La visioconférence est ouverte à 9 h 10.
L'Office parlementaire d'eìvaluation des choix scientifiques et technologiques s'est reìuni, le jeudi 7 mai 2020, en visioconfeìrence, pour examiner un projet de note apportant des compléments aux notes publiées le 30 mars 2020, dans le cadre de la veille entreprise sur l'épidémie de Covid-19.
a remercié les membres de l'Office pour leur présence certes virtuelle, mais assidue et active.
a souligné que le contexte actuel était très mouvant : chaque jour qui passe voit des nuances apportées aux certitudes de la veille. Dans les vingt-quatre dernières heures, ont été connues la démission du comité de surveillance d'un essai clinique conduit à l'AP-HP relatif à un candidat médicament contre le SARS-CoV-2, l'existence d'une faille dans le protocole dit « décentralisé » DP3T qui pourrait servir de fondement à certaines applications de traçage, et une rumeur selon laquelle le gouvernement britannique serait sur le point d'abandonner le protocole centralisé au profit d'un protocole décentralisé, ce qui ferait de la France le seul pays continuant à promouvoir une architecture centralisée. On peut même craindre que certains passages du projet de note qui est examiné aujourd'hui nécessitent déjà des ajustements, par exemple sur les enfants face à l'épidémie, au vu des entretiens qui ont eu lieu hier.
Ce projet de note apporte des compléments aux notes qui ont été précédemment rendues publiques. Une remarque liminaire s'impose : la recherche contre le Covid-19 se développe avec une ampleur et une rapidité inédites. À la date du 4 mai, 8 000 articles revus par les pairs ont été publiés, dont 1 400 sur les symptômes de la maladie et 600 sur le sujet de l'immunité.
Une première partie est consacrée aux symptômes et aux groupes à risques. Elle insiste sur la diversité des tableaux cliniques : on doit désormais décrire l'infection par des conséquences non seulement pulmonaires, mais aussi vasculaires, avec des risques thrombotiques apparaissant au niveau des poumons, du coeur ou des reins. L'interaction possible avec les comorbidités accroît encore la variété des symptômes. Quelques compléments sont également apportés sur la question de l'immunité face au virus.
Une deuxième partie concerne les enfants. Elle devrait faire l'objet, ultérieurement, d'une note spécifique car le sujet le mérite. Un point rapide s'imposait cependant, en raison de la prochaine reprise des cours pour une partie des élèves. Les enfants sont susceptibles d'être infectés et présentent en général des symptômes légers, les formes graves n'étant cependant pas exclues. Il y a de nombreuses incertitudes sur le degré de transmission du virus par les enfants. En revanche, il est très probable que le syndrome de Kawasaki qui a touché plusieurs enfants - en France ou à l'étranger - soit une manifestation parmi d'autres des nombreux syndromes post-infectieux seìveÌres qui peuvent affecter les enfants, similaire à celle intervenue en 2009 du fait de l'eìpideìmie de grippe H1N1 - mais pas identifiée comme telle à l'époque.
La troisième partie porte sur la contagiosité du virus. La transmission par aérosols est de plus en plus plausible et la transmission par les personnes asymptomatiques est désormais certaine, pendant une durée de 2 ou 3 jours avant l'apparition des symptômes. Un pourcentage très significatif des contaminations est le fait des personnes asymptomatiques. C'est pourquoi la recherche des cas contacts doit être menée scrupuleusement et rapidement.
Les questions touchant à l'immunité montrent un tableau assez satisfaisant : les anticorps semblent être réellement protecteurs dans la grande majorité des cas, même s'ils sont développés avec retard et dans des quantités parfois limitées, et l'on voit s'éloigner le spectre d'anticorps qui seraient « facilitants », donc favoriseraient une rechute. La note fait enfin le point sur les différentes variétés de tests, le paysage étant ici aussi très dynamique.
