Intervention de Maurice Vincent

Réunion du 17 juillet 2012 à 19h30

Photo de Maurice VincentMaurice Vincent :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, le débat d'orientation des finances publiques permet de faire le point sur les perspectives économiques et financières de notre pays pour les années à venir.

Chacun peut mesurer, monsieur le ministre délégué, l'ampleur de l'effort de redressement à accomplir, compte tenu de l'état très dégradé des comptes publics dont vous héritez, malheureusement, et de l'évaluation de la croissance économique dont nous pourrions bénéficier.

L'estimation raisonnable retenue traduit bien le contexte de « croissance molle » que nous craignions et qui est devant nous pour plusieurs années, en raison tant du contexte international que des problèmes de compétitivité de notre économie.

Sur un plan général, je ne peux que me féliciter des orientations que vous avez tracées. Elles témoignent d'une forte volonté de justice sociale dans la répartition de l'effort à accomplir, d'une forte mobilisation du Gouvernement pour favoriser, malgré la crise, la croissance la plus élevée possible, et ce dans la droite ligne des résultats obtenus par le Président de la République au niveau européen.

Nombre de questions d'ordre général ayant déjà été abordées, je voudrais plus particulièrement insister sur un dossier majeur, qui exigera une attention soutenue dans les mois à venir, tant ses conséquences budgétaires et son impact sur la croissance économique pourraient être importants, alors même qu'ils ne sont, à l'heure actuelle, ni totalement connus ni maîtrisés. Je veux parler de la situation de la banque Dexia et de la question du financement des collectivités territoriales à court et moyen terme.

J'aborderai donc, successivement, la situation de Dexia et son coût potentiel pour les finances publiques, les conséquences à court terme pour les collectivités territoriales et, enfin, le cadre financier qu'il nous faut purement et simplement reconstruire à moyen terme pour garantir le financement des collectivités territoriales et des hôpitaux.

Sans revenir en détail sur l'histoire mouvementée de Dexia, je me contenterai de rappeler que ce groupe, issu d'un rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations, a joué un rôle essentiel dans le financement des collectivités territoriales, et avait acquis une réputation si solide, liée à l'histoire de cette institution, qu'elle la précédait partout en France, dans ses relations avec les grandes villes comme avec les plus petites de nos communes.

Aux yeux de tous, Dexia était le successeur de la CAECL, la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, puis du Crédit local de France, offrant la garantie assumée d'accéder à un crédit stable et peu coûteux, répondant en cela à une logique de service public.

L'évolution réelle de la banque au tournant des années quatre-vingt et sa dérive rapide vers une logique financière privée ont échappé à toutes les activités de contrôle, dont la surveillance et la sécurité de notre système financier sont pourtant la raison d'être.

Toujours est-il que, devenu un groupe multinational, Dexia a développé, entre 2002 et 2008, un modèle financier hautement risqué. Je le répète, il est incompréhensible que les autorités de contrôle aient été aussi défaillantes. L'héritage de cette époque est aujourd'hui particulièrement lourd et risque de marquer les années à venir. Ainsi, en 2008, la banque était prise dans des activités financières tentaculaires et peu lisibles, avec un bilan passé en quelques années à 650 milliards d'euros.

Dexia a intégré de fait un véritable hedge fund, avec un portefeuille obligataire de 220 milliards d'euros en 2008, évalué, trois ans auparavant, à 70 milliards d'euros. Par ailleurs, cette même année, Dexia a fait face à un besoin immédiat de trésorerie de 260 milliards d'euros, soit l'équivalent de la dette grecque.

Malgré un piètre bilan, le précédent président du comité de direction de Dexia et plusieurs de ses collaborateurs ont bénéficié de retraites chapeaux. Même si les sommes peuvent paraître limitées au regard du volume des créances dont nous discutons, je souhaite – c'est symboliquement et moralement important ! – que le Gouvernement examine tous les moyens envisageables pour récupérer ces retraites chapeaux, évaluées, semble-t-il, à 15 millions d'euros.

Il faut maintenant faire face aux conséquences de la déréglementation qui a prévalu, y compris dans un secteur tel que le financement des acteurs publics. À cet égard, la responsabilité des gouvernements précédents est clairement engagée.

L'équipe de direction de Dexia qui s'est installée en 2008 a mis en œuvre, ainsi que l'a rappelé récemment M. Mariani, un « démantèlement raisonné » de la banque, en espérant limiter le coût et, surtout, éviter le déclenchement d'un risque systémique, dont les conséquences sur d'autres sociétés financières auraient sans doute été considérables. Elle a fait en sorte de réduire le volume des actifs et l'exposition aux risques du groupe, même si elle s'est défait, en premier lieu, des actifs les plus facilement revendables.

