À la fin du mois de novembre, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat ont souhaité que l'OPECST joue pleinement son rôle en examinant la stratégie vaccinale visant à lutter contre l'épidémie de Covid-19. Depuis, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale nous en a officiellement saisis. Je remercie les quatre rapporteurs pour la rapidité avec laquelle ils ont réalisé la première phase de leur travail. L'Office a su être au rendez-vous et son action permet que le débat qui va avoir lieu devant chacune des assemblées cette semaine soit le plus objectif possible et ne soit pas otage de démarches tactiques ou politiciennes.
Je tiens d'abord à souligner que le développement, la fabrication et la mise à disposition rapide de vaccins contre la Covid-19 sont une réelle prouesse scientifique et technologique. Notre impression globale est que la stratégie vaccinale annoncée va dans le bon sens. Nous avons identifié des points de vigilance, des choses qui auraient pu être mieux faites, d'autres qui s'annoncent comme des points de fragilité, mais aucune erreur majeure n'a été mise en évidence à ce stade.
Je salue la profondeur et le sérieux des travaux menés sur la stratégie vaccinale par nos quatre rapporteurs, sous la houlette du président Cédric Villani. Je suis en accord complet avec leur deuxième recommandation qui propose de réaffirmer le rôle du Parlement et la place de la démocratie sanitaire. Faire confiance aux institutions, et en particulier au Parlement, doit réjouir ceux qui sont attachés à une pratique responsable de la démocratie.
Nous sommes convenus que je présenterai la dernière partie du rapport. La stratégie de vaccination doit relever de nombreux défis : scientifiques, médicaux, logistiques, économiques. Mais il y a aussi un défi très important : celui de l'acceptabilité sociale et de l'acceptabilité individuelle, car si elles font défaut, la stratégie de vaccination ne fonctionnera pas. Nos auditions ont permis de mettre en évidence les freins à la vaccination. Le frein principal est psychologique, eu égard aux incertitudes qui pèsent sur les bénéfices individuels attendus, mais aussi à une forte défiance vis-à-vis de la parole politique, qui s'explique notamment par le cafouillage intervenu sur les masques dans une phase précédente de la crise.
Le projet de rapport avance plusieurs recommandations. Il convient de renforcer la place de la parole médicale, en particulier dans le cabinet du médecin, dans la relation quasi familiale que chacun établit avec son médecin traitant. Il faut aussi garantir une explication transparente de la stratégie vaccinale, car l'opacité est un problème. La transparence doit porter sur tout : sur le rôle de chaque acteur de la chaîne de vaccination, sur les contrats avec les laboratoires ou encore sur l'information des citoyens. On demande la vérité sur ce que l'on sait, et sur ce que l'on ne sait pas. L'une des recommandations consiste à mettre à disposition du public un site d'information centralisé, pouvant le cas échéant renvoyer vers des sites plus complets. Nous suggérons aussi de constituer un collectif d'ambassadeurs qui auraient pour mission d'expliquer la stratégie de vaccination. Enfin, les personnels de santé devraient être encouragés à se faire vacciner, ce qui entraînera le grand public à se faire vacciner à son tour. Le fait que le personnel de santé soit lui-même vacciné rassurera les familles des résidents des EHPAD. Enfin, la parole médicale rassurera davantage que la parole politique.
Merci à Gérard Leseul pour cette présentation d'une condition essentielle de réussite de la stratégie vaccinale. Je peux témoigner que, médecins ou pas, les rapporteurs ont travaillé en très bonne entente.
Je veux d'abord souligner que ce travail a été un travail d'équipe. Je vais présenter le premier axe, qui traite des connaissances et des incertitudes scientifiques. La Covid-19 est une maladie particulièrement polymorphe, dans ses atteintes et sa symptomatologie. C'est important car cela pose la question de la justification de la vaccination et des mesures sanitaires. Les jeunes y sont assez réticents car ils font en général des formes asymptomatiques de la maladie et ils n'en meurent quasiment pas. Il faut souligner que la gravité de la maladie augmente considérablement avec l'âge : 8 % de létalité pour les plus de 80 ans.
