Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

La réunion

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Christian Cambon, président. - Nous auditionnons M. Philippe Étienne, ambassadeur de France à Washington, sur les conséquences intérieures et géopolitiques de la crise sanitaire aux États-Unis.

Monsieur l'ambassadeur, vous avez exercé, entre autres, les fonctions de conseiller diplomatique du Président Macron et celle d'ambassadeur en Allemagne. Vous êtes un acteur central de notre politique étrangère.

Les États-Unis, première puissance mondiale, apparaissent aujourd'hui vulnérables. Plus que jamais, le « Gulliver empêtré », pour reprendre le mot de Stanley Hoffmann, montre ses pieds d'argile. Nous comptons sur cette audition pour décrypter ce qui s'y joue réellement. Sommes-nous à un tournant ?

La situation sanitaire est présentée comme désastreuse, mais le nombre de décès par million d'habitants reste plus faible qu'en Europe occidentale. Les atermoiements et provocations du président Donald Trump occupent la Une des médias, mais masquent la part importante du travail réalisé par les gouverneurs des États fédérés et les autorités locales. Quelle est la situation sanitaire ? Quelles sont les perspectives de sortie de crise? Quel est le niveau de l'épidémie au sein des forces armées ? Comment celles-ci sont-elles mobilisées ?

Derrière la crise sanitaire se profile une crise économique et sociale massive. Le pays est connu pour son libéralisme économique et son système de protection sociale allégée. La réponse, partagée par les républicains et les démocrates, consiste, comme partout dans le monde, en des injections massives de fonds publics dans l'économie et dans la protection sociale. L'économie américaine pourra-t-elle rebondir, comme elle l'avait fait après la crise des subprimes de 2008 ? Va-t-elle s'enfoncer dans une déflation durable, avec un chômage beaucoup plus important ? Quel sera l'effet des prix bas sur les producteurs de pétrole de schiste ? Comment sera financée à terme la dette américaine ? Le dollar ne risque-t-il pas perdre sa place de référence dans l'économie mondiale ?

Nous attendons évidemment votre analyse sur la situation politique intérieure en cette année électorale. Comment la campagne des primaires se déroule-t-elle dans ce contexte perturbé ? Les élections pourront-elles se tenir? La crise peut-elle changer la donne dans la course à la réélection de Donald Trump ? Une victoire démocrate devient-elle possible ?

Sur le plan extérieur, la crise accentue le repli sur soi et le désengagement américain dans le monde. Faut-il craindre un désengagement plus marqué encore dans la défense de l'Europe ? Quid du Sahel, où le soutien américain est essentiel à Barkhane ? La rivalité avec la Chine peut-elle tourner à une forme de guerre froide ? En cas d'alternance, les démocrates sont-ils susceptibles de redonner ses chances au multilatéralisme ?

Debut de section - Permalien
Philippe Etienne, ambassadeur de France aux États-Unis

Je remercie votre commission de me donner l'occasion de m'exprimer sur les dimensions sanitaire, économique et sociale, politique et géopolitique de la crise du Covid-19 aux États-Unis.

Je salue l'approbation par le Sénat, dont je connais l'intérêt pour les questions relatives aux Français de l'étranger, du projet de loi autorisant la ratification de l'accord franco-américain sur l'emploi des conjoints d'agents. Ce texte était particulièrement attendu.

L'ambassade de France aux États-Unis a été mobilisée, dès la fermeture des frontières américaines et celle des frontières extérieures de Schengen, pour rapatrier les Français de passage. Nos consulats généraux ont été très sollicités. Quelque 22 000 Français ont ainsi pu rentrer en France. Le nombre de Français sans solution de retour, que nous suivons régulièrement, s'est stabilisé : entre 85 et 100 personnes. Nous sommes très attentifs à la situation des étudiants. Nous avons également dû traiter le cas des passagers des navires de croisière. Nos 53 établissements scolaires homologués ont dû fermer ; nous leur assurons un accompagnement régulier.

Vous m'interrogez sur la dimension sanitaire de la crise. On dénombre à ce stade 1,37 million de cas positifs au Covid-19 et plus de 60 000 décès. Après un début d'épidémie sur la côte Ouest, il y a eu ce foyer important à New York. D'autres foyers se développent désormais, même dans des zones plus rurales. L'épidémie progresse dans une vingtaine des cinquante États fédérés, se stabilise dans une vingtaine d'autres et ralentit dans .une dizaine. Ce bilan contrasté tient à la taille, mais également à la nature fédérale du pays. Les gouverneurs jouent effectivement un rôle essentiel dans la gestion de la crise. La pandémie souligne des inégalités au sein de la société américaine : les afro-américains sont ainsi une part nettement plus importante des victimes dans certains États.

La crise est traitée à l'échelon fédéral et à celui des États. L'urgence nationale décrétée le 13 mars s'est accompagnée d'orientations présentées par le président Trump, avec des conseils de distanciation sociale, en se prononçant contre les rassemblements de plus de dix personnes et les déplacements non essentiels. Parallèlement, tous les États ont pris des dispositions. La plupart ont demandé à la population de rester à la maison ; d'autres ont préféré laisser cette responsabilité aux communes ou aux comtés.

La mobilisation des administrations à l'échelon fédéral et dans les États a tourné autour des équipements, et tout particulièrement de la mise à disposition des tests. Le président Trump a remis en vigueur le Defense Production Act, qui date de 1951, pour pouvoir contraindre l'appareil productif et industriel américain, par exemple en obligeant hier au maintien de l'activité de transformation de viande. Les débats portent sur les tests et les dépistages ; les recherches, sur les traitements et les vaccins, avec les premières autorisations de traitements intervenues ces derniers jours

Le système de santé des États-Unis, malgré son coût, ne couvre pas toute la population. C'est un facteur potentiel d'inégalités dans la contamination par le virus. Les premières mesures prises par le Congrès et promulguées par le président visaient donc à élargir la couverture santé (gratuité des tests, couverture des frais d'hospitalisation liés au Covid).

