord conditionnel sur une période de transition ordonnée est le bienvenu. L'Irlande a toujours préconisé de tels arrangements, qui sont extrêmement importants, offrant une sécurité aux individus et aux entreprises.
Il reste toutefois, des parties de l'accord de retrait sur lesquelles il y a eu moins d'avancées. Et cela m'amène aux problèmes spécifiques à l'Irlande.
Pour toutes les raisons que je viens d'énoncer, le gouvernement irlandais a veillé à ce que les négociations UE-Royaume-Uni accordent une attention prioritaire à la dimension nord-irlandaise. Je suis ravie de souligner que nous avons bénéficié du soutien total et de la solidarité de la cellule spéciale de la Commission européenne, dirigée de main de maître par Michel Barnier, et de nos partenaires de l'UE, dont la France, pour cette approche. Il a été clairement identifié que les questions irlandaises faisaient partie des trois thèmes prioritaires à traiter lors de la première phase des négociations avec le Royaume-Uni l'année dernière, ainsi que les droits des citoyens et les questions financières.
Nous étions très heureux d'avoir atteint les objectifs que nous nous étions fixés dans cette phase. Nous avons pris des engagements concrets pour maintenir la Zone de circulation commune entre l'Irlande et le Royaume-Uni. Nous avons obtenu des engagements du gouvernement britannique que l'Accord du Vendredi Saint et les acquis du processus de paix seraient protégés. Le gouvernement britannique a également donné des assurances importantes sur la protection des droits de l'homme et sur l'exercice par les citoyens irlandais en Irlande du Nord de leur droit à la citoyenneté de l'UE. À la frontière, le Royaume-Uni a donné la garantie qu'une frontière « dure » sera évitée, y compris toute infrastructure physique ou vérification associée ou contrôle.
Le gouvernement britannique a l'intention de respecter cet engagement dans le cadre de l'accord de partenariat futur entre l'UE et le Royaume-Uni. Une approche qui rencontre l'assentiment du Royaume-Uni et du gouvernement irlandais. On parle de l'option A. Le gouvernement britannique a également déclaré qu'il proposera des solutions spécifiques pour la frontière. On parle de l'option B. Au sein du gouvernement irlandais, nous sommes prêts à examiner toute solution spécifique proposée par le gouvernement britannique, si nécessaire.
Toutefois, en parallèle, il est important d'avoir une troisième option si cela s'avérait nécessaire. Une option «par défaut» ou «backstop», au cas où il n'y aurait pas d'accord possible avec les options A et B. On parle de l'option C, que je vais intituler maintenant l'option « backstop ». Selon cette approche, qui a été entérinée en décembre par le Royaume-Uni, ce dernier s'est engagé à respecter pleinement les règles du Marché Unique et de l'Union douanière indispensables pour protéger l'accord du Vendredi saint et éviter une frontière dure sur l'île.
Il était très important que ces engagements soient ensuite traduits en un texte juridiquement contraignant par la Commission européenne dans le projet d'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'UE. La Commission européenne a proposé un protocole spécifique à annexer à l'Accord de retrait sur l'Irlande et l'Irlande du Nord.
Sur le fond, la Commission propose, pour éviter une frontière « dure » et protéger la coopération Nord-Sud, que l'Irlande du Nord reste dans une zone de réglementation commune avec l'Irlande et l'UE, en particulier pour les marchandises. Le projet de protocole propose que l'intégralité de l'acquis douanier et les dispositions du droit de l'Union en matière de contrôles vétérinaires et phytosanitaires continuent de s'appliquer à l'Irlande du Nord.
Des mécanismes sûrs de contrôle et d'application seraient mis en place pour garantir l'intégrité du marché unique et de l'union douanière. Je sais que c'est un point important pour la France et je peux vous assurer que c'est aussi un point important pour l'Irlande.
Le Protocole comprend également un certain nombre d'autres dispositions importantes reflétant d'autres domaines adoptées en décembre et qui protègent l'Accord du Vendredi saint dans son intégralité, y compris les droits des individus, et le maintien de la Zone commune de circulation entre l'Irlande et le Royaume-Uni.
Je tiens à être très claire, le « backstop » s'appliquerait si et seulement s'il n'y a pas d'autre solution quant à la question de l'Irlande du Nord.
