C'est en sa qualité de président de l'Institut de l'Entreprise que nous entendons aujourd'hui Antoine Frérot, ancien élève de l'École Polytechnique, ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, et président-directeur général de Véolia. Depuis plusieurs années, l'Institut mène en effet une réflexion sur la raison d'être des entreprises, avec notamment la publication en janvier 2018 d'une étude intitulée « À quoi servent les entreprises ? ». Or ces réflexions prennent un sens particulier dans le contexte actuel, alors que nous nous demandons à quoi ressemblera l'entreprise au lendemain de la crise sanitaire et de la crise économique qu'elle a entraînée.
L'étude réalisée en 2018 a naturellement beaucoup intéressé la délégation aux entreprises. Alors que se profile la sortie de la crise sanitaire, deux conceptions s'affrontent : certaines entreprises y voient l'opportunité de développer encore davantage leur responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSE) ; d'autres, au contraire, souhaitent s'affranchir de ces contraintes afin de se consacrer au rétablissement de leurs marges. La vision d'Antoine Frérot sur le sujet sera, j'en suis sûre, très éclairante.
Notre réflexion sur la raison d'être des entreprises a démarré il y a plusieurs années, mais pour que nous puissions demain continuer à y réfléchir, encore faudrait-il qu'il y ait toujours des entreprises... C'est pourquoi je vous propose non seulement de rappeler les grandes lignes de notre étude, mais aussi de revenir sur ce que nous percevons des conséquences possibles et prévisibles que pourrait avoir cette crise sur le monde économique et social.
Depuis le 19ème siècle, plusieurs conceptions de l'entreprise se sont succédé. À l'origine, dans l'ère « patrimoniale », l'entreprise-type est dirigée par son créateur, qui est aussi son propriétaire. Lorsque celui-ci passe la main, nous entrons dans l'ère « technico-managériale », où les dirigeants deviennent des managers professionnels.
Cette deuxième ère a duré longtemps, jusqu'aux années 1960-1970, lorsque s'est imposée l'idée, notamment sous l'influence de l'école de Chicago, que les entreprises avaient perdu de vue un objectif essentiel : l'intérêt de leurs actionnaires. Cette troisième ère, celle de l'entreprise « actionnariale », qui est aussi celle de l'entreprise financière, est dominée par la conception suivante : l'entreprise a un objet principal, qui est la maximisation de son profit. Les intérêts des autres parties prenantes - les salariés, les clients, l'environnement, etc. -doivent être considérés non pas comme des objectifs secondaires mais comme des contraintes, qu'il s'agit bien sûr d'internaliser et de respecter mais dont la détermination n'appartient pas à l'entreprise. Ces contraintes, sous la forme de règles, de lois et de normes, sont définies par d'autres acteurs, à commencer par le législateur.
Cette conception de l'entreprise a conquis le monde très rapidement, notamment sous les mandats de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, et s'est imposée dans les pays émergents. C'est seulement dans la période récente, que l'on peut faire remonter à la crise financière de 2008, que ce modèle a commencé à être sérieusement contesté pour ses insuffisances, et à courir le risque de perdre le soutien des populations. C'est dans ce contexte qu'ont été lancées des réflexions sur un modèle alternatif - auxquelles se rattache l'étude de l'Institut de l'Entreprise.
Deux critiques principales sont adressées au modèle « actionnarial » : d'une part, il a créé des inégalités ; d'autre part, en ne servant pas de manière équilibrée les intérêts des différentes parties prenantes de l'entreprise, il conduit celles-ci à se désengager de l'effort collectif. D'où la nécessité d'affirmer aujourd'hui que l'entreprise n'a pas un seul objectif mais plusieurs : elle doit non seulement maximiser le profit des actionnaires, mais aussi l'intérêt de ses clients, salariés et fournisseurs, ou encore des territoires, voire des générations futures - avec, naturellement, la nécessiter d'arbitrer en permanence entre ces objectifs qui peuvent être parfois contradictoires.
Le problème s'est posé depuis un mois d'une façon inattendue, à l'occasion du débat sur la possibilité pour les entreprises de verser des dividendes pendant la crise. Plusieurs voix se sont curieusement élevées pour s'opposer au versement des dividendes, chose que l'on n'aurait pas imaginée dans le modèle de l'entreprise actionnariale. Si beaucoup d'entreprises ont refusé de ne verser aucun dividende, nombreuses sont celles qui ont accepté d'en limiter le montant, afin que les efforts soient répartis entre tous les acteurs de l'entreprise.