L'armée a été touchée -on a beaucoup parlé du porte-avions Theodore Roosevelt- elle a aussi mobilisé des équipements, dont deux bateaux hôpitaux militaires, ainsi que des moyens humains (corps des ingénieurs, garde nationale) importants.

Aujourd'hui, le principal débat porte sur le déconfinement. L'échelon fédéral a publié des orientations, en recommandant trois étapes. La décision est laissée à chaque gouverneur. Dans certains États, principalement républicains, on sent une pression à la réouverture même lorsque les critères fixés à l'échelon fédéral ne sont pas remplis.

J'en viens à la dimension économique. Ces dernières semaines, 30 millions d'Américains se sont inscrits au chômage. Le PIB a reculé de 4,8 % au premier trimestre en tendance annuelle. La crise est donc d'ores et déjà majeure. La situation varie selon les secteurs : les plus touchés sont la restauration, l'hôtellerie, le tourisme, le transport aérien ainsi que nombre d'industries manufacturières. L'effondrement de la demande mondiale de pétrole et de gaz a des conséquences dramatiques pour beaucoup de sous-traitants.

Les pouvoirs publics ne sont pas restés sans réaction. Il y a eu quatre plans de réponse, dont le plus important, adopté par le Congrès le 27 mars, prévoit un soutien de 2 200 milliards de dollars, soit 10 % du PIB américain. Il comporte un important dispositif d'aide aux PME ainsi que des mesures relatives aux prêts, avec une coordination étroite entre le département du Trésor et la Réserve fédérale.

Un mot de la dimension politique. La réponse des autorités, fédérées et fédérale, s'inscrit dans la perspective des élections du 3 novembre prochain. Les modalités de vote à ces élections sont d'ores et déjà impactées par la crise. Déplacer la date de l'élection exigerait une loi fédérale. Le camp démocrate a demandé que le vote par correspondance soit facilité, ce qui est en général refusé par les républicains. Ce qui est en jeu, c'est le taux de participation, notamment dans certains États stratégiques.

Les élections, je le rappelle, visent non seulement à élire le président mais également à renouveler intégralement la Chambre des représentants (où la majorité républicaine est devenue démocrate en 2018) et partiellement le Sénat - dans lequel les républicains n'ont que trois voix de majorité. Le lien entre ces perspectives électorales et le succès du déconfinement est évident. On espère un rebond économique au second semestre. L'atout du président était en effet jusqu'à présent le succès de l'économie américaine, sur lequel il comptait pour se faire réélire. Les élections seront aussi en partie un référendum sur la façon dont la crise aura été gérée, dans chaque Etat et au niveau fédéral, avec une polarisation politique entre républicains et démocrates.

Les responsables américains mettent en avant la responsabilité de la Chine. La crise du coronavirus apporte une nouvelle illustration d'une double tendance : la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine et la méfiance de l'administration américaine à l'égard du multilatéralisme. La polémique prend même un tour juridique : dans certains États, des recours contre la Chine ont été déposés. Les États-Unis cherchent à contrer le narratif de Pékin et ont durci leur discours contre l'Organisation mondiale de la santé (OMS), après avoir décidé de suspendre certains de leurs versements à cette institution. Ils demeurent toutefois un acteur majeur dans le financement de la santé mondiale.

Face à cette situation, l'Europe, et en particulier la France, est à la manoeuvre au sein des Nations unies, du G20, du G7. La présidence américaine du G7 a ainsi organisé les coordinations entre chefs d'État et de gouvernement, entre ministres de la santé, de l'économie et des finances, entre spécialistes de la recherche. De premières décisions ont été prises : le G20 a décidé un allègement (moratoire sur le paiement des intérêts) de la dette des pays les plus vulnérables notamment en Afrique. Les États-Unis ont conscience qu'ils doivent être actifs pour contrer la « diplomatie du masque » de la Chine. Ils développent donc leur action diplomatique en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie, et augmentent les moyens qui lui sont consacrés.

M. Ladislas Poniatowski. - Monsieur l'ambassadeur, ma première question porte sur la politique intérieure. Le président Trump a particulièrement mal géré la crise du coronavirus. Après avoir nié la gravité du problème, il s'est réveillé devant l'importance des dégâts et la réaction de certains gouverneurs, qui n'ont pas attendu que des décisions soient prises au niveau fédéral. Maintenant, il promeut le déconfinement, soutenu par ses partisans qui n'hésitent pas à manifester - nous en avons vu des images frappantes aux journaux télévisés. Quelles en seront les répercussions sur le résultat des élections ? En 2016, l'establishment et les médias avaient caricaturé Donald Trump ; ne font-ils pas la même erreur aujourd'hui ? Par sa manière de gérer la crise, le président ne conforte-il pas son électorat, qui est celui de l'Amérique profonde ?

Ma seconde question porte sur la politique internationale. Je ne comprends pas la stratégie du président Trump en Iran. Dans un premier temps, il a décidé que les États-Unis quittaient l'accord nucléaire, pourtant ratifié par la Chine, la Russie, l'Europe... Aujourd'hui, à l'approche d'une échéance importante, qui devrait permettre la reprise des ventes d'armes à l'Iran, il cherche à rentrer de nouveau dans le jeu. Les États-Unis quittent l'Irak et veulent rester un acteur en Iran : mais à quel jeu joue donc le président Trump ?

M. Rachid Temal. - Merci pour ce tour d'horizon et pour votre point sur la situation des Français de l'étranger. Je suis co-rapporteur, avec mon collègue Jean-Pierre Grand, sur ce sujet.

S'agissant des conséquences potentielles de la crise sur l'élection présidentielle, je partage en partie le propos de M. Poniatowski. La stratégie de Donald Trump est de conforter son électorat. Le refus d'élargir le vote par correspondance participe de cette stratégie.

On constate que les États fédérés reprennent la main dans la gestion de la crise. Quelles conséquences cette situation peut-elle avoir sur leurs rapports avec l'État fédéral ?