Même si les connaissances sur la maladie ont progressé, la réponse immunitaire contre le virus reste mal connue. On a donc des difficultés à bien appréhender l'arrière-plan de la vaccination. Or celle-ci est un moyen d'éradiquer les maladies infectieuses graves - il ne faut pas hésiter à le rappeler - mais elle se base justement sur la réponse immunitaire, c'est-à-dire la capacité de l'organisme à se défendre contre le virus. Des travaux scientifiques commencent à apporter des réponses, la connaissance est en construction et il y a encore des débats. Or, nous avons besoin de bases solides pour anticiper la réponse du système immunitaire à la vaccination.
Je rappelle que pour éradiquer une maladie infectieuse, un vaccin doit à la fois prévenir les formes graves et empêcher la propagation du virus. Or nous ne savons pas si la vaccination contre la Covid-19 est stérilisante, c'est-à-dire si elle empêche la propagation du virus d'homme à homme. C'est un point important car si tel n'est pas le cas, il faudra maintenir les gestes barrière malgré la vaccination, ce qui risque d'être mal accepté par nos concitoyens.
La stratégie vaccinale qui a été adoptée par le gouvernement, éclairé par des avis scientifiques, notamment la Haute Autorité de santé, est progressive, ce qui est une bonne chose, et prend en compte la balance bénéfices-risques. Cette stratégie est donc un choix responsable du gouvernement. Le risque d'effets indésirables, rares mais toujours possibles, doit être pris en compte et comparé aux bénéfices associés à la vaccination. La population pour laquelle cette balance est la plus favorable est celle des personnes âgées, car elles sont ainsi protégées des formes sévères, mortelles. Chez les jeunes, les bénéfices sont moins évidents, dans la mesure où les formes sévères sont extrêmement rares dans cette classe d'âge.
S'agissant des effets indésirables, on a vu apparaître deux cas de réaction allergique grave au Royaume-Uni. Cela souligne l'importance d'une pharmaco- ou vaccino-vigilance très serrée. Ce besoin de transparence est développé dans le quatrième axe du rapport, qui montre la nécessité d'une bonne communication de l'information disponible. Un site internet complet et transparent pourrait servir à cela.
La question de la responsabilité des vaccinateurs doit être anticipée, dans la mesure où la vaccination ne sera pas obligatoire. La responsabilité sans faute du vaccinateur peut être engagée ; c'est pourquoi le ministère doit prendre les mesures nécessaires.
Pour conclure, je rappelle que le rôle dévolu au Parlement, et à l'Office qui est son bras armé dans le domaine scientifique, par l'article 24 de la Constitution oblige à être particulièrement vigilant et à accomplir notre mission de contrôle et d'évaluation des politiques publiques et de l'action du gouvernement.
Alors que nous ne disposions que d'informations très partielles au début de notre travail, nous avons pu, en une dizaine de jours, nous faire une opinion sur des sujets complexes, grâce aux nombreuses auditions menées.
S'agissant de l'axe relatif aux aspects logistiques de la stratégie de vaccination, c'est d'abord la question de la gouvernance qui est apparue comme l'un des principaux écueils. De nombreuses structures interviennent directement dans la décision : la Haute Autorité de santé (HAS) pour les recommandations en matière de vaccins, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour la pharmacovigilance, mais aussi Santé publique France (SPF) - dont, je tiens à le signaler ici, nous n'avons pas pu entendre les responsables -, le directeur général de la Santé (DGS) Jérôme Salomon, etc.
Viennent s'y adjoindre un grand nombre d'organismes consultatifs. Encore le terme « consultatif » n'est-il pas totalement satisfaisant, car plusieurs structures semblent participer à la décision, en matière scientifique, en matière de négociation avec les laboratoires, ou encore en matière logistique - c'est le cas de la task force rattachée au ministre de la santé, que nous n'avons pas pu entendre non plus. Vous trouverez un panorama de l'ensemble de ces acteurs dans le schéma « synthétique » présenté en annexe au rapport.
Encore n'a-t-on pas inclus, dans ce schéma, les acteurs dont le rôle exact ne nous a pas semblé très clair pour l'instant, tels que le comité citoyen.
De nombreuses personnalités sont présentes dans ces différentes structures - parfois dans plusieurs simultanément. Tout cela forme en définitive une comitologie très complexe. De plus, les prises de parole n'étant pas toujours coordonnées, le message a parfois été brouillé - même si chacun reste dans son rôle, les aspects scientifiques différant des aspects logistiques. Enfin, les relations établies entre toutes ces structures ne sont pas claires.