Affirmer que l'entreprise est un organisme aux objectifs pluriels, qui rassemble diverses parties prenantes collaborant entre elles, conduit à faire évoluer le modèle de l'entreprise actionnariale. Des perspectives ont été ouvertes par la loi PACTE (loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) et le rapport de Jean-Dominique Senard et Nicole Notat.
Avant de se demander comment répartir la richesse créée, il faut se demander à quoi sert l'entreprise, et ce que les différentes parties prenantes en attendent. Dans ce que nous avons appelé « l'entreprise post-RSE », la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de la société, de la nature ou encore des générations futures ne doit pas être considérée comme une cerise sur le gâteau, comme un complément qui viendrait en sus de la performance économique, mais doit être mise sur le même plan que celle-ci et arbitrée en proportion du niveau d'engagement de chacune des parties prenantes engagées dans l'entreprise. En bref, c'est parce qu'une entreprise est utile qu'elle est prospère, et pas l'inverse.
Ensuite, il faut définir les mécanismes de fonctionnement et de gouvernance permettant de traduire cela concrètement et de mieux partager la richesse créée. Toutes les conséquences n'ont pas encore été tirées bien sûr, mais il me semble que l'un des enjeux majeurs sera la représentation de l'intérêt des différents acteurs ou parties prenantes au sein du conseil d'administration.
Voilà pour le tableau général. Dans quelle mesure la situation actuelle change-t-elle les choses ? Permettez-moi, pour répondre à cette question, de m'appuyer avant tout sur l'exemple de Véolia que je connais le mieux.
Je ne vous cache pas que la situation actuelle est difficile, et la nouvelle étape qui s'annonce au lendemain du 11 mai me paraît loin d'être gagnée.
Après avoir passé les deux derniers mois à essayer de faire fonctionner l'essentiel et à préparer le redémarrage de leur activité, les entreprises sont aujourd'hui, dans l'ensemble, prêtes à faire revenir un maximum de personnes au travail dans des conditions sanitaires adaptées - ce qui signifie notamment que tout le monde ne pourra pas revenir et qu'il faudra mettre en place des roulements.
Mais il ne suffit pas de revenir au travail : encore faut-il qu'il y ait du travail. Et c'est là, à mon sens, que se pose le problème. Les entreprises industrielles vont être confrontées à une baisse de la demande : comment faire fonctionner une usine automobile si les gens n'achètent plus de voiture ? Comment faire redémarrer le secteur du BTP alors que presque tous les chantiers de leurs clients, publics comme privés, ont été arrêtés du jour au lendemain ?
Chez Véolia, par exemple, les travaux de pose de canalisations et de réseaux d'assainissement se sont arrêtés du jour au lendemain, l'activité passant de 100 % le 12 mars à 5 % le 18 mars. Cette semaine, la reprise est de seulement 30 %. Ma crainte est que les entreprises de ces secteurs s'appauvrissent durablement si la commande publique ne reprend pas au plus vite. Je rappelle à cet égard qu'en Italie, la commande publique s'est beaucoup moins fermée qu'en France pendant le confinement. Les mesures prises dans notre pays ont été tellement fortes que la réouverture des chantiers risque d'être très difficile.
Le Sénat représente les collectivités territoriales : je me permets donc d'insister auprès de vous pour que les chantiers dont les budgets avaient été engagés mais qui ont été interrompus puissent reprendre au plus vite, de même que les travaux de maintenance des réseaux d'assainissement, qui se sont encrassés pendant la période de confinement.
Certains parlent avec optimisme du « jour d'après », comme si l'activité allait rapidement retrouver son niveau d'avant la crise, comme si la France, telle la Belle au Bois dormant, allait se réveiller dans le même état où elle s'était endormie. Malheureusement, je crains qu'il y ait une longue période de transition entre aujourd'hui et le « jour d'après », où nous devrons durant de longs mois travailler dans des conditions dégradées - je parlerais donc plutôt du « jour d'avec », car la reprise se fera avec de nouvelles contraintes que nous devrons respecter afin d'assurer la sécurité sanitaire de chacun, et qui entameront durablement la productivité. Si cela dure six mois, les conséquences pour l'économie seront peut-être plus lourdes que celles du confinement lui-même. Et si cela dure davantage, ce sera pire encore.