Imaginons que Joe Biden gagne l'élection. Quels changements pourraient alors intervenir dans la gestion de la crise ? Plus globalement, que pense-t-il du multilatéralisme ?

Pour le directeur de l'Institut français des relations internationales, cette crise est la première du monde post-américain. Les États-Unis jouent un rôle économique et politique important, mais on constate qu'ils ont, depuis quelques années, détourné leur regard de l'Ouest- l'Europe pour le tourner vers l'Est- la Chine, à la fois partenaire potentiel et ennemi. Une fois cette crise passée, quel pourrait être leur rapport à ce pays, mais également au système multilatéral, à l'Europe et à la France ? Avons-nous une carte à jouer dans la recomposition du monde à laquelle nous assistons ?

M. Alain Cazabonne. - Merci de votre exposé et de l'accueil que vous nous aviez réservé à Washington lors de la réunion de l'OTAN.

L'issue du scrutin de novembre dépend, vous l'avez dit, de la situation économique dans laquelle se trouveront les États-Unis. Si Donald Trump n'est pas réélu, quid des relations de ce pays avec Israël et la Palestine ? Assisterons-nous à un changement complet de politique et à la reprise d'un dialogue ? Le plan de paix risque-t-il d'être jeté aux orties ? L'ambassade américaine restera-t-elle à Jérusalem ? Allons-nous revenir au statu quo ante sur la question des colonies ?

Quelle est la position des démocrates sur l'intervention des forces américaines en Afrique, où elles nous apportent un soutien extrêmement important ?

M. Richard Yung. - Nous avons des inquiétudes concernant les écoles françaises aux États-Unis, essentiellement financées par les parents. Si ceux-ci sont victimes de la crise économique, les écoles seront en péril. Un important plan de soutien aux Français de l'étranger, doté de 240 millions d'euros, a été présenté ce matin. Sera-t-il suffisant ?

Nous avons été saisis par des compatriotes confrontés à des fins de visa anticipées, liées à la perte de leur emploi. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Pensez-vous que cette crise puisse être l'occasion d'ingérences étrangères dans l'élection présidentielle américaine ?

La chute du prix du pétrole ne risque-t-elle pas de mettre en danger l'industrie du gaz de schiste dans certains États américains ? De petits producteurs vont sans doute devoir cesser leur activité. N'est-ce pas une mauvaise chose pour Donald Trump ? Les grandes majors vont-elle en profiter pour racheter ces petits producteurs ?

Si Joe Biden était élu, la situation pourrait-elle changer au Proche-Orient ? Donald Trump estime qu'une partie de la Cisjordanie occupée pourrait être annexée par Israël. Cette orientation pourrait-elle être remise en cause ?

M. Jean-Noël Guérini. - Quelles sont les coopérations entre centres de recherche pour la mise au point d'un vaccin contre le coronavirus ? Est-ce chacun pour soi, ou le gouvernement français favorise-t-il des collaborations ?

Quel est le sentiment des Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft face à la volonté française de taxer les profits réalisés sur le territoire national ?

La politique américaine de taxation de certains produits français, comme le vin, est--elle entrée en application ? Les éventuelles mesures de rétorsion que nous pourrions prendre sont-elles crédibles ?

Le président Macron apparaît, dans un monde en crise, comme l'un des derniers défenseurs du multilatéralisme. Ses choix sont-ils tenables en cas de réélection du président américain ?

Joe Biden peut-il, selon vous, rassembler les électeurs de Bernie Sanders, condition importante pour battre Donald Trump ?

M. Pierre Laurent. - Vous avez évoqué le nombre très important de morts et l'état de la couverture sanitaire aux États-Unis. Le problème vient-il du manque de moyens hospitaliers, comme en France, ou des conditions d'accès aux soins ?

Trente millions d'Américains se sont inscrits au chômage. Quel est le régime d'indemnisation ?

M. Poniatowski a évoqué les manifestations anti-confinement, qui ont été médiatisées en France. Quelle est leur ampleur réelle ? Qui les organise ? Les images ne reflètent quelquefois pas correctement la réalité...

L'escalade des propos du président Trump contre l'OMS s'accentue. Outre la dimension électorale, liée à la campagne présidentielle, ne faut-il pas y voir une tendance plus profonde ? Ne risque-t-on pas d'assister, si Donald Trump est réélu, à une remise en cause des cadres multilatéraux et du travail de l'ONU ?

Quel est l'état du camp démocrate ? Observe-t-on une dynamique autour de Joe Biden ou une démobilisation des électeurs de Bernie Sanders ?

M. Joël Guerriau. - Les États-Unis ont accéléré leur rythme d'extraction de pétrole et l'Arable saoudite a vendu des actions d'Aramco pour se diversifier. Cette situation va-t-elle compliquer les relations américano-saoudiennes ? Cela peut-il accentuer les tensions dans la résolution des conflits dans cette région ?

Donald Trump est-il suivi dans sa mise en cause du multilatéralisme ? Le recul des États-Unis au sein des organisations internationales, notamment l'OMS, pousse-t-il ces dernières à se tourner vers la Chine pour assurer leur financement ? Est-ce une lame de fond inéluctable ou un revirement est-il possible ? Quelles conséquences pour les Européens ?

Le président américain est connu pour son imprévisibilité et ses décisions jacksoniennes. Par exemple, il a tenu sa promesse électorale en sortant de l'accord nucléaire avec l'Iran, sans se soucier de l'impact de sa décision pour ses alliés européens. Le contexte électoral nous expose-t-il à d'autres promesses populistes qui accentueraient l'instabilité internationale ? Si les États-Unis quittaient le Moyen-Orient, quelles en seraient les conséquences ?

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la coopération entre le niveau fédéral et le niveau étatique dans la gestion de la crise sanitaire ? Comment la pandémie peut-elle affecter le processus électoral américain selon ce que chaque État décidera ?

