Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 17 juillet 2012 à 14h30
Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2011 — Adoption définitive d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion des lois de règlement est un exercice imposé. Il est l’occasion de constater si les positions prises lors de la discussion du projet de loi de finances initiale ont pu trouver quelques motifs de validation. Nous devons donc porter un jugement sur la manière dont les affaires publiques ont été conduites durant l’année 2011. J’observe toutefois que, lors de la séquence électorale de ce printemps, nos concitoyens ont déjà exprimé leur rejet des choix qui ont présidé à cette politique.

La loi de finances initiale pour 2011 a fait l’objet de quatre collectifs budgétaires différents, visant tous à l’adapter aux choix gouvernementaux et à la « conjoncture », comme on dit généralement.

Le premier collectif – la loi du 29 juillet 2011 – comportait comme principale mesure la réforme, pour ne pas dire la mise en extinction, de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, une nouvelle définition de son tarif ayant réduit la recette fiscale de près de 2 milliards d’euros ! Ce choix, comme plusieurs autres pendant le dernier quinquennat, a diminué la participation des plus riches au budget de l’État, alors même que celle des plus modestes allait s’aggraver ; nous le verrons lorsque j’aborderai le quatrième collectif budgétaire. Nous attendons donc avec intérêt que l’article 1er de la loi du 29 juillet 2011 soit purement et simplement rapporté afin que l’ISF retrouve toute son efficacité sociale et économique. Cette décision devrait intervenir la semaine prochaine ; nous y veillerons.

Comme la « disparition » budgétaire des coûteuses mesures du plan de relance en offrait l’opportunité, les mesures fiscales contenues dans ce collectif ont porté sur la seule fiscalité du patrimoine, accentuant un peu plus la hiérarchie des priorités du gouvernement de MM. Sarkozy et Fillon.

J’en viens au deuxième collectif – la loi du 19 septembre 2011 –, que nous avons dû examiner en accéléré. Ce texte a été rendu nécessaire par l’aggravation de la situation économique européenne et de la crise de l’euro. Il comprenait, entre autres mesures, le renforcement des moyens du Fonds européen de stabilité financière, avec pour conséquence un renforcement des garanties hors bilan accordées par l’État.

L’augmentation d’un certain nombre de prélèvements sociaux, notamment sur les revenus du patrimoine, ne faisait aucunement illusion. En effet, le collectif était assorti de 460 millions d’euros d’annulations de crédits frappant toutes les missions budgétaires, les seules ouvertures étant liées au service de la dette et aux remboursements et dégrèvements d’impôts. Ces réductions de dépenses ont touché toutes les actions publiques, mais elles ont plus particulièrement affecté celles que mènent les structures associatives auprès des populations les plus fragiles.

Le troisième collectif – la loi du 2 novembre 2011 – fut pour le Parlement l’occasion de constater que la crise financière et économique pouvait mettre en cause les acteurs même des marchés financiers responsables de cette crise. Le point principal du projet de loi était le plan de sauvetage du groupe Dexia, avec l’instauration d’une garantie partagée entre les gouvernements belge, français et luxembourgeois. Nous nous sommes alors interrogés sur les dispositions proposées, considérant que l’on devait reconstruire un outil public de financement des collectivités locales. Cela nous avait amenés à rejeter le plan proposé.

Aujourd'hui, la situation de Dexia demeure particulièrement préoccupante dans la mesure où la quasi-totalité des garanties prévues ont été appelées – même si elles ne sont pas encore mobilisées ; nous en restons au stade du cautionnement – et où le moyen de permettre à cet établissement de reprendre les activités qui constituaient son « cœur de métier », à savoir le financement des collectivités territoriales, n’a pas encore été trouvé.

Notons également que l’engagement de l’État n’a pas empêché le net ralentissement des efforts d’investissement des collectivités territoriales. Cette réduction a des conséquences évidentes. La faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence de la croissance économique, trouve là l’une de ses causes. L’annonce de 6 000 suppressions d’emploi prévues cette année par la Fédération nationale des travaux publics est l’expression de ce ralentissement important, puisque la part des collectivités territoriales dans l’investissement public est passée de 75 % à 70 %. Si ces 6 000 suppressions d’emploi devaient effectivement se concrétiser, elles affecteraient tous nos territoires.

Enfin, nous avons eu droit au traditionnel collectif de fin d’année – la loi du 28 décembre 2011 –, qui fut profondément modifié par le Sénat. Cette loi de finances rectificative prévoyait notamment le relèvement du taux réduit de la TVA, qui concerne évidemment tous les consommateurs mais pèse davantage, comme on le sait, sur ceux qui ont des revenus modestes.

Ce quatrième collectif a également entériné le gel du barème de l’impôt sur le revenu, dont la conséquence principale a été l’accroissement du nombre de ses redevables. Cette mesure a concerné en particulier les redevables d’une cotisation limitée en montant direct mais qui, en raison même de ce faible niveau d’impôt, peuvent prétendre à des droits connexes. Les bénéficiaires des fameuses heures supplémentaires défiscalisées n’échapperont donc pas à ce processus, puisque ce sont eux qui ont les plus bas salaires : de 1 à 1, 6 fois le SMIC. Après avoir acquitté une cotisation d’impôt sur le revenu, ils verront progresser leur contribution aux finances locales à travers un autre plafonnement de leur taxe d’habitation. En outre, certaines des aides au logement ou aides sociales dont ils bénéficiaient jusqu’alors seront réduites.