Les auditions ont permis d'entendre Bruno Sportisse, président-directeur général d'Inria, et Edouard Bugnion, vice-président Systèmes d'information de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Le premier coordonne l'élaboration du protocole Robert, qui doit être le socle de l'application de traçage numérique des cas contacts envisagée par la France. Son message principal est que la vraie question est « GAFA ou pas GAFA ? », en l'occurrence Apple et Google : doit-on remettre les clefs de la souveraineté numérique en santé aux géants américains du numérique ? Ailleurs qu'en France, les projets d'application de traçage sont marqués par l'importance donnée aux solutions techniques proposées par les GAFA. Sous couvert de sécurité accrue des données et de « décentralisation » du traçage, le risque est que ces entreprises reçoivent un chèque en blanc, sur fond de manque de transparence. De son côté, Edouard Bugnion explique pourquoi Apple et Google sont incontournables, pourquoi il est important de disposer d'une solution unique pour le monde entier et pourquoi l'image de gardien de la vie privée que cultivent ces entreprises conduira à ce que jamais elles ne donneront leurs clefs à un gouvernement.
Des échanges individuels ont eu lieu la semaine passée, à deux reprises avec Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, ainsi qu'avec Nicolas Demassieux, directeur d'Orange Labs Recherche et responsable de l'aspect « gestion des données » dans le projet français piloté par l'Inria. Il apparaît de plus en plus clairement que personne n'a complètement tort ou complètement raison, mais qu'il y a une opposition de principe entre l'État, qui met en avant l'exigence de souveraineté, et les géants du numérique, qui cherchent à conforter leur emprise et à préserver leur réputation en mettant en avant un principe de neutralité par rapport aux gouvernements. L'Europe s'est montrée incapable d'assurer son unité pour peser dans ce débat.
Le représentant de Taïwan en France, l'ambassadeur François Wu, a évoqué les mesures prises par son pays : elles sont facilitées par son insularité mais remarquées par leur ampleur. La stratégie de Taïwan a essentiellement consisté à imposer une quarantaine extrêmement stricte de deux semaines à toute personne susceptible d'avoir été contaminée ou arrivant de l'étranger, même lorsque les tests s'avèrent négatifs. Violer la quarantaine peut valoir jusqu'à 30 000 euros d'amende. Les personnes positives sont envoyées à l'hôpital et n'en sortent qu'une fois guéries. S'ajoute à ces mesures une quantité disponible de masques pour le moins spectaculaire : la production de masques par habitant serait près de cinquante fois supérieure à celle de la France ! Ces différentes mesures permettent à Taïwan de ne connaître, à ce jour, qu'une épidémie très limitée - moins de 440 cas - et pratiquement aucun décès, si bien que la question des tests massifs ne se pose même pas. Un nombre de cas aussi faible est remarquable pour un territoire voisin de la Chine et dont les liens avec le continent sont si étroits. Deux facteurs semblent pouvoir l'expliquer. D'une part, Taïwan a subi de plein fouet, voici une quinzaine d'années, l'épidémie de SARS, avec des taux de mortalité très importants, ce qui a profondément marqué la population et les autorités. D'autre part, l'absence d'information, à l'époque, de la part de la Chine et l'ostracisme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) expliquent leur défiance, au début de l'épidémie actuelle, vis-à-vis des communications de la Chine ou des représentants internationaux.