Dans la période qui s'ouvre, une parole forte, cohérente et compréhensible par tous sera indispensable. Cette remarque vaut pour l'ensemble des politiques sanitaires, mais plus encore dans la crise que nous vivons. Le Gouvernement doit donc se préoccuper de répondre à plusieurs questions : qui va communiquer ? Quelles sont les missions de chacun ? Les membres des différentes structures ont-ils travaillé pour un laboratoire pharmaceutique, ou dans tel ou tel champ de recherche ?
S'agissant de la stratégie vaccinale elle-même, plusieurs paramètres dépendent directement des choix du gouvernement.
Tout d'abord, la quantité de doses disponibles. Les territoires seront livrés progressivement, et le cabinet du ministre nous a indiqué qu'il serait sans doute nécessaire d'établir des priorités à un niveau très fin, au risque de devoir expliquer à un EHPAD qu'il ne sera pas livré alors que le sera un autre établissement situé sur le même territoire.
Ensuite, la communication. Celle-ci doit être progressive, s'adapter aux événements et ne pas s'en tenir à une « bande-annonce » immuable. D'ailleurs, les dates annoncées par le gouvernement pour la phase 1 et pour la phase 2 pourraient évoluer.
Quant au caractère facultatif de la vaccination, il existe un consensus d'autant plus justifié qu'il demeure des incertitudes sur le caractère bloquant, neutralisant, des anticorps et sur les éventuels effets secondaires - rares - qui pourraient apparaître lors de la vaccination d'un grand nombre de personnes.
Un consensus existe également sur la priorité donnée aux personnes âgées vulnérables. Cette priorité n'est contestée que par ceux qui y voient une volonté de « tester » le vaccin sur les plus âgés avant de prendre des risques pour les autres. En réalité, l'objectif de cette première phase n'est pas de stopper la propagation de l'épidémie, mais bien de protéger les plus vulnérables afin de soulager les services hospitaliers dans l'hypothèse où ceux-ci devraient faire face à une nouvelle vague. En effet, si la durée d'immunité procurée par le vaccin n'est pas bien connue, elle sera en tout état de cause suffisante dans ce cas de figure et les personnes âgées seront protégées si une troisième vague devait survenir.
La priorité donnée à la vaccination dans les EHPAD et les structures équivalentes est justifiée car ce sont fréquemment des foyers épidémiques. Le virus s'y diffuse très vite et y a parfois touché jusqu'à 60 % des résidents.
Le caractère volontaire de la vaccination ne doit pour le moment pas être remis en cause, même s'il pose des difficultés juridiques et pratiques. Par ailleurs, si le médecin traitant n'est pas convaincu de l'utilité de la vaccination, il lui sera difficile de convaincre son patient. Il faut donc se mettre en mesure de vacciner largement les professionnels de santé qui le souhaitent. Un certain nombre de professionnels souhaitent le faire, notamment dans les EHPAD, afin d'entraîner leurs patients dans cette dynamique.
La bonne performance de la chaîne logistique dans la première phase est une condition de réussite de la stratégie vaccinale : en cas d'échec, il serait difficile d'élargir la vaccination à toutes les personnes âgées. À partir du moment où la vaccination ne concernera plus seulement les EHPAD - qu'il est aisé de localiser et où il est facile de compter les volontaires -, sa diffusion territoriale causera une grande complexité. Par ailleurs, le vaccin à ARN de Pfizer-BioNtech est très fragile. Il doit en effet être conservé à -70°C et ne peut pas être transporté pendant plus de douze heures au total, cette durée incluant l'acheminement du lieu de centralisation des vaccins vers la pharmacie référente. Une fois la dose livrée, elle doit être utilisée dans un délai de cinq jours. Le conditionnement étant multidose, une fois le flacon ouvert, on dispose en fait de six heures pour utiliser toutes les doses. C'est une contrainte logistique très forte qui nécessite un enchaînement linéaire et fluide.
Pendant la première phase, une attention toute particulière devra être prêtée au recueil du consentement du résident, qui doit être éclairé et explicite. Lorsque le patient n'est pas capable de le délivrer, on passe par un tiers de confiance. Il faut clarifier rapidement le caractère oral ou écrit du consentement. Il nous a été dit que le consentement serait oral, mais les professionnels pourraient exiger plutôt un consentement écrit pour se protéger.