Au risque de se répéter, le gouvernement irlandais a toujours affirmé sans ambiguïté qu'il était préférable d'éviter une frontière « dure » au moyen d'un accord de partenariat futur plus large entre l'UE et le Royaume-Uni. C'est un point de vue que nous partageons avec le gouvernement britannique. Nous sommes également prêts à discuter de solutions spécifiques proposées par le Royaume-Uni. A la fois, si cela s'avérait nécessaire, il est important que l'option « backstop » soit approuvée et insérée dans le Protocole de l'Accord de retrait.
Ce protocole définit un « backstop » pour garantir l'absence d'une frontière « dure » sur l'île. Cependant, le « backstop », tel qu'énoncé dans le Protocole, est une assurance pour tous, en Irlande du Nord, qui a bénéficié du processus de paix, que nous n'allons jamais revenir à une frontière, synonyme de violence et de division.
Au cours des prochaines semaines, en plus d'examiner d'autres propositions du Royaume-Uni, nous continuerons à combler les lacunes qui subsistent en conformité avec le Protocole. À cette fin, les négociateurs de l'UE et du Royaume-Uni poursuivent actuellement d'intensives négociations à Bruxelles sur les questions irlandaises.
Le Conseil européen de mars a clairement indiqué que rien n'est conclu tant que tout n'est pas conclu. Les négociations globales entre l'UE et le Royaume-Uni ne peuvent progresser que si tous les engagements pris jusqu'à présent sont pleinement respectés. Le Conseil européen continuera donc de suivre de près les négociations, et reviendra sur les questions en suspens, y compris le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord, lors de sa prochaine réunion en juin. Des progrès significatifs sur l'accord du texte du Protocole, y compris sur le « backstop » pour éviter une frontière dure, doivent être faits d'ici-là.
Le message du gouvernement irlandais aujourd'hui est : trouver une solution à la question de la frontière ne peut pas attendre la fin de l'année. La solution de protection doit faire partie de l'accord de retrait qui doit se conclure d'ici octobre. C'est dire l'urgence de la tâche à accomplir en ce moment.
La France et tous nos partenaires de l'UE partagent pleinement ce sentiment d'urgence et conviennent de l'importance de faire des progrès significatifs sur ces questions avant le Conseil européen de juin.
En attendant, nous sommes très concentrés sur la préparation au Brexit en Irlande.
Le gouvernement irlandais ne se fait aucune illusion sur la complexité des défis que représente le Brexit, et nous n'avons de cesse de trouver des réponses adéquates aux répercussions possibles du Brexit. Ceci comprend l'élaboration de plans d'urgence face à tous les scénarios possibles.
Il est un aspect très important de nos préparatifs face au Brexit, ce sont nos efforts pour diversifier nos échanges, à la fois nos exportations et nos importations, ailleurs que vers le Royaume-Uni, vers de nouveaux marchés.
La France étant notre voisin le plus proche dans l'UE, elle représente un intérêt manifeste pour le gouvernement irlandais à cet égard. Avec les agences nationales, nous cherchons à identifier les possibilités d'exportations irlandaises en France, et nous voyons donc de nouvelles perspectives pour les entreprises françaises en Irlande pour l'avenir.
Le développement d'une interconnexion électrique directe, le «Celtic Interconnector», est une démonstration tangible des liens solides et toujours plus étroits que nous voulons voir se tisser entre l'Irlande et la France.
Notre Premier ministre, le Taoiseach, Leo Varadkar, a pris l'initiative de renforcer nos relations avec la France. Il a rencontré le président Macron à Paris en octobre dernier. Ils ont fait le point sur une série de domaines dans lesquels ils souhaitent travailler ensemble pour notre bénéfice commun. Bon nombre de nos ministres se sont rencontrés ces derniers mois, notamment nos ministres des finances, de l'Europe, d'Agriculture du travail et de la protection sociale, pour faire progresser notre programme commun.
Je suis ravie de dire que les relations entre la France et l'Irlande ne se sont jamais aussi bien portées.
En guise de conclusion, permettez-moi de dire que malgré les nombreux défis que le Brexit représente pour l'Irlande, je reste optimiste.
Le Royaume-Uni et l'UE partagent les mêmes objectifs : éviter une frontière « dure » sur l'île et protéger les acquis du processus de paix en Irlande du Nord.
Plus largement encore, nous partageons le même objectif, à savoir conclure un retrait ordonné du Royaume-Uni de l'UE, avec une période de transition suffisante et une relation future qui soit proche et qui permette à nos pays de croître et de prospérer.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de vous exposer la position du gouvernement irlandais sur le Brexit.
Je serais ravie de répondre à vos questions et je me réjouis à la perspective d'engager ce dialogue avec vous.