Monsieur Poniatowski, la façon dont le président Trump a géré la crise a été, et est toujours, très commentée. Il met en avant le fait d'avoir interdit l'accès au territoire américain aux vols en provenance de la Chine dès le 30 janvier dernier, alors que l'OMS, à l'époque, n'avait pas recommandé cette mesure. L'administration, par ailleurs, accuse la Chine de n'avoir pas alerté suffisamment tôt sur les risques de ce virus.

Cette crise aura un nécessairement un impact sur le résultat des élections, mais qu'il est impossible de prédire : cela dépendra du rétablissement, ou non, de l'économie et du jugement que porteront les électeurs sur la gestion de la crise, y compris par chaque gouverneur.

Vous le savez, le président est élu par un collège électoral. En 2016, Donald Trump, l'a emporté grâce à sa victoire dans certains États pivots. En novembre prochain, la situation pourrait donner aussi un rôle clef à certains Etats (on évoque de nouveau des Etats tel que la Floride, le Michigan et la Pennsylvanie), d'où l'importance du jugement que porteront, par exemple, les électeurs sur les actions du gouverneur républicain de Floride ou de la gouverneure démocrate du Michigan.

Il est exact que les médias et l'establishment ont sous-estimé le candidat Trump en 2016. Le noyau électoral de M. Trump n'est pas altéré par cette crise, si l'on en croit les sondages. Le problème du président comme des démocrates est de rallier assez d'indépendants, pour l'emporter dans les États pivots : c'est là que peut se jouer de nouveau, à la marge, le sort de l'élection.

M. Trump a annoncé hier qu'il reprenait ses déplacements, et il se rendra en Arizona puis dans l'Ohio les semaines prochaines. Jusqu'ici, des points de presse quotidiens, pour controversés qu'ils aient pu être, lui ont permis d'occuper l'espace médiatique, alors que son opposant, M. Biden, perdait en visibilité. Ces derniers jours, D. Trump a espacé quelque peu ses sorties médiatiques. Il cherche à présent à occuper le terrain de la réouverture de l'économie.

Avec l'Iran, la stratégie américaine reste d'exercer une pression maximale, y compris en vue de l'échéance de l'embargo sur les livraisons d'armes, à l'automne prochain. Les Américains ont proposé une aide bilatérale (refusée) à l'Iran pour le covid 19, mais leur stratégie n'a pas changé. Peuvent-ils quitter l'Irak ? La crise a des effets sur les missions d'entraînement de l'armée irakienne par la coalition inernationale, mais la lutte contre toute réactivation de Daech reste d'actualité, pour eux comme pour nous.

Quel sera l'effet de la crise sur le fédéralisme ? Le débat sur le sujet est consubstantiel aux États-Unis depuis leur origine. On observe à présent que des groupes d'États, de la côte Pacifique, des environs de New York ou du Midwest, se constituent pour coordonner leur approvisionnement en matériel médical ou pour s'accorder sur les conditions du déconfinement. Un tel phénomène a déjà eu lieu, avant cette crise, au sujet de la régulation de l'Internet ou des mesures environnementales et climatiques, en particulier autour de la Californie. À cet égard, la crise peut accélérer une tendance déjà en cours.

Débouchera-t-elle sur un monde bipolaire, ou même zéro-polaire ? Quelle sera la place de l'Europe, de la France ? Les initiatives prises par le Président de la République et par l'Europe, notamment sur l'accès aux diagnostics, aux futurs traitements et aux vaccins que nous espérons, et sur le renforcement des systèmes de santé dans les pays les plus vulnérables, illustrent la manière dont notre continent promeut une réponse multilatérale efficace. Aurons-nous un soutien suffisant ? Nous nous efforçons de convaincre nos alliés.

Quel sera l'effet de l'élection sur les relations entre Israël et la Palestine ? D'abord, si le gouvernement de coalition est bien constitué en Israël entre MM. Netanyahou et Gantz, son programme prévoit une annexion partielle de la Cisjordanie de la vallée du Jourdain, qui pourrait avoir lieu avant le 3 novembre et aurait de lourdes conséquences. Les positions d'une administration démocrate seraient-elles différentes ? Le parti démocrate en a beaucoup débattu. Sur la localisation de l'ambassade américaine, il serait difficile de revenir en arrière, comme l'a récemment confirmé Joe Biden. Mais les paramètres de la position américaine seraient sans doute différents.

La revue des forces américaines déployées dans le monde n'est pas achevée, et le soutien américain à l'opération Barkhane demeure, pour l'instant. Sur ce thème, il n'y a pas forcément de divergence entre démocrates et républicains. Au Congrès, en tous cas, nous bénéficions d'un soutien bipartisan en faveur du maintien de l'effort dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Le plan de soutien annoncé par notre Gouvernement en faveur des communautés scolaires à l'étranger est important, tout comme le renforcement des bourses. Nous suivons les difficultés de nos établissements, qui se remettront plus ou moins difficilement de la crise. La question des visas est sensible. Si la France a prolongé la validité de tous les titres de séjour en cours de validité, les États-Unis ont pris des dispositions permettant une telle prolongation, mais au cas par cas, qu'il s'agisse des visas ou des ESTA (Electronic System for Travel Authorization). Nous dialoguons avec l'administration américaine et intervenons dans les cas les plus délicats.

Les ingérences de certains pays, que nous connaissons bien, dans les campagnes électorales de nos démocraties se poursuivront certainement. Les dispositifs mis en place sur certains réseaux sociaux font apparaître l'importance, désormais, de la bataille des narratifs : sur le coronavirus, sur les mérites des différents systèmes... Cette bataille se livre aussi bien dans nos pays qu'en Afrique, en Amérique latine ou en Asie. Les États-Unis et l'Europe ont un intérêt commun à montrer l'efficacité et les avantages d'un traitement démocratique de la crise.