La vaccination doit s'appuyer sur les professionnels de santé de ville. Ce n'est pas ce qui avait été fait lors de l'épidémie de grippe H1N1 car des vaccinodromes avaient été mis en place. Aujourd'hui, compte tenu de la situation - nouveau vaccin, nouveau virus - l'intervention du médecin traitant, dans sa relation singulière avec le patient, est essentielle pour convaincre les indécis et faire réussir la stratégie vaccinale. La réussite passe aussi par une pharmacovigilance renforcée, claire et explicite pour chacun.
Les professionnels de santé n'ont pour l'heure pas reçu d'informations précises sur la vaccination. Si le calendrier est respecté, ils seront amenés, dès le 4 janvier, à recueillir les consentements et à réaliser les injections. Ils souhaitent obtenir des clarifications quant aux possibilités de mise en cause de leur responsabilité, sachant qu'a été insérée dans les contrats européens une clause d'irresponsabilité des laboratoires. Participant à une mission de santé publique d'intérêt national, ils attendent donc qu'un arrêté ministériel les protège afin que de potentiels accidents de vaccination ne leur soient pas imputés. Ils comprennent l'importance de la vaccination mais demandent à être protégés.
Après l'audition du directeur-adjoint du cabinet du ministre des solidarités et de la santé que nous avons organisée hier soir, il reste à clarifier la « logistique du dernier kilomètre ». Le moindre hiatus dans la chaîne d'approvisionnement risquerait de rendre le vaccin inefficace. Pour éviter cela, il faut des procédures écrites, précises et territorialisées. Par ailleurs, les maires semblent peu informés alors que nous avons la conviction qu'ils sont des vecteurs très importants d'adhésion. Ils doivent donc faire partie de la boucle d'information et de communication.
Merci beaucoup. Nous en arrivons à l'axe du rapport qui traite de la dimension industrielle et contractuelle de la stratégie vaccinale.
Il y a quelques mois, on ne savait rien de ce qui allait sortir du « chaudron de préparation des vaccins ». La surprise a été relativement bonne. Elle permet enfin d'envisager une sortie de la pandémie. Ce que nous n'avons pas encore évoqué ce matin est le fait que le premier vaccin sera administré en deux doses, délivrées à trois semaines d'intervalle, et qu'on ne peut pas envisager de réaliser la première injection tant qu'on n'est pas certain d'avoir la seconde dose.
L'Union européenne a eu une attitude positive et collective : elle a fait une précommande de 1,3 milliard de doses pour un coût de 12 milliards d'euros dont 1,8 milliard pour la France, correspondant à 200 millions de doses. Ce nombre permettra de combler les probables pertes liées au conditionnement en flacons multidoses.
Le projet de rapport présente plusieurs tableaux, dont une comparaison entre la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. On peut noter une différence de prix, peu explicable, entre ce qui a été proposé à l'Union européenne et aux États-Unis : le coût moyen d'une dose est 7,50 euros pour les États-Unis et 9 euros pour l'Union européenne. Le Royaume-Uni, pour des raisons que l'on comprend, n'a pas communiqué sur les prix qu'il a acceptés. Il a vraisemblablement payé très cher, pour des raisons politiques. Le Royaume-Uni a choisi une stratégie autonome, guidée par la rapidité. Ils ont pris un risque économique et sanitaire élevé. Les États-Unis ont payé leurs doses 20 % de moins que nous. Ils se sont fortement investis sur le développement initial des vaccins avec la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA). L'Union européenne manque d'un tel outil.
Nous recommandons justement que l'Europe se dote d'une agence similaire, capable d'investir massivement, sous la forme de partenariats public-privé, dans le développement initial et la production de médicaments stratégiques. Elle serait chargée de constituer des stocks mutualisés au niveau européen.
Un laboratoire européen, AstraZeneca, est allé jusqu'au bout des essais cliniques et a été très performant dans la production d'un vaccin somme toute assez classique, alors que Pfizer et Moderna ont eu l'audace de développer un vaccin à ARN qui s'est révélé beaucoup plus rapide à mettre au point et capable d'être produit en masse. Ce n'est pas sans incidence sur le choix stratégique de vaccination en France car, même si la réponse immunitaire diminue avec l'âge, ce vaccin à ARN est malgré tout est efficace à 95 %.
J'attire l'attention sur une confusion fréquente : l'ARN du vaccin n'est pas un ARN messager, comme on le dit souvent, mais un ARN synthétique, qui a la même forme et la même séquence. C'est un ARN de synthèse.