Cette question de l’adaptation des différents barèmes prévus par notre législation fiscale nous semble tout à fait cruciale, en particulier pour les plus modestes. Si ces foyers ne constituaient pas la priorité du précédent gouvernement, ce sont pourtant eux qui participent le plus, par leur consommation, à la dynamique économique. Rappelons-nous que les revenus salariaux représentent plus de 60 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu, les pensions et retraites en représentant quant à elles entre 20 % et 25 %. En gelant le barème de l’impôt sur le revenu, le gouvernement de l’époque a donc accru la ponction fiscale sur ces éléments de revenu.

Aussi, quand j’entends certaines réactions d’anciens ministres sur les mesures préconisées en loi de finances rectificative par le Gouvernement, je pense qu’il est bon de raviver leur mémoire !

Pendant ce temps-là, les niches fiscales persistent ainsi que les régimes dérogatoires de traitement des revenus du capital et du patrimoine, voire les exonérations pures et simples. Quant à l’optimisation fiscale, elle demeure un outil à disposition de tous ceux qui ont autre chose que le seul fruit de leur travail pour vivre. C’est d’ailleurs ce que montre le travail réalisé par la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

C’est cette question qui est directement posée par le quatrième collectif de la fin d’année 2011, lequel se drapait d’autant plus dans les habits de l’équité qu’il s’apprêtait à frapper durement les revenus les plus modestes au fil du temps, sans doute bien plus durement que les autres revenus mis à contribution, car la situation était « exceptionnelle » et nécessitait des moyens du même acabit !

Il est probable que, sans le jugement souverain de l’électorat, l’exceptionnel aurait sans doute justifié son nom, tandis que le reste, frappant les plus modestes, serait devenu l’ordinaire.

Toujours est-il que toute démarche de revalorisation des barèmes et tarifs fiscaux doit, à notre avis, aller de pair avec une réflexion sur le bien-fondé de la mesure au regard des éléments d’assiette concernés et doit contribuer à plus de justice fiscale.

Par exemple, il nous semble que la dynamique de progression des revenus ayant assez peu à voir avec celle des patrimoines – si l’on en croit l’INSEE –, il n’est plus tout à fait légitime que les modalités de revalorisation des impositions concernant les revenus du travail et ceux du capital soient forcément identiques.

Pour autant, au terme d’une loi de finances initiale et de quatre collectifs budgétaires, la situation des comptes publics ne s’est pas véritablement améliorée, puisque le présent projet de loi de règlement établit le déficit budgétaire à 90, 7 milliards d’euros contre 91, 6 milliards d’euros prévus en loi de finances initiale.

Si le plafond de progression de la dette publique fixé par la loi de finances pour 2011 a été respecté, on ne peut manquer de souligner que les 88 milliards et quelques euros supplémentaires venus s’ajouter au stock déjà existant de dette montrent clairement les limites des choix opérés par le gouvernement d’alors.

Nous sommes dans une situation paradoxale : la France n’a jamais émis autant de titres de dette que lors du dernier quinquennat ; pourtant, le niveau des investissements publics n’a jamais été aussi faible.

La loi de finances initiale et la loi de règlement offrent pourtant l’occasion de faire quelques découvertes, rendant possible ce que nous constatons dans la réalité aujourd’hui.

Ainsi, le Gouvernement avait prévu d’amortir 48, 8 milliards d’euros de titres de dette de long terme, 48 milliards d’euros de titres de moyen terme, 600 millions d’euros de dettes reprises par l’État, et de contenir à 91, 6 milliards d’euros le déficit budgétaire.

Et qu’avons-nous au final ? Un amortissement plus faible que prévu des titres de moyen terme – 46, 1 milliards d’euros au lieu de 48 milliards d’euros –, un niveau d’émissions de bons du Trésor plus faible – 183, 4 milliards d’euros au lieu de 186 milliards d’euros –, mais surtout, fort opportunément, un solde négatif des bons du Trésor de court terme pour 9, 3 milliards d’euros – soit un gain de 8, 2 milliards –, un doublement des ressources diverses de trésorerie – 6, 1 milliards d’euros au lieu de 3 milliards d’euros – et un sensible apport des dépôts des correspondants – les établissements publics et les collectivités territoriales –, ceux-ci amenant, en effet, 12, 4 milliards d’euros et non pas seulement les 3 milliards d’euros prévus en loi de finances initiale.

Cette situation fait d’ailleurs l’objet d’un intéressant commentaire de notre rapporteur général : le fameux grand emprunt destiné à financer des « investissements d’avenir », monsieur le président de la commission des finances, n’est pour le moment devenu qu’un moyen de financer des placements de trésorerie en attente d’emploi, les revenus tirés de ces opérations étant ensuite mutualisés dans les écritures de l’État.

Au moment où certains appellent les opérateurs de l’État – et donc, entre autres, les grands établissements publics de recherche, de création et d’innovation technologique – à la mesure et au respect de nouvelles contraintes comptables et budgétaires, il serait bon que nous nous interrogions sur le fait que, pour le moment, ces organismes participant à la croissance et au progrès social et économique sont gérés comme un « club d’investissement ». C’est en tout cas l’impression que nous avons avec cet emprunt pour des investissements d’avenir.

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