La baisse spectaculaire des prix du pétrole joue un rôle politique important dans les États où l'on exploite les gaz de schiste, comme la Pennsylvanie ou le Texas. Le président Trump ne s'y est pas trompé et s'est impliqué personnellement pour trouver un accord entre l'Arabie saoudite et la Russie, au sein de l'OPEP +, d'autant plus qu'il a manifesté sa fierté de voir les États-Unis redevenir un exportateur net d'hydrocarbures.

La coopération entre les politiques et les institutions de recherche dans le monde est cruciale. La France s'est clairement engagée, au cours de la visioconférence tenue il y a peu à Genève, pour accélérer la coopération internationale dans la conception et la production de diagnostics, de traitements et de vaccins, et faciliter leur accès aux pays qui en auront besoin, notamment en Afrique. La course engagée pour la recherche du vaccin est en effet intense.

La taxation du numérique fait toujours l'objet de négociations au sein de l'OCDE. Les difficultés économiques actuelles ne tendront certes pas à réduire l'importance de cette question, puisque les États seront tous, après la crise, à la recherche de ressources à la fois justes et supplémentaires. L'économie numérique traverse cette crise de manière différenciée : certains acteurs peuvent développer leurs activités ; d'autres, comme ceux qui sont axés sur le partage de ressources dans le domaine du tourisme ou des déplacements, sont davantage impactés.

Le contentieux entre Airbus et Boeing reste pendant. Les droits supplémentaires sur le vin, entre autres produits européens, ont bien été appliqués. L'Europe se réserve d'instaurer à son tour des tarifs à l'issue du panel Boeing de l'OMC. La crise actuelle, qui affecte toute la chaîne aéronautique, mais aussi les producteurs frappés par ces droits, est une raison supplémentaire pour l'Europe d'insister auprès des États-Unis pour que ce contentieux soit réglé au plus vite.

La France plaide toujours pour une gestion multilatérale, y compris au sein des institutions qui sont chargées de la santé, et en particulier en ce qui concerne l'aide à l'Afrique, qui subira un impact économique majeur. Pour faire face à ce défi, nous avons engagé une concertation avec les États-Unis. Il faudra tirer les leçons de la crise sur le fonctionnement de nos institutions multilatérales, y compris l'OMS, mais la priorité actuelle est une coopération internationale efficace contre la pandémie, qui est un défi global.

Joe Biden saura-t-il rassembler autour de lui l'électorat de Bernie Sanders ? La question est en effet importante. Il a bénéficié d'un ralliement accéléré de tous les autres candidats à l'investiture démocrate, par rapport à ce qui s'était passé il y a quatre ans. Son handicap réside dans un accès plus difficile aux médias et à l'attention de la population par rapport à M. Trump et même aux gouverneurs. Pour mobiliser, il lui faut ne pas apparaître comme le candidat du statu quo ante, afin de toucher l'électorat populaire qui s'était tourné vers M. Trump ; il lui faudra rassembler les électeurs qui avaient fait défaut à Mme Clinton en 2016, notamment dans les États industriels du Midwest, ainsi que les minorités ethniques, qu'il lui faudra inciter à aller voter. Les démocrates de la minorité hispanique s'était largement ralliés à Bernie Sanders, tout comme les jeunes, dont le taux de participation est traditionnellement plus faible. Si Joe Biden a fait plusieurs gestes, sur le coût des études universitaires ou l'assurance-santé, sujet majeur de la campagne, on ne sait pas encore dire s'il récupèrera à son profit l'enthousiasme qu'avait soulevé Bernie Sanders auprès de certains jeunes électeurs.

Le nombre de morts, certes impressionnant mais qu'il faut rapporter à la population, est-il dû à l'insuffisance des moyens médicaux ou à la difficulté d'y accéder ? On a observé à New York, comme en Europe, des hôpitaux saturés et des carences en matériel de protection. Pour autant, les principaux handicaps des populations les plus vulnérables ont été aussi des facteurs de comorbidité, ou l'exposition au virus de par les métiers exercés.

Les avantages offerts aux quelque 30 millions de nouveaux inscrits au chômage dépendent des États, mais les mesures sociales prises par le Congrès comportent un renforcement et une extension de l'assurance-chômage. Faudra-t-il envisager un renforcement permanent du filet de sécurité sociale aux Etats-Unis ? Ce sera l'un des sujets de la campagne.

Les manifestations contre le confinement étaient liées à une frange plutôt extrême. Sans être massives, elles étaient coordonnées sur les réseaux sociaux et visaient certains gouverneurs démocrates.

La mesure prise contre l'OMS s'explique par les critiques récentes dont elle a fait l'objet aux Etats-Unis dans le contexte Covid 19, mais c'est aussi la continuation d'une tendance de méfiance vis-à-vis du multilatéralisme. Comme en Europe, la pandémie suscite des débats sur le rapatriement des chaînes de production, notamment de médicaments. Les États-Unis soulignent en tous cas que le financement de l'OMS suspendu ne représente qu'une faible part de leur soutien multilatéral, ou bilatéral, à la santé dans le monde : ils dépensent énormément pour la santé globale. Et leur contribution à l'OMS était plus de dix fois supérieure à celle de la Chine. Ils ne se désengageront donc pas du financement international de la santé, mais indiquent qu'ils pourraient passer par d'autres canaux que l'OMS.

Vis-à-vis de l'Arabie saoudite, on percevait déjà une attitude critique au Congrès, y compris chez les élus républicains, lors de l'affaire Khashoggi. L'aggravation de la crise pétrolière a entraîné d'autres réactions des États américains producteurs d'hydrocarbures. Au niveau de l'administration présidentielle, toutefois, on reste attaché à la relation avec ce pays, dans lequel M. Trump s'était rendu immédiatement après son élection. L'Arabie saoudite a déclaré une trêve unilatérale au Yémen, ce qui est un point positivement ressenti. Dans d'autres régions, on voit que les crises ne s'arrêtent pas. D'où le soutien apporté par la France à l'appel du Secrétaire général des Nations unies à un cessez-le-feu général, dont nous souhaiterions qu'il aboutisse à une coopération entre ses 5 membres permanent et à une résolution du Conseil de sécurité.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - La crise sanitaire actuelle confirme voire amplifie les tendances à l'oeuvre depuis le début du mandat de Donald Trump en matière de politique étrangère : le refus de la coopération multilatérale, un désintérêt évident pour l'Europe et une méfiance envers les organisations supranationales, comme le démontre la suspension de la contribution américaine à l'OMS. Pensez-vous que cette crise, au-delà de l'attitude du président Trump, puisse exacerber les réflexes isolationnistes de la population américaine ?

