Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 17 juillet 2012 à 14h30
Orientations des finances publiques — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Il est toujours de bon ton, quand on est aux affaires, de donner une belle présentation à la politique que l’on met en œuvre ; et il est aussi commode, quand on n’y est pas, de flétrir ce qui peut être par d’autres enjolivé…

La critique est une chose ; restent les chiffres.

Pour ce qui est de la dette publique, je vous rappelle que la seule dette de l’État représentait, à la fin de l’année 2002, un encours de 717, 2 milliards d’euros, détenu à un peu moins de 42 % par des non-résidents et constitué aux deux tiers par des obligations de long terme. À la fin de l’année 2011, la dette de l’État s’élevait à 1 313 milliards d’euros. Elle était majoritairement détenue par des non-résidents et comportait 166 milliards d’euros de titres indexés, au lieu de 29, 5 milliards d’euros en 2002.

Quant aux bons du Trésor de court terme, même si leur proportion s’est un peu réduite, on l’a vu lors de la discussion du projet de loi de règlement des comptes pour 2011, ils représentent aujourd’hui un volume de 178 milliards d’euros, deux fois plus important qu’il y a dix ans.

Dix années de gestion libérale des affaires publiques auront donc conduit à une hausse de près de 600 milliards d’euros de la dette de l’État, alors même que la précédente gestion n’avait pas été marquée par une telle progression. Rendez-vous compte : 80 % d’augmentation de l’encours en dix ans !

Le résultat de cette situation est connu : nous avons dû consacrer en 2011 pas moins de 48, 8 milliards d’euros au titre des intérêts de notre dette, dont 3 milliards d’euros, faut-il le souligner, au seul bénéfice de détenteurs de titres indexés.

En effet, il s’est trouvé un ministre des finances, au tournant des années 1990 et 2000, pour mettre en place une sorte d’échelle mobile de la rente, en créant une indexation de certains titres de dette émis, qu’il s’agisse d’obligations de long terme ou de bons du Trésor à annuités.

Cette progression de la dette publique résulte évidemment de l’accumulation des déficits budgétaires constatés depuis 2002.

À proprement parler, leur source n’est pas à rechercher dans un développement inconsidéré de la dépense publique, les Gouvernements qui se sont succédé pendant dix ans ayant au contraire mis une sorte de point d’honneur à contenir sa progression, mais bel et bien dans le faible dynamisme des recettes fiscales, voire, dans certains cas, leur réduction.

Songez que la loi portant règlement définitif du budget de 2002 constatait un déficit d’environ 50 milliards d’euros, correspondant à la différence entre 291, 4 milliards d’euros de recettes et 341, 4 milliards d’euros de dépenses.

C’est donc à l’évidence du côté des recettes que, fondamentalement, les choses ne vont pas tout à fait bien.

Nous avons connu, faut-il le rappeler, dix années de cadeaux fiscaux les plus divers, allant de la réforme du barème de l’impôt sur le revenu au développement de niches fiscales mitant son assiette, en passant par moult mesures d’allégement de la fiscalité du patrimoine et de l’imposition des sociétés, sans oublier l’une des plus remarquables inepties fiscales du dernier quinquennat : le remplacement de la taxe professionnelle par une contribution économique territoriale inadaptée.

Chaque fois, au-delà de considérations visant à l’harmonisation des pratiques fiscales françaises au regard de la concurrence fiscale européenne, la démarche était la même : développer une politique de l’offre qui, par la seule grâce des bénéficiaires des largesses publiques – ménages aisés, grands groupes à vocation industrielle et commerciale – permettrait, en fonction de leur bonne volonté, à notre économie de croître et à notre pays de connaître une certaine forme de progrès social et économique.