Deux auditions se sont tenues avec des représentants de la médecine pédiatrique : le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société française de pédiatrie était représenté par le professeur Robert Cohen, accompagné du docteur Corinne Levy, directrice médicale, et Stéphane Béchet, responsable Biométrie de l'Association Clinique et Thérapeutique Infantile du Val de Marne (Activ) ; le professeur Régis Hankard représentait le réseau PedStart (réseau national de recherche clinique pédiatrique) en compagnie du docteur Florence Flamein, pédiatre au CHU de Lille, et du professeur Christèle Gras Le Guen, pédiatre au CHU de Nantes et vice-présidente de la Société française de pédiatrie. Le tableau général qui ressort de ces auditions est contrasté : d'une part, au regard des études médicales, les charges virales des enfants sont aussi élevées que celles des adultes et les possibilités de transmission entre enfants sont nombreuses ; d'autre part, au regard des informations remontant du « terrain », les enfants sont très peu contaminés, l'essentiel des contaminations provenant des adultes du cercle familial. Les services de pédiatrie étant vides de malades du Covid-19, les pédiatres auditionnés ne se montrent pas inquiets. Ils ignorent pourquoi les enfants, jusqu'aux alentours de douze ans, réagissent aussi bien sur le plan immunitaire ; quelques hypothèses circulent : la configuration des récepteurs présents à la surface des cellules, un système immunitaire plus actif, ou l'absence de symptômes.
Un nombre limité de cas présente un syndrome rappelant la maladie de Kawasaki. Il faut signaler que ceci reproduit une accumulation de cas similaire intervenue en 2009 du fait de l'eìpideìmie de grippe H1N1 (accumulation deìcouverte aujourd'hui seulement aÌ l'occasion d'investigations reìtrospectives). Ce syndrome est en soi inquiétant, mais on sait le prendre en charge et les enfants répondent toujours bien au traitement - il n'y a d'ailleurs aucune victime à ce jour.
Les pédiatres sont en revanche très inquiets des effets psychologiques et immunitaires potentiels des règles prophylactiques nécessaires contre l'épidémie. Sur le plan psychologique, les enfants vivent désormais dans un monde où ils ne peuvent plus interagir avec leurs camarades ou avec les adultes sans mouvement de rejet, ce qui peut être traumatisant. Sur le plan immunitaire, des règles d'hygiène rigoureuses et prolongées peuvent empêcher le système immunitaire des enfants de se construire correctement : il a en effet besoin d'être régulièrement confronté à des germes ou des virus pour s'aguerrir.
s'est interrogé sur la possibilité que les enfants contaminent les adultes, l'école pouvant être un lieu de circulation important du virus.
a répondu qu'en théorie ce pourrait être le cas, mais qu'en pratique les études de terrain montrent qu'un enfant porteur du virus contamine très peu d'autres personnes.
a regretté l'incapacité de l'Europe à faire émerger une solution de traçage qui lui soit propre. Les gouvernements, sans doute sous la pression de l'urgence, choisissent la facilité, comme semblent le faire les Britanniques, qui rallient donc les Allemands autour de la solution préconisée par Google et Apple.
a indiqué avoir été informé de cette volte-face, au travers d'une indiscrétion sur les réseaux sociaux, par Edouard Bugnion, vice-président de l'EPFL. L'un après l'autre, les pays préfèrent céder à la facilité. Voici une dizaine de jours, le revirement inopiné de l'Allemagne a été spectaculaire, sur fond de luttes d'influence entre responsables politiques mais aussi scientifiques, alors que ce pays était initialement l'un des piliers de la solution centralisée, avec la France.
a jugé qu'il serait pertinent de tracer, le moment venu, l'évolution des positions des uns et des autres et les différentes interventions qui ont pu survenir.
a estimé qu'il serait intéressant d'ajouter dans la note, en complément de la référence à un document de la Société française d'anesthésie et de réanimation, une précision d'ordre médical concernant les maladies thromboemboliques, qui semblent être la principale cause de la mortalité liée au Covid-19 : le type d'anti-coagulant désormais préconisé dans les formes réputées graves, ainsi que la dose, préventive ou d'emblée curative, à prescrire.
a précisé qu'il s'agit d'héparine.
revenant sur les cas hypothétiques de rechute, s'est interrogé sur les conséquences d'un développement tardif et limité des anticorps, voire de la présence d'anticorps « facilitants ».