Vous nous avez invités à ne pas surestimer l'importance du retrait américain de l'OMS. Je suis d'accord avec vous : Jean-Pierre Vial et moi-même venons d'auditionner le directeur de l'ONG Acted, qui nous a confirmé que les Américains restaient de gros bailleurs de fonds et des donneurs d'ordre importants dans le domaine de la santé. Cela étant, nous constatons que les fondations privées, comme la fondation Bill et Melinda Gates, sont désormais en première ligne. Si certaines de ces fondations ont bien un but philanthropique, ce n'est pas vrai de toutes : ne doit-on pas s'inquiéter de l'émergence de ces acteurs privés ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souhaiterais vous entendre sur la résilience de la communauté française aux États-Unis et l'impact de la crise sur celle-ci. Vous avez déclaré avoir identifié et aidé certaines personnes à rentrer en France. Reste-t-il des Français bloqués aux États-Unis ou, à l'inverse, des compatriotes bloqués en France ?

Pourriez-vous dresser un état de lieux du réseau culturel français aux États-Unis, notamment celui des alliances françaises ? Nous avons lancé une pétition pour les aider, mais cette cause n'a pas trouvé d'écho dans le dispositif de soutien aux Français de l'étranger annoncé par le Gouvernement ce matin.

Bercy réfléchit actuellement à la meilleure manière d'accompagner les entrepreneurs français installés aux États-Unis dans cette crise. Les conseillers du commerce extérieur de la France et les chambres de commerce franco-américaines jouent également un rôle en la matière. Même s'il est compliqué pour une ambassade et des consulats d'avoir une vue globale, je vous sais personnellement impliqué dans différents réseaux : disposeriez-vous de premiers retours de terrain de la part de ces entrepreneurs ?

Enfin, il semblerait que les sites des consulats n'aient pas tous correctement relayé l'information envoyée par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) sur les bourses exceptionnelles dont pourront bénéficier les familles françaises. Il faudrait s'assurer que nos ressortissants en aient rapidement connaissance.

M. Ronan Le Gleut. - Dans une interview donnée en 2018, Donald Trump, citant le Monténégro, remettait en cause l'automaticité des dispositions de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Ce changement de discours avait suscité l'effroi dans un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale. Deux ans plus tard, diriez-vous que cette interview marquait un changement de doctrine ? Un président démocrate reviendrait-il au discours précédent, ou ce changement de discours correspond-il à une lame de fond et à une inflexion de la stratégie américaine ?

M. Robert del Picchia. - Je tiens à saluer le dispositif de soutien aux Français de l'étranger annoncé par Jean-Yves Le Drian ce matin. Ce plan de 240 millions d'euros -100 millions d'euros pour aider le réseau de l'AEFE, 50 millions d'euros pour les bourses - nous réconforte. Cela étant, nous serons attentifs à la revoyure prévue au mois de juin.

Je m'interroge sur la stratégie américaine à l'égard de l'Iran, qui fait figure d'adversaire privilégié des États-Unis. Toutes les occasions sont bonnes pour attiser les tensions, ce qui donne l'impression que le président Trump cherche l'escalade. Pour avoir longtemps couvert l'OPEP dans ma vie de journaliste, je me demande si ces menaces ne traduisent pas plutôt une manoeuvre pour faire monter le prix du pétrole. Ne sont-elles pas la manifestation d'une stratégie plus économique que militaire ?

M. Jean-Marie Bockel. - Monsieur l'Ambassadeur, vous avez déjà répondu aux questions que je souhaitais vous poser. Il me reste donc le plaisir de vous saluer. Merci pour votre exposé clair, simple et précis.

M. Olivier Cadic. - À titre personnel, je tiens à vous remercier pour votre action en faveur des Français de l'étranger et pour votre écoute. Vous êtes ainsi intervenu avec succès pour proposer une alternative au trajet des vols rapatriant nos compatriotes de la côte Est, sans passer par New York. Vous avez également pris en compte les demandes que je vous avais transmises, en particulier pour faciliter les ruptures de bail des étudiants français.

Je vous ai également fait part du cas d'une société installée aux États-Unis depuis vingt ans, qui rencontre des difficultés économiques. Pourriez-vous faire un bilan de la situation des entrepreneurs français aux États-Unis ? Quelles répercussions la crise pourrait-elle avoir sur nos échanges commerciaux ?

Vous nous avez expliqué que la mise en cause de la responsabilité de la Chine dans cette crise serait certainement exploitée dans le cadre de l'élection présidentielle américaine. Croyez-vous que ces accusations puissent ouvrir la voie à une escalade et conduire à des mesures proches de celles qui ont été prises à l'encontre de l'Iran ?

Madame Perol-Dumont, en parlant de « réflexes isolationnistes », vous sous-entendez à juste titre qu'il ne faut pas restreindre l'analyse au retrait partiel américain de l'OMS. Il faut en effet chercher à comprendre ce qui anime en profondeur la population américaine. Il est difficile de dire si la crise actuelle exacerbera cette tendance à l'isolement. De mon point de vue, elle peut jouer dans les deux sens. Quel que soit le résultat de l'élection présidentielle, la compétition avec la Chine modèlera largement la politique étrangère des États-Unis. S'il existe un consensus au sujet de la Chine entre démocrates et républicains, il y a des divergences sur les réponses à y apporter: désengagement ou, au contraire, réengagement dans un système international largement délaissé aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, la propension qu'ont les présidents américains - démocrates comme républicains - ces dernières années à inviter l'Europe à prendre davantage de responsabilités risque de perdurer. Je suis d'ailleurs persuadé que l'Europe est capable de relever le défi : c'est tout le sens de la politique de la France, notamment depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République. Je crois que cette position américaine est compatible avec le maintien de l'alliance transatlantique - c'est peut-être même la condition d'une alliance renouvelée.