L'intervention publique, sous la forme d'un plan de relance, pourrait être absolument nécessaire pour faire repartir l'économie. Une activité qui reprend à 95 %, c'est 5 % de chômeurs en plus.
Enfin, au sein de l'Institut de l'Entreprise, nous nous inquiétons du sort de nombreuses petites entreprises qui pourraient ne pas survivre à l'été. Je pense à ces dizaines, voire centaines de milliers de TPE/PME dans les secteurs de la restauration, de l'hôtellerie, du tourisme, de l'événementiel, etc. Des centaines de milliers de Français pourraient perdre leur outil de travail auquel ils ont parfois consacré leur vie, et faire entendre leur désespérance. Il reste encore un peu de temps, d'ici là, pour imaginer des solutions afin que ce drame ne survienne pas, mais il faut nous en préoccuper dès aujourd'hui. Dans ces secteurs, les prêts accordés ne seront évidemment jamais remboursés : il faut d'ores et déjà réfléchir à les transformer en subvention ou en un autre dispositif qui permettrait à ces entreprises de retrouver leur état d'avant la crise.
Dans le contexte dramatique de survie que nous connaissons, toutes nos réflexions sur la « raison d'être » des entreprises auront bien du mal à être audibles si nous ne leur apportons pas, d'abord, des solutions.
Les inquiétudes que vous exprimez sont partagées par les entreprises et par nous-mêmes, au sein de la délégation aux entreprises.
Vous avez à juste titre insisté sur la commande publique : chacun de notre côté, nous veillons évidemment à inciter les collectivités à reprendre les chantiers, mais le report du second tour des élections municipales complique les choses, puisque les conseils municipaux ne sont pas encore installés, voire pas encore élus. Dans ce contexte, avez-vous des propositions pour faciliter le redémarrage rapide de certains secteurs, par exemple la simplification des procédures ou l'abaissement des délais et la hausse des seuils des appels d'offre dans le secteur du BTP ?
S'agissant de la « raison d'être » des entreprises, notre collègue Michel Canevet, qui fut rapporteur du projet de loi PACTE, aura sans doute quelque chose à ajouter.
Si je comprends bien le sens de votre propos, nous sommes passés, à la faveur d'une succession de crises dont la crise sanitaire actuelle, d'un discours où la puissance publique était priée de se désengager de l'économie et de laisser faire les entreprises, à un discours où l'État est à nouveau appelé à revenir dans le jeu et à intervenir. C'est d'ailleurs ce qui se passe : le Gouvernement vient d'annoncer un plan de sauvetage de 7 milliards d'euros pour Air France KLM, et un plan de relance est en préparation. Il semble donc que les règles du jeu ont été modifiées... Comment votre vision a-t-elle évolué sur le sujet ?
Il me semble que ce ne sont pas les règles du jeu qui ont été modifiées : c'est le jeu, l'économie, qui a été pulvérisée. Pour des raisons que je ne discute pas, la puissance publique a, du jour au lendemain, fermé l'économie. Elle a, de fait, totalement pris le contrôle de l'activité économique en décidant de ce qui pouvait continuer et de ce qui devait s'arrêter. Et la dramatisation du discours a fait que tout le monde a compris qu'il fallait s'arrêter.
La question n'est plus du tout de savoir si la puissance publique doit plus ou moins intervenir dans l'économie. La puissance publique a pris la décision d'arrêter l'économie : elle est la seule à pouvoir la remettre sur les rails. En septembre prochain, les choses ne fonctionneront plus comme en février dernier. Dans ce contexte, nous allons devoir travailler tous ensemble - le monde économique, social, politique - afin, au mieux, de retrouver ce que nous avions avant la crise. C'est seulement à ce moment-là que nous pourrons nous poser la question de savoir s'il faut plus ou moins de libéralisme, plus ou moins d'étatisme. Nous n'en sommes pas là. La seule question qui se pose aujourd'hui est : « que peut-on sauver ? »
On imagine aisément qu'un petit restaurant ne pourra pas survivre sans aide de l'État. Mais pourquoi en serait-il autrement pour un groupe comme Accor avec ses 50 000 hôtels ?
