Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne vais pas être très original : je vais, moi aussi, me référer à la Cour des comptes, mais en m’appuyant sur des travaux plus anciens, à savoir son rapport d’octobre 2010 sur « les interventions de l’État dans l’économie par des moyens extrabudgétaires ».
Son président, Didier Migaud, indiquait alors que l’État avait multiplié pendant les dernières années les recours aux PPP, les partenariats public-privé, et il émettait les plus grandes réserves sur les conditions d’exercice du contrôle parlementaire sur ces modalités d’intervention.
À l’examen du projet de loi de règlement des comptes pour l’année 2011, on le constate une fois encore : il n’y a pas une ligne sur ces dépenses puisque, par définition, elles sont extrabudgétaires. Pourtant, elles ont coûté cher à l’État et elles continueront à peser sur nos finances si nous ne modifions pas notre politique en la matière.
Lignes à grande vitesse, travaux du Grand Paris, centre hospitalier sud-francilien à Corbeil-Essonnes, rénovation de campus universitaires, tribunaux, prisons, ministère de la défense…Pour financer les grandes infrastructures publiques, l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics ont sollicité de plus en plus le secteur privé, dans le cadre de partenariats public-privé.
Pour les entreprises privées appelées à participer, c’est la bonne affaire. En revanche, pour l’État, les collectivités locales et les contribuables, ce mode de financement constitue un piège dès lors que, in fine, c’estl’État qui paie.
La Cour des comptes estime d’ailleurs, dans une communication à la commission des finances sur les partenariats public-privé en matière pénitentiaire, que l’engagement de l’État atteint aujourd'hui, rien que pour la construction des prisons, environ 20 milliards d’euros, soit un point de PIB ou encore le tiers de la recette annuelle de l’impôt sur le revenu.
En ces temps de vaches maigres pour les finances publiques, les partenariats public-privé ont fait figure de solution miracle. Depuis des années, les administrations et les collectivités locales ont pu se doter par ce biais d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures routières sans bourse délier – pour l’instant, mais à quel coût en réalité ? –, le coût d’investissement étant supporté par des entreprises privées qui, en contrepartie, se voient garantir le versement de loyers pendant des décennies.
La France a fait sien il y a moins de dix ans ce système importé de Grande-Bretagne, où au moins soixante-six hôpitaux sont aujourd’hui en faillite pour y avoir recouru.
Tout aussi inquiétante est la perte de compétence de l’État que portent en germe les PPP. Que pèsera-t-il demain si ceux-ci se généralisent ? Plus rien ! Il sera asphyxié. Sa capacité à imaginer et à concevoir des projets publics disparaîtra, de même que sa compétence à les gérer. Il y aura alors un transfert, une sorte de « privatisation du patrimoine public ».
C’est d’autant plus inquiétant que ces PPP profitent aux grands groupes et non aux PME, peut-être même pas aux entreprises de taille intermédiaire. En théorie, tout le monde est traité sur un pied d’égalité, mais certains sont « plus égaux que d’autres » et, en pratique, seuls Bouygues, Veolia, Eiffage, Vinci et quelques autres ont la capacité de monter des dossiers. Les entreprises plus petites n’ont pas les reins assez solides pour se mesurer à ces groupes. Dans le cas du « Pentagone à la française », 20 millions d’euros auraient ainsi été déboursés par les candidats à l’opération.
Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir que, à la suite des déclarations de François Hollande pendant la campagne présidentielle à propos d’un audit sur les PPP liant l’État, Christiane Taubira, ministre de la justice, ait dit hier avoir demandé une inspection générale sur le mode de financement du futur palais de justice de Paris, dont le contrat en partenariat public-privé a été signé en février dernier.
Christiane Taubira a également annoncé le gel du plan de construction de nouvelles prisons lancé par son prédécesseur en procédure accélérée à la fin de la session parlementaire précédente. C’est heureux, car la seule imputation des loyers dus aux opérateurs des partenariats public-privé pour les prisons aurait conduit à des loyers multipliés par plus de cinq entre 2011 et 2017, ce qui aurait complètement asphyxié le budget de l’administration pénitentiaire.
Oui, mes chers collègues, il est temps d’agir, de revoir les stratégies d’investissement de l’État dans la gestion de son patrimoine immobilier et d’assurer la transparence dans la présentation de ses comptes.
En mai dernier, le premier président de la Cour des comptes et le président de la première chambre, auditionnés devant le Sénat, rappelaient que les 86 milliards d’euros de reste-à-payer entre deux exercices correspondaient à des autorisations d’engagement techniquement consommées sans que les crédits de paiement correspondants l’aient été, cette forte croissance s’expliquant, pour partie, par le recours accru aux PPP. Et Didier Migaud de conclure : « La Cour sera certainement amenée à formuler des observations sur certains PPP, mais cela sera sans doute trop tard. C’est le Parlement qui est force de proposition en la matière. »
Monsieur le ministre, cette intervention sur la question dite extrabudgétaire des partenariats public-privé me semble importante, car elle illustre le mode de gestion de l’ancienne majorité.
À quoi bon parler de règle d’or et d’équilibre si l’on développe année après année le recours aux financements extrabudgétaires, qui permettent à la fois de faire des cadeaux à ses amis et de cacher d’importants engagements de l’État ?