L'Europe n'a pas eu l'audace de consentir, comme l'ont fait les États-Unis, un investissement massif sur cette technique. Le projet de vaccin de Sanofi est également très classique avec l'intervention d'un recombinant. On n'a pas eu d'audace industrielle vis-à-vis des vaccins. En s'appuyant sur l'équivalent de la BARDA américaine, l'Europe aurait peut-être été plus performante.
Nous recommandons de pérenniser l'Instrument d'aide d'urgence (IAU) sous la forme d'un fonds d'investissement d'urgence européen, alimenté par les États membres et disposant, en cas de crise sanitaire, de la capacité d'intervenir immédiatement et massivement pour soutenir le développement et la production des médicaments. Nous recommandons aussi de pérenniser une politique européenne de mutualisation des achats de médicaments stratégiques et autres dispositifs médicaux, qui pourrait reposer sur le travail conjoint de la Commission européenne et d'experts issus des États membres qui le souhaitent.
En matière budgétaire, on peut réfléchir à l'opportunité de se lancer dans des achats massifs de vaccins - souvenons-nous qu'en 2009, Roselyne Bachelot avait été très attaquée sur ce sujet. Nous souhaitons qu'à la fin de la campagne vaccinale de la première année, la transparence puisse être faite sur les tenants et aboutissants des négociations avec les laboratoires. Ces informations sont pour l'instant confidentielles.
Nous allons entrer dans la première phase de vaccination. La campagne touchera progressivement toute la population, par tranches, mais on ne sait pas si la maladie disparaîtra car le vaccin protège des formes graves, mais pas forcément de la transmission. On peut faire le parallèle avec le vaccin polio allégé disponible dans les pays européens ; dans les pays exposés, on fait un vaccin différent, buvable, de façon à bloquer également la transmission. Nombre de scientifiques annoncent la multiplication à venir des pandémies. Il faut donc envisager d'être à nouveau confronté à des campagnes de vaccination similaires, pour la Covid-19 ou pour des maladies équivalentes. C'est pourquoi il est indispensable d'avoir davantage de transparence sur la façon dont sont négociés les achats de vaccins.
Pour conclure, il apparaît qu'en cas de crise sanitaire majeure, deux types de mesures qui ne s'improvisent pas permettent à l'État de garantir un approvisionnement en médicaments ou en vaccins :
- l'investissement direct qui donne un droit de regard sur les produits, les prix, les lieux de production ; cela rejoint l'idée déjà évoquée d'une « BARDA européenne » ;
- des mesures éventuellement contraignantes, avec obligation faite aux laboratoires de constituer des stocks de produits stratégiques. Ce point fait l'objet de débats mais est-ce qu'il ne faudrait pas stocker des vaccins, compte-tenu des incertitudes sur la durée de protection vaccinale ? Pour le moment deux doses sont nécessaires, et peut-être nous dira-t-on dans quelques mois qu'une seule dose suffit, mais dans l'incertitude, ayons la capacité de constituer des stocks pour les crises à venir.
Nous en avons terminé avec la présentation des quatre axes du rapport. J'insiste sur le fait que ces quatre axes forment un ensemble très complet : les questions scientifiques, les questions de mise en oeuvre, les enjeux économiques et géopolitiques et, enfin, la question de la confiance. Si les analyses et les recommandations sont bien distinctes, elles dressent, ensemble, un panorama exhaustif.
J'aimerais obtenir des éclaircissements sur trois sujets :
- est-ce que le rapport présente une typologie des vaccins afin d'expliquer aux parlementaires et au grand public les différents types de vaccins proposés ?
- Sanofi a fait le choix d'un vaccin classique mais apparaît en retard ; comment l'expliquer ?
- la BARDA a permis aux États-Unis d'investir dans les vaccins. Pourquoi ? Selon quels critères ? Dans quelles conditions ? Lorsque vous dites qu'un tel organisme serait bienvenu au niveau européen, comment imaginer une telle logique d'investissement dans un monde aussi spécialisé et technique, où les grands acteurs mondiaux peuvent avoir des intérêts si différents ?
Cette dernière question fait d'ailleurs écho à la première : la diversité des vaccins correspond-elle à des voies qui s'opposent ou à des voies qui se succèdent, entre ce qui est plus ou moins mûr, plus ou moins prometteur, voire plus ou moins sûr ?