Je souhaiterais vous soumettre une idée pour accélérer les choses, inspirée des comités de conciliation mis en place par Élisabeth Borne et placés sous l'égide des préfets pour étudier les conditions de reprise de l'activité économique dans le secteur dont elle a la charge. Cette initiative pourrait être généralisée, sous la forme de comités de relance territoriale rassemblant l'État, les collectivités et les forces économiques pour coordonner la relance et accélérer la reprise de la commande publique. En effet, c'est dans les territoires que se fait véritablement la commande publique, même si je n'ignore pas que les collectivités vont, elles aussi, sortir essorées de cette crise. En 2008, la métropole de Lyon ou encore la communauté d'agglomération de Quimper avaient mis en place des dispositifs similaires. Je vous transmettrai, si vous le souhaitez, une note à ce sujet.
Dans une récente interview, Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, a appelé à une économie plus souveraine, plus juste, durable et protégée, passant par la relocalisation, la réduction des écarts salariaux, la transition écologique et un contrôle accru des investissements étrangers. Que pensez-vous de ces perspectives ?
Il existe toujours une forte interaction entre l'économie et le politique, notamment l'État et les collectivités territoriales, même si les liens sont peut-être moins forts qu'il y a trente ans. Les souhaits du ministre de l'économie et des finances rejoignent le modèle d'entreprise dont nous discutions, qui tient compte de toutes les parties prenantes et instaure une performance durable avec une série d'objectifs de l'entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. Il est donc urgent de modifier le modèle de l'entreprise actionnariale afin de lui donner une vision élargie et plurielle intégrant l'intérêt des salariés et les préoccupations sociales et environnementales.
Lorsque je disais, il y a trois ou quatre ans, que c'est parce que l'entreprise est utile qu'elle est prospère, et non l'inverse, peu de gens m'écoutaient. Beaucoup de progrès ont été accomplis ces dernières années, notamment à la suite du rapport Notat-Senard et de la loi PACTE.
Toutefois, pour qu'il y ait des progrès significatifs sur les questions environnementales et climatiques, il est nécessaire de disposer d'outils, et notamment de mettre en place un mécanisme de coût de la pollution au carbone afin d'internaliser les externalités négatives dans la production, comme la France l'a réalisé dans les années 1960 avec sa politique de l'eau. Cette mise en place est nécessaire si on souhaite que tous les acteurs en tiennent compte dans leurs décisions économiques et sociales. Je suis par ailleurs optimiste quant à la volonté de la nouvelle Commission européenne d'avancer dans cette direction, et je suis persuadé que les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permettent d'instaurer une taxe carbone aux frontières. Les plans de relance à venir devraient intégrer cette priorité.
Quelles sont vos propositions pour assouplir les lourdeurs administratives, notamment dans le secteur du BTP ?
Je suis optimiste quant à la capacité des entreprises à s'adapter pour faire redémarrer leurs activités. Au sein de Véolia, par exemple, les camions ont été réaménagés. De nombreux dispositifs de protection sanitaire peuvent être imaginés et partagés au sein des professions. Toutefois, l'administration exige parfois des contrôles préalables au redémarrage de l'activité économique qu'elle ne peut réaliser, ses agents étant confinés ou refusant de se rendre à l'intérieur de certains endroits. Face à de telles lourdeurs, regrettables, des chefs d'entreprises pourraient décider de relancer leur activité malgré d'éventuels risques juridiques. On pourrait peut-être organiser certains contrôles plutôt a posteriori. S'il faut alléger les procédures administratives, il faut surtout que les décideurs soient courageux et aient la volonté de prendre des décisions.
Il semble nécessaire d'assouplir le code du travail afin de permettre aux entreprises de travailler plus et de s'organiser avec davantage de flexibilité, en fonctionnant en télétravail ou en travail posté (2x8 ou 3x8), la crise économique actuelle pouvant être comparée à la situation de l'après-guerre. Il faut permettre un effort important et collectif, en donnant les moyens aux entreprises de produire davantage tout en partageant les profits avec les salariés.
Je comprends votre volonté, mais je crains toutefois que le contexte soit peu favorable à de telles préconisations, compte tenu de l'état psychologique des salariés français, au bord de la crise de nerfs. Il semble difficile de demander aux Français de retourner travailler pour sauver l'économie tout en profitant de la crise pour réformer le code du travail. La priorité doit être le redémarrage de l'activité. Ce ne me semble pas le moment judicieux pour réformer le Code du travail.