Je vous remercie de m'avoir rapporté les propos des dirigeants d'Acted : en effet, les États-Unis ne se désengagent pas financièrement du secteur de la santé. S'agissant du rôle des fondations privées, je rappellerai que l'initiative prise par la France et l'Union européenne, avec l'OMS, et d'autres institutions de lancer un plan d'action international pour favoriser l'accès aux diagnostics, aux futurs traitements et aux futurs vaccins a pour objectif de réunir tout le monde : il faut donc que les acteurs privés, les fondations en particulier, s'impliquent. Là où je vous rejoins, c'est qu'il ne faut pas que la coopération internationale soit laissée aux seuls acteurs privés. Il existe des fondations incontournables - je pense bien sûr à la fondation Bill et Melinda Gates - qui ont très tôt alerté sur les enjeux de la vaccination et de la recherche face à la pandémie, mais il faut bien sûr que les États et les institutions internationales soient pleinement mobilisés.

Madame Conway-Mouret, nous suivons au cas par cas la situation des quelques dizaines de Français bloqués au États-Unis, mais nous ne pouvons pas suivre en effet, en détail, la situation de chaque Français résidant aux Etats-Unis. Cela étant, nous nous efforçons de répondre aux nombreux ressortissants qui nous sollicitent, notamment via les conseillers consulaires, les consulats et les consuls honoraires. Vous avez cité les entrepreneurs : nous avons connaissance de sociétés en difficulté et essayons de les accompagner autant que possible, pour les aider à bénéficier des dispositifs d'aide américains auxquels elles ont droit. Nous sommes mobilisés à cet égard avec les chambres de commerce et les CCEF pour assurer le suivi des entrepreneurs français dans ce pays.

Monsieur Le Gleut, le principal reproche du président Trump vis-à-vis de l'OTAN est, me semble-t-il, que les États-Unis paient à son avis beaucoup trop pour la défense de pays qui ne dépensent pas assez dans ce domaine. Depuis, les Européens ont consenti des efforts financiers, qu'ils ont fait valoir - même si l'on doit aller plus loin. L'Europe doit en effet mieux s'organiser en matière de défense et de sécurité : le Président de la République a évoqué le développement d'un pilier européen dans l'Alliance atlantique. Cette attente vis-à-vis des Européens traduit, sans doute, une orientation profonde de l'opinion américaine.

Monsieur del Picchia, vous appelez à vérifier que le dispositif annoncé ce matin pour soutenir les communautés scolaires à l'étranger est bien suffisant. C'est ce que nous ferons nous aussi sur le terrain, à travers notamment les commissions des bourses scolaires, et nous répercuterons les difficultés que les familles françaises pourraient rencontrer.

S'agissant de la stratégie des États-Unis vis-à-vis de l'Iran, il est exact que le prix du pétrole est une vraie préoccupation du président américain. Cela étant, ce n'est pas la première fois que Donald Trump met clairement les Iraniens en garde contre toute provocation et la mise en jeu de toute vie américaine.

Je vous remercie du fond du coeur, monsieur Bockel, pour vos propos.

Monsieur Cadic, je suis heureux d'avoir pu répondre à certaines de vos questions. Nous avons pris contact avec l'entreprise dont vous m'avez parlé. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l'aider, comme nous le faisons pour tous nos opérateurs économiques.

Au-delà de la crise du Covid-19, les motifs de tension entre la Chine et les États-Unis sont nombreux, avec des sujets comme Hong-Kong, Taïwan ou la mer de Chine du Sud. Pour autant, le président Trump s'est déclaré attaché au premier accord commercial conclu entre les deux pays juste avant le début de la crise sanitaire. Quel que soit le résultat de l'élection présidentielle américaine, il existera des sujets de divergence entre les deux pays, mais il reste aussi un intérêt commun, qui est la reprise de l'économie mondiale.

M. Christian Cambon, président. - Une dernière question, peut-être plus anecdotique : en tant que témoin privilégié de leurs échanges, comment qualifieriez-vous les relations personnelles entre le président Trump et le président Macron ? Ont-elles été assombries par les quelques nuages passagers dont nous avons eu connaissance ?

Cette question est loin d'être anecdotique. Les contacts téléphoniques entre les deux présidents sont toujours aussi réguliers, encore davantage dans cette période de crise, car l'actualité l'exige. Les échanges sont cordiaux, directs et de qualité, ce qui n'exclut pas les divergences évidemment, sur l'OMS par exemple.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'Ambassadeur, merci pour vos réponses très complètes. Je vous remercie également de votre action en direction des Français et des entreprises établis aux États-Unis, pays dont nous allons suivre l'actualité avec beaucoup d'attention, tant il est un allié et un partenaire essentiel.

Christian Cambon, président. - Mes chers collègues. Au titre de notre mission de contrôle, il nous revient de tirer le bilan de l'application des lois entrant dans le champ de compétence de notre commission lors de la session précédente, c'est-à-dire la session 2018 2019. Les contributions de l'ensemble des commissions seront ensuite compilées et une discussion s'ouvrira entre le Gouvernement, en la personne du ministre chargé des relations avec le Parlement, le Président du Sénat et les Présidents de commission.

La session 2018-2019 n'a vu la promulgation d'aucune loi dans les secteurs de compétence de notre commission. Ce n'est pas tout à fait vrai, puisque comme vous le savez, l'essentiel de l'activité législative de la commission consiste en l'examen de projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de traités ou accords internationaux, mais ceux-ci ne sont pas pris en compte dans le contrôle de la mise en application des lois puisqu'ils n'ont pas besoin de mesures d'application règlementaires. Au cours de la session 2018-2029, le Sénat a adopté 19 accords internationaux.