Cette équipe a également fait en sorte de clarifier les multiples relations financières entre les filiales du groupe. Cette orientation ne saurait être contestée, mais 250 milliards d'euros se trouvent, encore aujourd'hui, dans le portefeuille de Dexia.

Les questions qui se posent à nous sont claires : quelle est exactement la composition de cette enveloppe considérable ? L'État ayant engagé une partie de sa garantie, quels sont les risques pour nos finances publiques ? Dans ce cadre, il s'agit de mesurer le niveau de risque actuel sur les finances publiques.

Je le rappelle, le groupe a bénéficié d'une recapitalisation à hauteur de 6, 4 milliards d'euros en 2008 à un coût surévalué partagé entre la France, la Belgique et le Luxembourg. Selon les auditions réalisées récemment par la commission des finances, la France a déjà perdu 3 milliards d'euros : 1 milliard pour le budget de l'État, et 2 milliards pour la Caisse des dépôts et consignations.

Toutefois, en 2011, le groupe a perdu 12 milliards d'euros : 4 milliards d'euros dans le cadre du rachat par la Belgique de Dexia Banque Belgique et 5 milliards d'euros dans le cadre de l'exposition de Dexia à la dette souveraine grecque. Manifestement, les pertes potentielles à venir sont encore importantes.

Les risques sont désormais concentrés en Espagne et en Italie au travers du financement des collectivités, des banques et des titres obligataires de ces deux pays. Est-il encore possible de sortir de cette exposition ou est-ce impossible, au risque de déstabiliser nos pays partenaires ? Existe-t-il des scénarii d'exposition aux risques financiers selon l'évolution de ces pays et le comportement des marchés financiers ? Ces questions que nous nous posons sont légitimes, et nous suivrons attentivement l'évolution de ce dossier, tout en gardant à l'esprit la maîtrise de nos finances dans les années à venir.

Vous le savez, en 2011, le Parlement français a été conduit à délibérer dans l'urgence afin de déterminer le montant maximum des garanties d'État qui pourraient être accordées à Dexia.

Dans le cadre de ces garanties, une clef de répartition de 36, 5 % pèse sur la France, le reste revenant aux deux autres parties prenantes, le Luxembourg et la Belgique, ce dernier pays n'étant pas satisfait. Nos ministres sont en train de résister, car la révision de cet accord constituerait une circonstance aggravante pour notre propre budget.

D'ici à 2014, le besoin pour ces garanties est estimé entre 70 et 90 milliards d'euros. Même si des intérêts ont été perçus par l'État, ceux-ci sont relativement faibles au regard des sommes en jeu.

Eu égard à ce qui a été dit dernièrement en commission des finances, le risque potentiel - qui existe ! - est évalué, à l'horizon 2014, entre 25 et 34 milliards d'euros.

Voilà l'évaluation que l'on peut faire de la somme qui sera nécessaire si les garanties de l'État sont appelées à leur maximum. Nous souhaitons tous que cela n'arrive pas, mais il me semble important d'avoir en tête cet ordre de grandeur. Telle est la réalité dont nous devons tenir compte.

Dans le cadre de ce propos relatif au groupe Dexia, je voudrais saluer la démarche de transparence et de sincérité financière engagée par nos collègues François Marc, rapporteur général de la commission des finances, et Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », afin d'obtenir de la Cour des comptes une enquête sur les modalités de recensement et de comptabilisation des engagements hors bilan de l'État. Alors que les garanties ne figurent pas au budget de l'État, il me semble aujourd'hui décisif de mettre en place un outil de recensement, notamment au travers de la publication d'un « jaune » budgétaire dans le cadre de la présentation au Parlement du projet de loi de finances initiale. Une telle disposition viendrait compléter utilement les obligations fixées par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Pour revenir à Dexia, son effondrement, ou plutôt son démantèlement organisé, pose dans l'immédiat, chacun le sait dans cette assemblée, le problème du financement des collectivités territoriales, pour 2012 et au-delà. Il faut donc, et c'est le deuxième point de mon intervention, trouver des réponses d'urgence aux difficultés d'accès au crédit des collectivités territoriales, ainsi qu'au problème spécifique des emprunts toxiques, soulevé lors de la dernière audition de M. Mariani.

Je n'insisterai pas sur le rôle économique des collectivités territoriales ; tout le monde le mesure. Elles réalisent 70 % de l'investissement civil et représentent, par le biais de la commande publique, 10 % du PIB. Elles jouent également un rôle contracyclique et d'aménagement du territoire. Elles sont, enfin, au cœur des services publics rendus aux habitants.

La bataille pour l'emploi et le maximum de croissance, que nous devons absolument conduire, passe par l'investissement local et le dynamisme des collectivités territoriales. C'est pourquoi la question de leur situation financière est déterminante pour limiter les conséquences de la crise dans les années à venir.