On a beaucoup parlé des EHPAD mais n'oublions pas qu'en France, les trois quarts des personnes dépendantes vivent à leur domicile, qui est le lieu de tous les possibles, le meilleur comme le pire. Ces personnes dépendantes reçoivent la visite de bénévoles, de voisins, qui apportent le repas, vont chercher le courrier, entrent et sortent. On sait que c'est là que se situe le danger en termes sanitaires. Quelles recommandations faut-il faire, au-delà des soignants, pour tous ces aidants et toutes ces personnes ?
Je veux revenir sur le sujet important de la défiance. Une partie de la population ressent l'hésitation vaccinale et un récent sondage affirme que seuls 41 % des Français sont prêts à se faire vacciner. Avons-nous des données plus précises sur ces populations - je pense notamment au fait que les jeunes générations souhaitent moins utiliser le vaccin. Quand on regarde les taux de létalité, il est vrai que c'est la partie plutôt âgée de la population qui est la plus concernée par le danger, cela explique peut-être pourquoi une partie de la population hésite. De plus, vous le notez bien dans le rapport, on est dans l'ère du soupçon et cela renvoie au sujet plus général de la confiance des Français dans les scientifiques. L'Office pourrait y travailler, au-delà du traitement de la crise sanitaire.
Vous nous avez tous les quatre appris des choses passionnantes, mais on ne sait pas tout actuellement, ce qui ne va pas aider à rassurer la population.
Il me semble très important de relever qu'on ne peut pas injecter la première dose avant d'être sûr de disposer de la seconde. Or la France ne disposera pas de toutes les doses dans l'immédiat. Les EHPAD et ceux qui vont organiser la campagne sur le terrain sont-ils bien conscients de cela ? C'est un point sur lequel il faut absolument insister : mieux vaut vacciner moins mais vacciner mieux, c'est-à-dire être sûr que c'est efficace.
Merci à tous. Je propose que les rapporteurs nous fassent part de leurs éléments de réponse.
Je vais d'abord essayer de répondre aux questions de Gérard Longuet.
Sanofi est à la phase 1 des essais, avec des résultats mitigés. À cet égard, la deuxième question posée est essentielle, parce que l'Europe, en particulier la France, est très en retard sur l'investissement dans la R&D et l'innovation. Ce n'est pas la première fois qu'on s'en aperçoit. Aucune molécule d'intérêt - c'est-à-dire susceptible de devenir un médicament - découverte en France - j'en ai découvert deux - n'a pu être ou ne sera commercialisée par l'industrie française.
Ce constat ne traduit pas une faiblesse scientifique, au sens d'« intellectuelle », des Français ou des Européens, mais l'absence de stratégie de soutien de la puissance publique à la R&D. Avec la BARDA, le gouvernement des États-Unis a investi des milliards de dollars - la Chine fera de même -, y compris sur Moderna, une entreprise au siège social américain mais dirigée par un Français. Cela ne leur fait pas peur. Les Américains peuvent investir plus de deux milliards sur un projet, éventuellement à fonds perdus puisqu'il s'agit d'un pari. Le prix d'achat des vaccins tient compte en partie de ces investissements. Nous n'avons pas cette puissance de feu. Il faut tirer des événements actuels une leçon sur notre capacité à faire face à une crise sanitaire de cette ampleur, notamment en mettant en place en Europe l'équivalent de la BARDA.
À mon avis, les vaccins à ARN sont arrivés les premiers simplement parce que le séquençage du génome viral a été extrêmement rapide. Ce n'est pas étonnant, parce que les capacités de séquençage sont devenues considérables. À partir du moment où, d'une part, on a séquencé la forme principale du virus très rapidement - trois semaines après le début de la pandémie - et, d'autre part, nous connaissions les mécanismes d'action des coronavirus en général, notamment celui de l'entrée du virus dans la cellule par la protéine Spike, il suffisait d'identifier sur le génome les séquences codant cette protéine, de les copier, et d'en faire la synthèse pour produire un vaccin. Le patron de BioNTech a pensé en une nuit la stratégie qu'il a adoptée pour son vaccin. Il est donc normal que ces vaccins arrivent plus vite sur le marché. Les vaccins traditionnels nécessitent plus de travail. Ainsi, l'Institut Pasteur part d'un modèle de vaccin contre la rougeole, ce qui peut poser plus de problèmes et, éventuellement, produire plus d'effets indésirables.