a répondu qu'il est a priori normal que les anticorps apparaissent avec un certain délai suivant l'infection ; dans le cas du Covid-19, ce délai est peut-être un peu plus important que d'habitude et la quantité d'anticorps produits est peut-être un peu moins importante que d'habitude. Les anticorps de type IgM apparaissent dans la semaine suivant l'infection, puis les anticorps IgG, ces derniers étant parfois retardés et difficilement décelables, d'où une immunité apparemment plus faible. Pour autant, d'après les données les plus récentes, il semble que les cas de « rechute » documentés, en particulier en Corée du Sud, doivent plutôt être attribués à des faux positifs qu'à de véritables rechutes. Les alertes à ce sujet ne semblent donc pas fondées - sous toute réserve.
a ajouté que le concept d'anticorps facilitants découle d'une campagne assez massive de vaccination, notamment d'enfants, contre le virus de la dengue menée aux Philippines, suite à laquelle certaines personnes ont développé une forme plus grave de la maladie après mise en contact avec le virus. Par ailleurs, il convient de distinguer rechute et récidive. Ne pas rechuter dans les premiers temps suivant la maladie ne garantit pas que l'on ait acquis une immunité solide à long terme, c'est-à-dire durable au-delà d'un ou deux ans. Une telle immunité à long terme peut être acquise pour plusieurs virus, mais les virus à ARN - famille à laquelle appartiennent les coronavirus - sont connus pour muter assez facilement.
a confirmé que l'acquisition d'une immunité durable reste entourée de nombreuses incertitudes. Il ressort des auditions précédentes que le virus a une certaine variabilité génétique et connaît des mutations régulières et rapides ; cependant, leur ampleur n'inspire pas d'inquiétude.
a estimé que, certes les enfants semblent peu infectés par le coronavirus, mais plus de la moitié d'entre eux n'est actuellement plus vaccinée contre les maladies « classiques », notamment la méningite ou la rougeole, ce qui fait peser un gros risque sanitaire sur la rentrée de septembre. La maladie de Kawasaki reste exceptionnelle. On constate que les enfants s'infectent davantage dans leur famille que lorsqu'ils sont en groupe, ce qui est plutôt rassurant. Le retour du personnel à l'école suscite plus d'inquiétude : les maires hésitent à faire revenir les personnes atteintes d'obésité ou de diabète, qui peuvent représenter jusqu'à 50 % des effectifs.
Concernant l'immunité, on peut tirer des enseignements des travaux des vétérinaires, qui sont confrontés à des infections par coronavirus chez les chiens et les chats : les vaccins qui existent sont peu efficaces, protègent peu de temps et sont parfois facilitants. Les États-Unis ont d'ailleurs cessé de faire vacciner les chats contre les coronavirus, alors que ceux-ci peuvent être très dangereux pour eux - au contraire, la France continue à faire vacciner les chats. Dans cette crise du Covid-19, on peut regretter d'avoir trop peu fait appel à l'expertise des vétérinaires et des laboratoires vétérinaires.
a rappelé que le coronavirus a eu indirectement un effet négatif sur les animaux domestiques lorsque certains de leurs propriétaires les ont lavés à l'eau de Javel !
a indiqué que dans un cirque, de grands félins ont été contaminés par le SARS-CoV-2.
a estimé qu'un vent de fronde souffle chez les élus locaux contre le retour des enfants à l'école. Cette fronde relève en partie de motivations politiques, mais elle est aussi nourrie par des craintes réelles. L'OPECST devrait produire une note pour clarifier la situation des enfants au regard du Covid-19, afin de rassurer les élus et couper court aux rumeurs sans fondement qui circulent sur les réseaux sociaux. Il faut par exemple mettre en avant le risque que les enfants, en étant isolés, ne développent pas une immunité suffisante.