Par ailleurs, la commission s'est saisie pour avis d'une proposition de loi devenue la loi n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ainsi que de deux propositions de résolutions européennes en application respectivement des articles 73 quater et 73 quinquies du Règlement du Sénat. La première relative à l'extraterritorialité des sanctions américaines est devenue résolution du Sénat le 12 novembre 2018 tandis que la seconde sur l'appui de l'Union européenne à la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak a été adoptée par le Sénat le 22 janvier 2019.

La commission a également poursuivi sa mission de contrôle en publiant 7 rapports d'information - chiffre identique à celui de la session précédente - qui ont porté sur les sujets suivants : l'Agence française de développement, la cyberattaque contre « Ariane », la Colombie, la défense européenne, la Turquie, l'innovation de défense et la Jordanie.

S'agissant du suivi de l'application des lois stricto sensu, au 31 mars 2020, notre commission suivait l'application de 3 lois adoptées au cours des sessions précédentes et partiellement applicable avec des taux d'application élevés ; 92 %, pour la loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense et 83 % pour les deux autres lois, à savoir la loi n°2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État ainsi que la loi n°2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Les mesures règlementaires publiées entre le 1er octobre 2018 et le 31 mars 2020 ont porté exclusivement sur la loi sur la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, adoptée en juillet 2018. On compte ainsi 14 décrets en Conseil d'État, un décret simple ainsi que deux arrêtés. Il ne reste donc plus que deux arrêtés attendus sur ce texte, qui ont tous deux pour objet de préciser les moyens techniques d'immobilisation des moyens de transport selon qu'ils sont à l'usage des militaires déployés sur le territoire ou des militaires chargés de la protection des installations militaires.

Parmi les mesures non règlementaires publiées pendant la période considérée, on enregistre 8 ordonnances qui ont fait l'objet de 4 projets de loi autorisant leur ratification, déposés pour moitié au Sénat et pour moitié à l'Assemblée nationale. La commission se réjouit que toutes les ordonnances attendues sur la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense aient désormais été prises.

Pour mémoire, je vous rappelle que dans le domaine des affaires étrangères, la commission suit toujours l'application de la loi n°2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure. Un décret est toujours attendu sur ce texte. Il est relatif aux conditions de ressources et aux modalités d'application du versement de l'allocation au conjoint ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité de l'agent civil de l'État en service à l'étranger. Interrogé l'an dernier sur les motifs de ce retard par les services de la commission, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères avait indiqué qu'il poursuivait sa réflexion sur la réforme du supplément familial. Nous en sommes toujours au même point et c'est regrettable car cela retarde la bonne mise en oeuvre de ce dispositif.

Enfin, pendant la période considérée, la commission a reçu trois rapports attendus sur la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Elle a ainsi reçu respectivement le 16 mai et le 16 septembre 2019 les deux bilans de l'exécution de la programmation militaire qui doivent lui être transmis avant le 15 avril et avant le 15 septembre en application de l'article 10 de la loi de 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025. La commission se félicite surtout d'avoir reçu, le 25 juin 2019, le bilan annuel opérationnel et financier relatif aux opérations extérieures et missions intérieures en cours, en l'application de l'article 4 de la loi de programmation militaire de 2018, même si elle a dû le réclamer auprès du ministère des armées car au cours des années précédentes ces informations lui faisaient cruellement défaut.

Pendant la période considérée, la commission a également reçu, avec beaucoup de retard et là aussi, après en avoir fait la demande auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le rapport bisannuel , attendu en 2018 , sur la mise en oeuvre de la stratégie française d'aide au développement portant sur la période 2016-2017, en application de l'article 15 de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

Pour votre complète information, le thème transversal du bilan d'application des lois retenu est l'expérimentation. C'est l'occasion pour moi de vous livrer les informations transmises par les services du ministère des armées sur les résultats des expérimentations prévues à l'article 31 de la loi de programmation militaire 2019-2025.

Concernant le recrutement à titre expérimental de techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense de 3e classe (TSEF 3) prévu au I de l'article 31, dans certaines régions ciblées, au terme d'épreuves simplifiées (pas d'épreuve écrite d'admissibilité, dépôt d'un dossier comprenant notamment un CV et une lettre de motivations, suivi d'un oral unique d'admission à l'issue de l'analyse des dossiers), 36 postes ont été ouverts dès février 2019 dans les spécialités informatiques et télécommunications en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France (Oise). Ce recrutement expérimental a permis de recevoir en moyenne près de 2 inscrits par poste ouvert (71 inscrits validés au total), alors que le ratio habituel pour le concours classique est inférieur à 0,8 inscrit par poste dans ces deux spécialités. A l'issue de l'admissibilité, 60 candidats ont été retenus pour passer l'oral d'admission.

Concernant la facilitation du recrutement de contractuels prévu au II de l'article 31, cette démarche permet au ministère des armées de recruter des agents de niveau II pour une période de trois ans, alors qu'il n'est normalement possible de ne les recruter que pour une période d'un an renouvelable une fois. Depuis le 1er janvier 2019, le nombre de ces recrutements s'élève à 21, essentiellement dans les familles professionnelles « génie civil » (10 recrutements) et « systèmes d'information et de communication » (5 recrutements). Les familles professionnelles « renseignement », « santé et sécurité au travail » et « rémunération » ne représentent chacune que 2 recrutements.

Les résultats des expérimentations conduites en 2019 apparaissent globalement satisfaisants et les expérimentations se poursuivent en 2020, avec une montée en puissance.

En conclusion, mes chers collègues, pour notre commission, on peut considérer que l'application des lois que nous suivons est globalement satisfaisante sur le plan purement réglementaire.

Nous le savons bien, l'enjeu ce ne sont ni les décrets, ni les arrêtés, c'est bien évidemment le respect de la trajectoire financière de la loi de programmation militaire, pour laquelle nous nourrissons les plus vives inquiétudes.

La téléconférence est close à 17 h 40.