On ne peut que déplorer la délocalisation des entreprises, dont nous voyons aujourd'hui les conséquences. La crise pourrait être l'occasion de relocaliser certaines activités. Il faut par ailleurs construire une Europe sociale : quelle est votre vision de ce sujet ?
Il serait bien sûr opportun de relocaliser la production. Cependant, les causes de la délocalisation sont claires : produire en France coûte plus cher qu'à l'étranger et cela ne changera pas avec une relocalisation. Si des produits de niches, tels que les masques, peuvent être à nouveau fabriqués en France, la plupart des biens relocalisés devraient être payés plus chers par les Français. Cette évolution est souhaitable mais difficile à imposer. Sans l'implication des Français et leur capacité et acceptation à payer plus cher pour consommer français, il n'y aura pas de relocalisation. Il faut par ailleurs mener un débat sur le prix, augmenter les taxes aux frontières. Les pays de l'Europe du sud peuvent nous accompagner dans une telle démarche. Il faut protéger, à l'instar d'autres pays, notre espace économique.
Il semble donc que le retour de la confiance soit la clé du redémarrage de la demande : qu'en pensez-vous ?
Je vous rejoins sur ce point. Les Français épargnent beaucoup depuis le début de la crise. Or, pour consommer cette épargne, il faut qu'ils aient confiance, sans les infantiliser ni les terroriser. À cette fin, des mécanismes d'incitation au renouvellement des produits et des équipements, à l'instar de la prime automobile à la casse instaurée après la crise de 2008, pourraient être mis en place. Il faut préférer une incitation à consommer plutôt que des subventions qui pousseraient à épargner.
Je m'inquiète de la perte de confiance des Français envers leurs responsables politiques, alors que la puissance publique a un rôle important à jouer face à la crise. Il faudrait repenser le rôle des entreprises en s'inspirant de la cogestion allemande, dans le but d'avoir la meilleure répartition des efforts et des profits possibles. Les collectivités territoriales auront également un rôle considérable dans la relance car leur taux d'endettement particulièrement faible, actuellement autour de 10 %, leur permettrait d'emprunter à des taux bas.
Si la confiance des Français est faible, l'État conserve tout de même son rôle décisif de protecteur. La priorité de la puissance publique doit être de sauver les entreprises, et plus particulièrement les petites entreprises, et l'emploi. Si l'État y parvient, les Français retrouveront confiance. Le sauvetage des entreprises pourrait être réalisé, par exemple, par la transformation des prêts en subventions.
S'agissant de l'équilibre dans les entreprises, je partage l'objectif d'une meilleure représentation des parties prenantes, sans toutefois aller jusqu'à une cogestion à l'allemande qui enfermerait l'entreprise dans une éternelle dialectique entre le capital et le travail, opposant l'actionnariat et les salariés. Le partage des profits nécessite la concertation de toutes les parties prenantes. C'est la raison pour laquelle je plaide pour des conseils d'administration intégrant d'autres acteurs comme les fournisseurs, les collectivités territoriales ou les clients. Si l'on veut plus d'harmonie et d'équilibre dans l'entreprise, il faut oser élargir la vision et les acteurs.
Enfin, sur le rôle des collectivités territoriales dans la relance économique, davantage qu'une relance keynésienne, il faut une meilleure coordination et collaboration entre les forces économiques et politiques d'un même territoire, permettant d'accélérer la reprise. Il faut imaginer de nouvelles formes de collaboration telles que les clusters ou les pôles de compétitivité qui ont impliqué plusieurs sphères d'acteurs.
Je vous remercie pour votre propos qui nous a permis de profiter de votre vision de l'entreprise, de votre analyse pragmatique ainsi que de vos idées et propositions dont le Sénat pourrait se saisir. Nous avons la chance d'avoir, en France, une richesse entrepreneuriale, que la délégation aux entreprises constate lors de ses visites de terrain. Ce tissu d'entrepreneurs est capable d'innover, de s'adapter, comme on a pu le voir avec la fabrication de matériel médical par des entreprises dont ce n'était pas la vocation. Il faut conserver ces richesses, qui sont aussi celles des territoires.
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