Il est vrai que la vaccination contre les coronavirus est controversée pour les animaux domestiques. Mais elle est utile pour les animaux de production : la vaccination empêche ainsi la survenue de diarrhées mortelles à 95 % chez les petits veaux (entre le 6e et le 10e jour).
s'est étonné que le projet de note indique que la contagiosité des enfants est similaire à celle des adultes, et qu'on puisse dire en même temps que les enfants sont moins atteints par le virus.
a rappelé qu'il y a un décalage entre les connaissances issues des études médicales et les informations remontant du terrain - ce qui montre qu'il ne faut pas faire l'impasse sur ces dernières. Le virologue allemand Christian Drosten a montré que les enfants ont une charge virale équivalente à celle des adultes ; en théorie, ils devraient donc être aussi contagieux que des adultes. Mais sur le terrain, lorsqu'on observe les cas cliniques, les pédiatres constatent que les enfants ne causent pas de grands foyers de contagion du coronavirus, contrairement à la grippe. Les pédiatres auditionnés ont fait part de leur surprise car ils s'attendaient à ce que la situation soit similaire à celle de la grippe.
a invité Pierre Ouzoulias à présenter les premières perspectives des travaux qu'il a entrepris sur la façon dont les sciences humaines appreìhendent l'eìpideìmie.
a indiqué que ses travaux consistent à s'interroger sur la possibilité que l'épidémie du Covid-19 provoque des changements dans le fonctionnement de notre société. Il faudra aussi évaluer si ces éventuels changements sont temporaires ou peuvent être pérennes ? Plusieurs thèmes ont été retenus.
La relation à la mort a changé durant la crise. Le deuil est plus difficile à faire en période de confinement. On ne peut plus être aux côtés de ses proches en fin de vie, on ne peut plus accompagner la mise en bière des personnes décédées et il en résulte de la souffrance. La période est marquée par un recours accru à la crémation. Comment l'expliquer ? Certaines familles considèrent que le dernier hommage au défunt est mieux rendu au crématorium qu'au cimetière. Le feu est-il un processus de purification qui aide à faire son travail de deuil ? Le basculement de l'inhumation vers la crémation est un sujet majeur.
Un deuxième axe concerne les transformations du rapport au culte religieux. En particulier, va-t-on voir se développer le « culte numérique » ?
Un troisième thème touche au rapport à l'alimentation, qui a fortement changé. Il en est ainsi de la manière dont on accède aux aliments : il est possible que l'on observe à l'avenir un recours plus fréquent aux circuits courts, y compris en milieu urbain - la relation au maraîcher s'inscrit dans une certaine forme de confiance. Le changement concerne aussi les habitudes alimentaires : en témoigne la surconsommation actuelle de certains produits, comme la farine.
Enfin, la société est le théâtre de processus étonnants. Par exemple, les gens continuent à aller à leur fenêtre ou leur balcon à 20 heures pour applaudir les soignants. Ce n'est pas neutre dans la façon d'envisager la relation au personnel soignant. Une relation s'institue ainsi entre le front et l'arrière, pour prendre une métaphore guerrière. Mais d'autres réactions ont également cours : pensons aux mots laissés aux infirmières pour leur demander d'aller habiter ailleurs...
a affirmé que le coronavirus rappelle à tous que nous sommes de pauvres mortels soumis aux lois de la nature, et non les humains invincibles qu'on se plaisait à croire. Quand une épidémie arrive, nos sociétés ne trouvent rien de mieux que d'appliquer la méthode du Moyen-Âge consistant à se séparer les uns des autres pour éviter la contamination...
a rappelé qu'un passage historique de l'inhumation à la crémation s'est produit en Gaule au IIe siècle avant Jésus-Christ ; le passage inverse s'est opéré au IIe siècle après Jésus-Christ. Ces évolutions ont eu lieu, pour l'une, avant la grande transformation politique que constitue l'incorporation de la Gaule à l'Empire romain et, pour l'autre, avant la transformation religieuse associée à l'arrivée du christianisme en Gaule. Le changement de rite funéraire renvoie à un changement de mentalité qui, dans le deuxième cas, a accompagné l'ancrage de la religion nouvelle.