Je vous remercie, Madame l'Ambassadeur, mais je tiens à faire remarquer que l'option C signifie l'instauration d'une frontière entre l'Irlande et la Grande-Bretagne et alors je m'interroge sur qui pourra en assurer le contrôle. Au fond, l'Irlande du Nord risque de devenir le cheval de Troie des Britanniques. C'est toute l'ambiguïté de cette situation.
Je reconnais que c'est un défi extraordinaire. Mais avons-nous le choix ? Hier nous avons longtemps évoqué ce qu'a été la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord pour les Nord-Irlandais, et j'ai trouvé intéressant et révélateur de toucher du doigt ce que fut la vie pendant les années noires d'avant l'Accord du Vendredi Saint. Lors de ma visite récente je me suis souvenue ce qu'avait été la vie des Nord-Irlandais et ce qu'ils avaient enduré.
Maintenant je dirais pour nous résumer que rester dans une zone réglementaire commune à toute l'île est un principe primordial qu'il faut chercher à maintenir. Dans le projet d'accord, des dispositions ont été ajoutées de manière à garantir cette unité et cette intégrité du marché irlandais.
D'ailleurs le gouvernement irlandais a toujours affirmé qu'il était nécessaire d'éviter une frontière physique dure. Nous sommes prêts à discuter de solutions spécifiques, mais à défaut d'élaborer ces solutions et de les accepter, il restera l'option C, celle du « backstop ». Nous espérons bien sûr que Londres a des propositions à faire pour résoudre la question irlandaise et l'option « backstop » constitue une garantie essentielle pour l'Irlande.
C'est très intéressant de vous entendre développer ce concept de « backstop ». Je dois cependant vous dire que je suis allé récemment en Irlande et que la situation est très tendue à Belfast. Cet accord du Vendredi Saint qu'il faut à tout prix maintenir est en partie un acquis de l'Union européenne, reconnaissons-le. Quant à établir une frontière entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, c'est tout simplement impensable tandis que l'absence de frontière entre le Sud et le Nord est souhaitable mais impraticable. Sur ce chapitre, j'ai bien peur que nous nous bercions d'illusions.
J'aimerais savoir, Madame l'Ambassadeur, combien de Britanniques ont demandé la nationalité irlandaise depuis le referendum.
Vous nous confirmez que le problème central du Brexit est le problème irlandais. En outre, le choix que vous nous indiquez est très difficile ; pour ma part, je pense que c'est la solution dite de repli (« backstop ») qui l'emportera à la fin, car le Royaume-Uni n'a aucune proposition à nous faire. On pourra toujours le solliciter, nous n'obtiendrons aucune réponse. La solution de repli l'emportera alors que nous avons peu de temps pour la mettre en oeuvre et nos amis britanniques ont très peu de temps pour y préparer leur opinion. Le problème est donc essentiellement britannique.
Nous avons vécu le drame de l'Irlande du Nord et l'Union européenne a apporté la paix. L'impossible question de la frontière ravive le sentiment identitaire. Avec l'Accord du Vendredi Saint pourtant, on pouvait être Irlandais et Britannique. Qu'en sera-t-il après à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ? Pourra-t-on conserver la double nationalité ?
Il faut se souvenir qu'il y a énormément d'Irlandais qui vivent en Grande-Bretagne et qu'ils jouissent de droits importants et même plus importants que ceux des ressortissants de l'Union européenne. Ils ont eu le droit de vote aux élections locales bien avant les ressortissants européens. D'ailleurs, je me suis battue -sans résultat, hélas- pour que les ressortissants européens aient le droit de voter au referendum de 2016 car les Irlandais du Royaume-Uni ont eu de droit et ils ont participé au referendum. J'ai moi aussi connu la terrible période des années noires de l'Irlande avant 1998 et je me réjouis que l'Accord du Vendredi Saint y ait mis un terme.
Je m'interroge aujourd'hui sur la possibilité de mobiliser les citoyens irlandais qui vivent au Royaume-Uni pour qu'ils deviennent un groupe pression et exigent un nouveau referendum. Rappelons-nous que 56 % des Irlandais du Nord ont voté pour rester dans l'Union européenne. Votre gouvernement a-t-il fait quelque chose dans ce sens ?
