Monsieur le ministre, Saint-Martin s'apprête à fêter, le 15 juillet prochain, l'anniversaire du statut de collectivité d'outre-mer qu'elle a obtenu il y a cinq ans. Cinq années d'enfer et de contradiction au terme desquelles il est légitime de s'interroger sur les véritables intentions de l'État : veut-on faire de ce nouveau statut une réussite, ou craint-on qu'il suscite d'autres demandes ? En 2008, la commission d'évaluation des charges évaluait à 12 millions la somme à pérenniser par l'État pour la nouvelle communauté. L'arrêté de cette commission a été publié le 22 avril 2011. Or, au lieu de la compensation attendue, 4,7 millions par an, nous avons eu droit à une compensation négative, Saint-Martin devant verser à l'État 637 000 euros par an. L'affaire est aujourd'hui devant le Conseil d'État. En attendant, le budget primitif de 2011 a été voté en déficit, et transféré à la chambre territoriale des comptes. On attend la suite, en se demandant si le Gouvernement n'a pas l'intention de faire échouer la réforme.
Nous avons également des problèmes scolaires. Sur 36 000 habitants, 12 000 enfants sont scolarisés. Nous avions prévu de construire une cité scolaire : en aurons-nous les moyens ?
Victorin Lurel, ministre - J'ai conscience d'être sur une route cahoteuse et difficile, car le contexte se dégrade. C'est en effet un exercice de pragmatisme ; il me faut « comprendre le réel et aller à l'idéal », comme disait Jaurès. Le collectif budgétaire, la loi de finances initiale et la loi de financement de la sécurité sociale sont en pleine élaboration, mais c'est au terme de la législature que je vous demande de nous juger.
Pour progresser, il faut hiérarchiser nos priorités : en première année, sanctuariser la ligne budgétaire unique (LBU), le SMA, les niches fiscales et le plafonnement. Nous devons également trancher le débat sur l'inscription d'une quote-part des 500 millions : faut-il l'inscrire sur le budget de l'outre-mer ou la répartir entre les 37 ministères ?
Sur la défiscalisation, notre position est claire : son socle principal est la LBU. Peut-on la sanctuariser à son niveau actuel, entre 250 et 270 millions d'euros ? Comme les financiers vantent la défiscalisation, on a tendance à la préférer à la LBU. L'urgence de la situation et le besoin de constructions doivent nous inciter à éviter quelques travers et moraliser les pratiques : il faut trouver le juste couplage entre les défis du logement et la LBU. Certains opérateurs sociaux font des montages complexes, des monteurs en défiscalisation s'octroient 12 à 15 % de son produit, au point que le mètre carré défiscalisé revient parfois plus cher qu'en LBU !
La LBU doit rester le fondement de la politique du logement social, et marcher de concert avec la défiscalisation. Si nous arrivons à moraliser un peu les pratiques, c'est encore mieux.
Monsieur Vergoz, il ne faut pas culpabiliser sur les contrats aidés. Ils augmenteront de 50 % au second semestre 2012 : 80 000 emplois aidés supplémentaires sont prévus, en sus des 115 000 engagés. Les critères de répartition sont, d'une part, la part des demandeurs d'emplois de longue durée, et, d'autre part, le taux de consommation par les régions des contrats aidés attribués au premier semestre. Ces critères ont permis d'attribuer 10 020 emplois aidés à La Réunion - en diminution conformément au taux de consommation observé -, 1 500 en Guyane, un chiffre stable, 1 938 en Martinique, soit une légère diminution, et 2 500 en Guadeloupe. On ne vous culpabilise pas, mais on a bien conscience de ne répondre qu'à l'urgence et dans le court terme. Il faut travailler en profondeur sur la qualification et l'insertion. Il y a de vrais gisements dans l'apprentissage, cette école de la deuxième chance à laquelle nous devons familiariser les collectivités. Le SMA fonctionne bien !
Ce sont des sujets que nous devrons évoquer lors de la contractualisation avec les collectivités territoriales. Que surtout l'on ne nous dise pas qu'en matière de chômage nous n'avons pas tout essayé !
Enfin, je suis favorable à l'économie solidaire mais il faut trouver une source de financement, réactive et de confiance. Les banques se montrent frileuses. Je n'ai pas trouvé le sésame pour mobiliser l'épargne et nous en sommes à envisager une bourse régionale couvrant la zone de La Réunion, de l'île Maurice, de Mayotte, voire même Madagascar. Aujourd'hui, ces zones sont autorisées à s'insérer dans les organisations internationales. Le droit devenant polymorphe, plus souple, il permettra peut-être de trouver un moyen de mobiliser l'épargne.
