Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi un petit mot personnel : au moment de prendre pour la première fois la parole à cette prestigieuse tribune en tant que ministre du Gouvernement, j’ai une pensée pour mes grands-parents, humbles paysans et ouvriers bretons, qu’il me plaît de faire revivre quelques secondes devant vous.
Le débat d’orientation sur les finances publiques permet au Gouvernement d’exposer, devant la représentation nationale, les grandes lignes de sa stratégie de redressement des comptes. Cette discussion a déjà eu lieu la semaine dernière à l’Assemblée nationale, en présence du ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, et du ministre délégué chargé du budget, Jérôme Cahuzac. Je me réjouis de venir à mon tour à la rencontre de la Haute Assemblée, aujourd’hui, pour prolonger le dialogue entamé avec les députés.
Le Premier ministre a eu l’occasion de le répéter maintes fois, le Gouvernement entend pleinement associer le Parlement au chantier crucial du redressement des comptes. Les membres du Gouvernement partagent une même envie d’aller à la rencontre de la représentation nationale, une même considération pour ses élus. Nous veillerons à ce que chacun remplisse sa tâche. Pour le Gouvernement, cela nécessite de faire sienne une culture du dialogue, de l’écoute et de la pédagogie, à quoi je vais essayer de m’astreindre pendant les minutes qui viennent.
Vous connaissez les contraintes qui bordent l’exercice d’assainissement des comptes que nous avons commencé, et que le rapport de la Cour des comptes a détaillées début juillet. Le pays doit faire face à un triple déficit, alors que les tensions restent très vives dans la zone euro : un déficit de croissance, un déficit de crédibilité et un déficit de confiance.
La France se trouve tout d’abord face à un déficit de croissance et de compétitivité. Celui-ci trouve en partie sa source chez certains de nos partenaires européens, contraints à des politiques d’austérité en l’absence de solution d’ensemble à la crise des dettes souveraines. Il s’agit d’ailleurs d’un jeu à somme nulle puisque tous les pays ajustent simultanément leurs dépenses publiques et leurs salaires, mais que, du coup, aucun n’améliore sa compétitivité par rapport aux autres.
Notre déficit de croissance résulte aussi de la faiblesse de la consommation des ménages, qui ne joue plus suffisamment son rôle historique de moteur de la croissance française. Permettez-moi de rappeler à cet égard la baisse de la croissance du revenu arbitrable disponible pour les ménages, qui témoigne d’un véritable effondrement de la demande.
Il s’explique, enfin, par une perte de compétitivité sans précédent : nos parts de marché à l’exportation ont reculé de 20 % au cours des cinq dernières années.
Notre pays est ensuite victime d’un déficit de crédibilité. Nos comptes publics dérivent depuis dix ans. La dette publique a augmenté de 600 milliards d’euros depuis 2007 et le déficit public s’élève encore en 2011 à plus de 100 milliards d’euros.
Le Premier ministre a rappelé dans son discours de politique générale que le service de la dette, soit 50 milliards d’euros par an, constituait notre premier poste budgétaire, ce qui constitue une charge bien lourde pour les Français.
L’audit de la Cour des comptes montre que la crise n’explique pas tout : l’Allemagne, elle, a su ramener son déficit public à un niveau proche de l’équilibre en 2011. Quant au déficit public français, s’il a été réduit à 5, 2 % en 2011, Pierre Moscovici a eu l’occasion de le rappeler tout à l’heure, son niveau spontané dérivait vers 5 % en 2012. C’est pourquoi nous devons, au travers de la loi de finances rectificative qui est également soumise à votre examen pendant cette session, procéder à une importante correction de trajectoire.
Enfin, nous devons faire face à un déficit de confiance. L’instabilité, les remises en question permanentes et la confusion des objectifs ont sapé la confiance dans l’action publique. Des décisions fiscales injustes, en faveur des plus privilégiés, ont entamé notre cohésion sociale.
C’est à ce triple déficit – déficit de croissance et d’emplois, déficit de crédibilité budgétaire et déficit de confiance – que nous devons remédier. C’est pour cela qu’un changement de cap est nécessaire : tel fut le sens du vote des Français en mai et en juin.
Notre stratégie passe donc par une action résolue en faveur de la croissance et de la solidarité, à l’échelon non seulement national, mais aussi européen, et par le redressement des comptes publics dans la justice.