Les collectivités territoriales font face au resserrement de l'offre de crédits bancaires, notamment à cause des nouvelles règles dites de « Bâle III » et de la réticence des banques commerciales à leur prêter des fonds. Cette difficulté est accentuée par la situation incertaine de Dexia. J'ajoute que, en plus de ce problème de rareté du crédit, le niveau des marges bancaires atteint des sommets – plus de 300 points de base –, qui affectent le coût du crédit.

Le besoin de financement annuel du secteur public local et des hôpitaux, très important, se situe autour de 20 milliards d'euros. Il nous a été rappelé que les banques privées traditionnelles devraient financer autour de 10 milliards d'euros en 2012. Il faut toutefois trouver un moyen de remplacer les 4 milliards d'euros que devait apporter Dexia. De nombreuses collectivités locales s'interrogent sur le reliquat à trouver pour pouvoir financer leurs investissements.

Du côté de Dexia, le retrait de 1, 6 milliards d'euros de crédits revolving, annoncé brutalement la semaine dernière, n'a pas arrangé les choses. Le relais pris par la co-entreprise associant la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations demeure suspendu à l'approbation par la Commission européenne du plan de démantèlement de Dexia. La lenteur de la création de cette nouvelle banque conduit à s'interroger sur sa capacité à apporter 2 milliards d'euros dès 2012.

Vous le voyez, monsieur le ministre délégué, la situation immédiate est tout sauf claire et rassurante pour les collectivités locales. Chacun a appris la décision récente du Gouvernement de porter effectivement à 5 milliards d'euros le montant des nouveaux prêts fournis par la Caisse des dépôts et consignations. C'était évidemment indispensable, mais il faut aussi trouver les moyens d'y ajouter 2 ou 3 milliards supplémentaires. Or ce point n'est pas encore acquis. Les modalités pratiques restent à définir, même si des assurances nous ont été données par des représentants du Trésor.

Pour près de 500 collectivités territoriales, les emprunts toxiques constituent un autre facteur d'incertitude ; cette question revient fréquemment en discussion. Je rappelle que, à la fin de l'année 2011, j'avais demandé qu'un inventaire complet soit opéré. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale a évalué à 19 milliards d'euros le total des prêts toxiques, dont 10 milliards sont attribuables à Dexia. Le coût de sortie devrait avoisiner 15 milliards d'euros, à répartir sans doute sur les dix prochaines années.

Comme je l'avais fait auprès du précédent Gouvernement, je demande à l'État de prendre ce problème à bras-le-corps, non pour en assumer le coût total – là n'est pas la question ! –, mais pour mettre en place, avec les collectivités territoriales et les banques responsables, un système mutualisé et consolidé de sortie de crise. Rien ne serait pire que de laisser pourrir la situation.

Je serai plus bref s'agissant de mon troisième point : après avoir garanti les financements pour 2012 et 2013, il faut reconstruire un système fiable de financement des collectivités territoriales.

Ce système, que chacun appelle de ses vœux, doit retrouver la fiabilité, la sécurité et le coût modéré qui n'auraient jamais dû faire défaut. Aujourd'hui, chacun mesure l'ampleur de la catastrophe due à la croyance aveugle dans les bienfaits de la dérégulation à outrance et dans la primauté des résultats financiers, quels que soient les moyens utilisés pour les obtenir.

Les banques privées continueront naturellement de jouer un rôle dans le nouveau système. Il faut veiller à ce que leurs ressources soient assurées et à ce que les conditions de prêt aux collectivités territoriales ne deviennent pas sélectives et coûteuses ; c'est une dérive possible. En clair, il faut garantir l'apport annuel d'au moins 10 milliards d'euros par les banques commerciales. Étant donné l'évolution du système financier européen, ce ne sera peut-être pas si facile ; nous devrons donc y être attentifs.

Il est urgent également, je l'ai déjà dit, de compenser la disparition d'ores et déjà engagée de Dexia. Je ne cacherai pas que je suis un peu inquiet, à titre personnel, quand je vois la complexité du schéma associant la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations. Cette nouvelle entité sera-t-elle en capacité de fournir 4 milliards d'euros en 2013 ? Aura-t-elle la même présence territoriale que l'ancien Crédit local de France ? Ce n'est pas acquis. Aura-t-elle les compétences nécessaires pour conseiller les collectivités locales ? De nombreux salariés de Dexia possédaient ces compétences, même si celles-ci ont été dévoyées par une mauvaise stratégie.

Ces questions me semblent très importantes pour le secteur public local, et beaucoup d'élus se les posent. De nombreux salariés de Dexia, qui sont au total 1 300, se les posent également, en même temps qu'ils s'interrogent sur leur devenir.

En tout état de cause, je vous propose d'assumer le retour clair et net à une logique de service public dans cette nouvelle entité, et de garantir que nos institutions de contrôle ne failliront pas une deuxième fois sur ce point.

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