J'ai beaucoup apprécié, Madame l'Ambassadeur, la clarté de votre intervention. Naturellement, nous pensons tous que le retrait du Royaume-Uni est une décision respectable mais regrettable, et sur la question actuelle du Brexit, je partage votre point de vue. Cependant il me semble que sans attendre le Brexit, les relations commerciales et industrielles entre l'Irlande et la France se sont développées et que le Brexit leur apporte l'occasion de se développer davantage ; nous avons une façade maritime importante et de nombreuses compagnies de transport maritime. Je crois qu'il serait intéressant d'avoir une rencontre spécifique sur cette question des échanges directs entre l'Irlande et la France, car en tant que Normand, j'ai l'intuition que nous avons là avec le Brexit une vraie opportunité de développement. Je pense ainsi au triangle possible avec l'Espagne et le Portugal par le port de Santander.
Sur la question de savoir combien de citoyens britanniques ont demandé la nationalité irlandaise au lendemain du référendum, je ne dispose pas de chiffres exacts. Ce qui est certain, c'est que le nombre des demandes a explosé, signe que le Brexit constitue un traumatisme pour beaucoup de gens. Nous recevons aujourd'hui encore beaucoup de demandes, tout autant à l'Ambassade d'Irlande à Paris, qu'à Londres et dans les autres capitales.
Concernant l'accord du Vendredi Saint et son articulation avec l'Union européenne, il est tout à fait juste que l'Union a grandement contribué à sa signature. L'accord du Vendredi Saint est étroitement lié à notre appartenance à l'Union européenne. Par ailleurs, il est important de rappeler que les droits des individus, plus spécifiquement des citoyens irlandais en Grande-Bretagne et en Irlande du Nord, sont contenus dans cet accord. L'Accord du Vendredi Saint reconnait le droit aux personnes nées en Irlande du Nord le choix d'être irlandais ou britannique, ou les deux. En décembre, l'UE et le Royaume-Uni ont convenu que les nord irlandais qui sont citoyens irlandais continueront à bénéficier de leurs droits de citoyens de l'UE. Le projet de Protocole reconnaît cet engagement. C'est donc une question importante qui se pose et qui est en discussion.
M. Poniatowski, je suis absolument d'accord avec vous, il est urgent de trouver une solution.
Je suis de votre avis M. Allizard pour dire qu'il y a un grand potentiel, après le Brexit, à développer davantage les liens commerciaux et les liaisons de transport entre l'Irlande et la France, surtout avec la Normandie et la Bretagne. Avec mon équipe à l'ambassade, ainsi que nos collègues des agences de Tourism Ireland et d'Enterprise Ireland, nous sommes à la recherche de débouchés. Par exemple, Brittany Ferries va ouvrir de nouvelles lignes maritimes entre l'Irlande et la France cet été. Avec mon équipe, nous serions ravis de discuter de ce sujet plus avant avec vous Mesdames et Messieurs les sénateurs.
Merci, Madame l'ambassadeur. Je reviens à cette option C de « backstop ». La paix doit être privilégiée et l'Union européenne ne prendra probablement pas le moindre risque sur ce sujet. C'est pourquoi j'insiste sur le fait qu'il faut travailler aussi sur la frontière maritime. Nous vous serions très reconnaissants de nous informer, au cours des prochaines semaines, des éventuels progrès des négociations ou des réflexions en la matière. Nous suivrons aussi avec attention les dossiers agro-alimentaires, en particulier la question des contrôles sanitaires et administratifs, ainsi que le dossier de la pêche.
Le gouvernement irlandais n'a jamais suggéré qu'une frontière en mer d'Irlande puisse être une solution. Nous avons toujours été convaincus que nous préférions que les problèmes spécifiques à l'Irlande soient résolus à travers l'accord de partenariat futur entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. En même temps, il est d'une importance vitale pour l'ensemble de l'UE que l'intégrité du marché unique et de l'union douanière soit préservée. Je sais que la France partage cette préoccupation avec l'Irlande.
L'industrie de la pêche est une priorité absolue pour nous. Le Brexit pose de sérieuses difficultés dans ce secteur. Il est indispensable de parvenir à une solution pour protéger les pêcheurs. Dans le cadre de ces négociations, nous voulons maintenir l'accès actuel aux zones de pêche et que nos quotas de pêche soient protégés. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Commission et d'autre États membres intéressés, y compris la France pour garantir la protection des intérêts de nos pêcheurs. Nous nous réjouissons que les lignes directrices adoptées lors du dernier Conseil européen identifient la pêche comme une priorité dans le cadre des négociations sur les relations futures. Là aussi, il est urgent de trouver une solution. Il est important que, dans le contexte global des futurs accords commerciaux entre l'UE et le Royaume-Uni, l'accès réciproque existant aux eaux et aux ressources de pêche soit maintenu.
La réunion est close à 17h30