À l’échelon européen, des avancées majeures pour le retour de la croissance ont été réalisées lors du Conseil européen des 28 et 29 juin. Grâce, en particulier, aux efforts de la France et au message fort porté par le Président de la République, François Hollande, la croissance a été replacée au cœur de la construction européenne. Les chefs d’État et de gouvernement ont adopté un pacte ambitieux, qui s’appuie sur 120 milliards d’euros d’investissements, soit l’équivalent du budget communautaire aujourd’hui et de 1 % du PIB de l’Union, financés grâce à des ressources nouvelles, et une orientation de l’ensemble des instruments et des politiques européennes en faveur de la croissance.
Ils ont également décidé la mise en place d’une supervision financière intégrée, étape fondamentale qui nous permettra de mieux contrôler le secteur financier, mais aussi de contenir l’impact des crises sur les finances publiques, notamment par une recapitalisation des banques en difficulté à travers le Mécanisme européen de stabilité.
Ils ont, enfin, commencé à tracer la feuille de route d’une intégration solidaire.
À l’échelon national, des mesures d’urgence en faveur de la justice, de l’emploi et du pouvoir d’achat ont d’ores et déjà été adoptées par le Gouvernement : décret sur les retraites, hausse de l’allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, contrats aidés supplémentaires, abrogation de la TVA sociale, laquelle aurait constitué une ponction importante sur le pouvoir d’achat des ménages.
Ces mesures nécessaires, autant socialement qu’économiquement, sont entièrement financées par des hausses de recettes ou par des économies supplémentaires.
Le Gouvernement proposera d’autres mesures pour encourager l’emploi et le pouvoir d’achat au cours des prochains mois. Je me contenterai de les mentionner brièvement ici pour mémoire. Il reviendra au ministre compétent d’en fixer ensuite les contours. Elles auront notamment pour finalité de mieux encadrer l’évolution des dépenses dites incompressibles des ménages, ce qui fait écho à ce que je disais tout à l’heure sur la baisse de la croissance du revenu arbitrable disponible. En effet, aujourd’hui, la possibilité de choisir ce que l’on peut dépenser diminue. Nous voulons donc mieux contrôler les dépenses incompressibles, notamment dans le domaine du logement et de la santé, pour qu’elles pèsent de moins en moins lourdement dans les budgets individuels.
Le retour de la croissance passera aussi par un soutien déterminé à l’investissement, condition du redressement de l’appareil productif et de la relance de la croissance. À cet égard, nous mobiliserons deux leviers, la fiscalité et la finance, pour servir un même objectif : réformer le financement de l’économie réelle, c’est-à-dire rétablir des canaux d’irrigation entre, d’une part, des capacités de financement considérables, mais souvent inexploitées, et, d’autre part, un tissu de petites et moyennes entreprises industrielles et d’entreprises de taille intermédiaire, qui peinent à trouver les moyens de se développer.
La création d’une banque publique d’investissement, la réforme du système bancaire, de l’épargne réglementée et de la fiscalité de l’épargne, en constituent les axes principaux. En parallèle, nous favoriserons l’investissement des entreprises, avec une évolution de l’impôt sur les sociétés et du crédit d’impôt recherche, et nous proposerons plusieurs initiatives pour soutenir le commerce extérieur.
La fiscalité sera ainsi rendue plus lisible, plus efficace et plus juste, et favorisera les entreprises qui investissent au détriment de celles qui délocalisent. Comme l’a indiqué le Premier ministre, « être juste, c’est aussi reconnaître l’apport des créateurs, des innovateurs, des entrepreneurs ».
Le soutien à l’activité ne doit cependant pas être en contradiction avec le redressement des comptes publics.
Vous connaissez l’horizon que nous nous sommes fixé. Le Gouvernement mettra en œuvre en deux temps la réforme de la fiscalité dans la justice, présentée lors de la campagne présidentielle. Une première étape s’inscrit dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de l’été 2012. Elle permettra d’atteindre l’objectif déterminé par le nouveau gouvernement d’un déficit public de 4, 5 points de PIB en 2012. Le projet de loi de finances pour 2013 constituera la deuxième étape de cette réforme, qui, couplée à une maîtrise responsable de la dépense, permettra de ramener notre déficit à un niveau de 3 points de PIB, avant de retrouver l’équilibre en 2017.
Ces objectifs sont ambitieux, mais nous les assumons : il y va du respect de nos engagements européens, mais aussi de la restauration de la confiance et du maintien de notre souveraineté…