L’usage et l’abus des dispositifs d’optimisation fiscale, notamment sur les patrimoines et les capitaux, et la mise en place, profondément inégalitaire, du bouclier fiscal, symbole accusateur de la teneur des choix opérés, auraient pu constituer autant d’avertissements pour conduire à changer de pratique et de méthode. Mais les plans sociaux en pagaille, les suppressions d’emplois par centaines de milliers – notamment par ces plans sociaux invisibles que sont les non-reconductions de contrats à durée déterminée ou de missions d’intérim –, l’accroissement des inégalités de patrimoine et le déclin industriel de notre pays, victime de stratégies purement financières menées au sein de nos plus grands groupes au détriment de l’emploi et de l’innovation, sont autant de preuves manifestes que non seulement l’État s’est profondément et gravement endetté mais que, de surcroît, il ne l’a pas fait à bon escient.

Il fut un temps où, si l’on peut dire, la France avançait sur la route du progrès, où une génération savait qu’elle vivrait mieux que la précédente. Certains appellent cette époque les Trente Glorieuses. Mais ils oublient parfois que les années 1945 à 1975 furent aussi celles où la France dut concevoir de se séparer de son empire colonial tout en payant le prix de deux guerres aussi inutiles au plan historique que coûteuses en vies humaines, en ressources et en ressentiments, et que, pendant cette période, les comptes publics ne furent pas forcément au vert chaque année...

Seulement voilà, mes chers collègues : quand la France s’endettait pour développer son réseau téléphonique, construire des centrales électriques utilisant autant l’énergie hydraulique que la technologie nucléaire la plus avancée, réaliser des infrastructures de transport ou bâtir des lycées et des collèges, ce qui était, pour une année, une source de déficit budgétaire pouvait fort bien, les années suivantes, être à l’origine de nouvelles recettes fiscales. C’est en effet le tissu économique dans son entier qui tirait parti des engagements publics.

N’oublions pas que ces engagements publics sont largement assurés par les collectivités territoriales – à hauteur de 70 % aujourd’hui. De ce point de vue, les collectivités territoriales sont un levier du redressement économique.

Mais quand l’État s’endette pour que Mme Bettencourt puisse percevoir un remboursement de 30 millions d’euros au titre du bouclier fiscal, pour que la famille Peugeot, qui fait parler d’elle ces temps-ci, puisse s’attribuer un juteux dividende peu de temps avant de programmer un nouveau plan social ou de « départs volontaires », pour que Renault puisse poursuivre ses investissements à l’étranger ou pour que Charles Doux puisse engloutir des millions au Brésil avec le produit du travail de ses salariés payés au SMIC et employés à temps partiel sans réussir à placer ses découpes de volaille auprès des consommateurs locaux, eh bien, c’est de la mauvaise dette qui voyait le jour !

Les faits sont là : depuis dix ans, nous avons ouvert en grand la trappe à bas salaires en dépensant toujours plus d’argent public pour alléger le trop fameux « coût du travail ». Et certains s’étonnent maintenant de constater que, plus les années passent, moins les Français partent en vacances, et pour des durées moins longues ! Songez que, cette année, seulement 53 % de nos concitoyens – juste un peu plus d’un sur deux – ont prévu de partir en vacances…

Nous avons ouvert le marché du financement des petites et moyennes entreprises et voilà que l’on constate, à la surprise générale, qu’il a suffi d’un mauvais air du temps, entre l’été 2008 et le début de l’année 2010, pour que le nombre des liquidations d’entreprise atteigne des sommets, frappant notamment toutes celles qui ont les plus grandes difficultés à accéder au crédit. On croit rêver : il n’y a jamais eu autant d’argent dans ce pays et il n’a jamais été aussi difficile pour les TPE et les PME d’accéder au crédit… Comment peut-on justifier cette frilosité des banques ?

Que sont devenus, mes chers collègues, les 100 milliards d’euros collectés sur les pseudo-livrets A par les banques commerciales après l’ouverture à la concurrence de ce produit financier ? Et ce sont 100 milliards d’euros qui n’ont pas été centralisés par la Caisse des dépôts dans son fonds d’épargne !

Je constate, d’ailleurs, que l’inquiétude, voire l’angoisse qui habite aujourd’hui une grande partie de nos compatriotes n’est pas inversement proportionnelle à l’accumulation de ressources, de capitaux et d’argent que d’aucuns ont pu réaliser en dix ans.

Le magazine Capital – qui, malgré son nom, n’est pas une revue marxiste

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