C'est une très bonne chose que les vaccins arrivent progressivement, car cela permettra très vraisemblablement de disposer de vaccins de technologies différentes, donc avec des indications différentes, des effets indésirables plus ou moins importants, des inductions d'immunité variables, etc. Par exemple, les vaccins à ARN pourraient s'avérer plus adaptés à la population âgée ou très âgée qu'à la population jeune, parce qu'ils induiraient chez celle-ci plus d'effets indésirables. Ce sera la même situation que pour les médicaments : on disposera d'une panoplie et le vaccin injecté ne sera pas identique pour tous.
Par ailleurs, la progressivité permet aussi d'apprendre et de s'adapter. Les chercheurs de l'Institut Pasteur ont vu que ce qu'ils avaient programmé n'était pas forcément en adéquation avec les effets indésirables qu'ils anticipaient sur d'autres vaccins.
L'OPECST a publié il y a environ un an un excellent rapport de Florence Lassarade, Cédric Villani et moi-même sur l'hésitation vaccinale. Le fait que, pour la Covid-19, la vaccination soit destinée aux adultes et non aux enfants est fondamental. Quand on vaccine ses enfants, on n'a pas envie de les mettre en danger. Nous ne nous trouvons pas dans ce cas de figure. L'hésitation vaccinale doit être prise en compte, parce qu'il s'agit de se protéger soi-même pour protéger les autres. C'est donc une démarche individuelle à visée collective, comme pour la vaccination contre la grippe.
Les vaccins à ARN n'utilisent pas des méthodes inconnues, puisque le Téléthon et le Généthon les ont beaucoup développées, même si ce n'est pas pour lutter contre les infections virales. Ces techniques existent depuis plusieurs dizaines d'années. Elles ont déjà été utilisées pour le traitement de certaines tumeurs cancéreuses. Cependant, les utiliser pour la vaccination était quand même un pari, heureusement réussi. Quelles que soient les sommes investies dans la recherche, les paris scientifiques peuvent aussi bénéficier - ou pas - d'une dose de réussite. Au fil des auditions, nous avons compris que Sanofi n'a pas pu se lancer dans des technologies innovantes. Or, mettre au point un vaccin recombinant nécessite probablement beaucoup de temps, parce que la démarche oblige à tâtonner pour trouver la bonne cible permettant d'obtenir un vaccin efficace. Il faut des essais, des allers-retours, et c'est beaucoup plus empirique que pour les autres techniques.
Ce sont surtout les jeunes qui montrent un scepticisme vaccinal. Il s'agit bien de scepticisme et non d'un positionnement « anti-vax », qui est quasiment une religion, avec une telle irrationalité que tout combat par la raison paraît difficile à conclure. L'objectif est donc d'amener à la vaccination ceux qui sont sceptiques. Or ce scepticisme ne touche pas nécessairement les autres vaccinations : de nombreuses personnes qui d'ordinaire ne se faisaient pas vacciner contre la grippe l'ont fait cette année, parce qu'elles ont compris que le bénéfice de la vaccination était supérieur au risque encouru de son fait. Dans la pédagogie vaccinale, le sujet de la balance bénéfice - risque est très important, en plus de la transparence et de la façon de communiquer. Les femmes doutent plus, ont dit des sociologues lors des auditions. La catégorie sociale joue aussi : plus les ressources du ménage sont faibles, plus le scepticisme vaccinal augmente. Les sociologues évoquaient aussi la notion de politisation : plus on se situe à un extrême politique, plus on va vers le scepticisme vaccinal.
On observe effectivement un certain parallélisme entre rejet du politique et rejet du vaccin. Ces populations se recoupent.
Par conséquent, il faut adopter des stratégies de communication adaptées, reposant sur des vecteurs spécifiques, qu'il faut démultiplier. Il faut recommander de s'appuyer sur les élus locaux, principalement le maire : si on mobilise le maire, la politique vaccinale gagne en crédibilité.