Depuis plusieurs années, le recours à la crémation s'accroît constamment en France. Traditionnellement, l'Europe du Nord y procède davantage que l'Europe du Sud. À la faveur de l'épidémie, un saut qualitatif pourrait se produire : les sociétés crématistes de France peinent aujourd'hui à faire face à un surcroît de demandes. La motivation sanitaire joue un rôle très fort dans le changement d'attitude en cours. Pour autant, Claude Lévi-Strauss avait montré que le rapport au cru et au cuit est un phénomène anthropologique fondamental et qu'il participe de la structuration de la société ; le tournant actuel vers la crémation renvoie donc à une vision du corps qui est aussi une vision cosmogonique.
Dans un registre plus anecdotique, la pandémie signera-t-elle la fin du bisou ? Peut-être allons-nous nous orienter vers un mode anglo-saxon de distanciation physique et sociale. Cela sera intéressant à analyser...
Enfin, la fortune imprévue de la farine s'explique par le fait que la fabrication d'un gâteau a le pouvoir de tenir tranquilles des enfants pendant une heure et demie...
a indiqué que le columbarium installé il y a 7 ou 8 ans dans sa commune a vu augmenter la demande dès avant la pandémie. L'accélération actuelle confirme ainsi une tendance de fond. Mais le défaut de rituels de deuil risque d'entraîner des troubles psychologiques qui vont durer.
Quant aux soignants, quel sera leur état physique et moral à l'issue de la pandémie, beaucoup ayant été confrontés à la mort sans y avoir été préparés ? Ne mériteraient-ils pas un soutien spécifique ?
a rapporté l'expérience de sa fille, externe en quatrième année de médecine, mobilisée comme tant d'autres volontaires dans un service Covid-19. L'hôpital a fait corps et la totalité des personnels a vécu dans un grand esprit d'équipe. Les barrières hiérarchiques se sont complètement effacées : infirmières, externes, internes, chefs de clinique se retrouvent à partager des pizzas... Cela leur a permis de tenir.
L'organisation s'est également transformée de façon prodigieuse. La reconnaissance sociale marquée par les applaudissements aux fenêtres a permis de continuer à développer cet esprit d'équipe. Au demeurant, quasiment la moitié des soignants ont attrapé le coronavirus et l'ont transmis à leur famille. C'est sans doute l'une des professions qui a eu à subir le plus de pertes et cela pourra jouer dans le futur rapport entre le front et l'arrière-front que j'évoquais précédemment.
s'est demandé si l'on n'observait pas actuellement une diminution de notre tolérance à la mort. Celle-ci est bien sûr une idée par nature insupportable et l'on n'y est jamais véritablement préparé. Le bilan quotidien des décès égrené par le directeur général de la santé ne contribue-t-il pas à créer un climat malsain ? On a perdu l'habitude des phénomènes épidémiques en les renvoyant aux temps anciens du Moyen-Âge, malgré les avertissements qu'étaient les épidémies de SRAS ou d'Ebola. Le choc en retour est brutal.
a indiqué que beaucoup de familles ont eu le sentiment que la mort n'était plus traitée que comme un événement médical ultime et qu'on les privait de toute forme de rite. Elles viennent chercher à l'hôpital quelque chose qui est une forme de corps étranger - infecté, qui plus est. Pour les croyants comme pour les non-croyants, c'est extrêmement violent. Cette gestion de la mort purement comptable, médicale et technique n'est pas satisfaisante. Il faut réintroduire du rite, sans qu'il s'agisse nécessairement de rite religieux. La mort est un événement de passage fondamental, qu'on ne peut pas réduire à un phénomène médical.
a remercié les membres de l'Office pour la qualité de ces échanges.
La visioconférence est close à 10 h 05.