Le problème de l'économie solidaire, c'est la solvabilisation. C'est un domaine foisonnant, ondoyant et divers, pour paraphraser Montaigne, mais encore faut-il payer. Les coopératives qu'on a longtemps oubliées sont à soutenir par des financements, dont le microcrédit.
Le traité de concession entre la CCI et la SRPP ? J'en ai entendu parler sans en connaître la teneur exacte. Je sais qu'on envisage une prolongation jusqu'en 2030. Toutes choses égales par ailleurs, nous avons connu pareil dispositif lorsque nous avons changé de structures aéroportuaires. Nous avons renouvelé les concessions aéroportuaires par anticipation, privatisé en proposant aux collectivités territoriales de devenir actionnaires. Nous avons un vrai souci sur les ports maritimes. Je viens de différer l'entrée en vigueur du décret au 1er janvier 2013 à la demande des socioprofessionnels mais je ne remets pas en cause la gouvernance et les montages ; s'ils fonctionnent, conservons-les. Nous devrons évoquer le monopole de la manutention, une question importante pour le coût du fret, ainsi que la structure organisationnelle de la SRPP. Les élus de La Réunion sont pour le découplage du raffinage et du stockage. Attention toutefois au contexte : ainsi ne faut-il pas que le pétrole guyanais soit raffiné à Trinidad ; je viens d'en parler à M. Montebourg. Si on est à 300 000 barils par jour, on ne peut pas imaginer de gaîté de coeur de raffiner à seulement quelques encablures des côtes de la Guyane alors que la SARA risque de fermer. Il y a là un partenariat plus intelligent à trouver. Tout cela pour dire qu'à La Réunion nous sommes prêts à examiner avec bienveillance ce découplage à la condition d'une saine concurrence sur la propriété des cuves de stockage. En Guadeloupe, un importateur a voulu s'implanter, il n'a pas pu stocker la marchandise car les cuves étaient propriété d'une société pourtant financée par la défiscalisation et des fonds publics via la facturation des quotes-parts d'amortissement.
Monsieur Magras, je prends note de vos remarques sur le transport aérien dont vous êtes un spécialiste. Les normes imposées posent effectivement un problème de rentabilité et de survie aux petites compagnies, de même que les taxes trop élevées et les accords de réciprocité non respectés. Nous avons exclu Saint-Barthélemy et la Nouvelle-Calédonie de l'ordonnance adoptée en Conseil des ministres en matière de sécurité aérienne.
Les relations avec l'Europe doivent s'inscrire dans un cadre réglementaire stabilisé, notamment en matière maritime et de pêche. L'absence de délimitation des eaux territoriales et de la ZEE avec La Dominique ou Antigua, empêche la conclusion de conventions de pêche. Cela dit, il faut un cadre dépassant le problème de la pêche pour gérer de manière globale les bassins océaniques au sens du Grenelle. Je pense, entre autres, à la coopération judiciaire et policière ou encore au cabotage. Des discussions sont en cours avec la Commission de l'océan Indien (COI).
La domiciliation des actifs défiscalisés est-elle concrètement praticable ? Peut-on empêcher un bateau de circuler librement ? La liberté d'aller et de venir sur le territoire national est garantie par la Constitution. Je suis donc perplexe.
J'ai entendu les propos du sénateur Fleming sur Saint-Martin : cinq ans d'enfer puis un arrêté qui prend 637 000 euros à une collectivité déjà en difficulté. Vu la situation, je comprends que vous ayez saisi le Conseil d'État. À l'époque, j'avais dit mon étonnement devant l'absence de compensation par l'État. L'État n'a pas compensé et la Guadeloupe a payé 18 mois. Si votre affaire prospère devant le Conseil d'État, je demanderai peut-être à ce que ma région soit remboursée des frais indûment consentis à Saint-Martin. C'est une plaisanterie... Le problème est celui de l'évaluation des charges. On a fait le même coup à Mayotte : les charges ont été évaluées sur une seule année, et non sur une moyenne pondérée. Le Conseil d'État nous éclairera. Quant à mon Gouvernement, son attitude est la bienveillance. L'autonomie doit se faire à budget constant. Le tout est de savoir ce que l'on entend par budget constant... Nous avons eu ce débat pour l'érection de collectivités autonomes en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. J'ai reçu le président Richardson, je lui proposerai un protocole d'accompagnement financier.