La vaccination des personnes dépendantes résidant à domicile relève de la phase 2 de la campagne vaccinale. À ce jour, on ne dispose pas de calendrier très précis. En effet, la phase 1 présente déjà de nombreux défis : une distribution nationale dans les différents congélateurs, l'identification de la personne à vacciner, le recueil de son consentement éclairé, la prise en compte du délai de transport, de préparation puis de vaccination puis, vingt-et-un jours plus tard, l'administration d'une seconde dose. Il faudrait d'ailleurs que les EHPAD aient la garantie que toute la chaîne logistique, y compris la distribution de la seconde dose, a été prise en compte. Nous avons eu le sentiment que le sujet de cette seconde dose était abordé moins en profondeur.
La bonne gestion des déchets biologiques est également essentielle ; elle sera peut-être moins contraignante en EHPAD que lorsque la population générale sera éligible. Ce sera un coût probablement non négligeable pour les pharmacies, le passé ayant montré que cette exigence de bonne gestion n'était pas toujours bien prise en compte.
Pour les personnes à domicile, une telle logistique n'est pas transposable. Nous avons eu des réponses précises et structurées pour la phase 1 de la campagne, mais le degré de précision est moindre pour la phase suivante, marquée par une bascule annoncée vers la médecine générale, les pharmacies de ville et les cabinets médicaux. Or elle pourrait venir vite si l'on se tient au calendrier de la HAS. Le conditionnement du vaccin en flacons multidoses pose également des contraintes, car dans la vaccination à domicile, une partie des doses pourrait devenir inexploitable. Ainsi, la logistique de la deuxième phase est un sujet tout aussi délicat, qui nécessite des réponses claires.
Pour les Outre-mer, nous avons encore moins de réponses, y compris pour ce qui est de la problématique cruciale du temps de transport. Je rappelle que l'ARN de synthèse n'est plus stable au bout de 12 heures de transport.
La vaccination des personnes dépendantes résidant à domicile va obliger à établir une cartographie préliminaire : il faut commencer à identifier les personnes à vacciner, le médecin traitant et la personne qui va vacciner.
Les EHPAD nous ont semblé prêts à s'intégrer pleinement à la chaîne logistique. Deux interrogations subsistent. Il s'agit d'abord du souhait d'un consentement qui soit donné sous forme écrite et non orale - les médecins et vaccinateurs veulent également cette assurance. Pourquoi échapperions-nous au recueil d'un consentement éclairé écrit ? Ce n'est pas illogique et cela a déjà été mis en oeuvre par le passé. La deuxième interrogation concerne la vaccination des personnels, dont bon nombre sont très hésitants. La représentante du Synerpa a fait état d'un sondage montrant que cette hésitation, voire cette résistance, était plus importante qu'en population générale. Il faudra convaincre ces personnels car ils sont des relais d'opinion au sein des structures et vis-à-vis des familles. C'est la raison pour laquelle nous proposons que les personnels puissent, s'ils le désirent, se faire vacciner dès le début de la campagne afin d'entraîner la population et de réduire le scepticisme vaccinal. Il en est de même pour les médecins généralistes, qui se doivent de montrer une certaine exemplarité. Tous les leviers au service d'un message positif - plus de confiance et moins de scepticisme - nous semblent essentiels à actionner.
Merci beaucoup pour ces réponses très précises.
Comment allez-vous exploiter ce travail ? Ces informations vont-elles être transmises au gouvernement avant le débat ? Après le débat ?
Une conférence de presse aura lieu cet après-midi pendant laquelle les quatre rapporteurs s'exprimeront en visioconférence. Une fois adopté, dans quelques instants, le rapport sera communiqué aux présidents des deux assemblées. Demain et après-demain, chaque rapporteur pourra s'exprimer dans le temps de parole de son groupe politique, à l'Assemblée et au Sénat et l'Office bénéficiera d'un temps de parole spécifique dans nos deux assemblées. J'interviendrai moi-même dans le débat au titre de président de l'OPECST. Cette prise de parole de l'Office dans le coeur du débat est une excellente chose. La communication de nos conclusions sera étendue en direction de l'ensemble du Parlement et du gouvernement.
Chers amis, je vous propose maintenant de donner un satisfecit admiratif aux rapporteurs et d'adopter le rapport, qui ne met pas fin à la mission confiée à l'Office puisque ce sont des « premières conclusions » et que les travaux vont donc se poursuivre dans les mois qui viennent.
Un grand merci aux rapporteurs et à vous tous.
L'Office autorise à l'unanimité la publication du rapport portant premières conclusions sur « La stratégie vaccinale contre la Covid-19 ».
La séance est levée à 15 heures 10.