Intervention de Brigitte Grésy

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 juillet 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Audition de Mme Brigitte Grésy inspectrice générale à l'inspection générale des affaires sociales igas

Brigitte Grésy, inspectrice générale à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) :

L'examen de ce sujet est reporté après le bilan de la loi sur la représentativité syndicale, et notamment la répartition par sexe parmi les partenaires sociaux.

Il faut changer de paradigme en matière de parentalité : celle-ci est acceptée au moment de la naissance de l'enfant, mais ensuite on ne veut plus en entendre parler, comme si celui-ci ne devait jamais tomber malade. C'est çà la réalité dans l'entreprise. Or, il faut rompre avec le mythe du salarié toujours performant car tout salarié est pris dans un réseau d'interdépendances qui conditionnent sa performance et sa compétitivité.

Refuser de le prendre en compte, c'est méconnaître le fait que sur la durée d'une carrière - durée qui va s'allonger à 41 ou 42 ans - il y aura inévitablement un moment où le temps personnel devra l'emporter sur le temps professionnel.

Des études, réalisées en Belgique et en Angleterre, montrent le coût considérable pour l'entreprise d'une certaine forme d'absentéisme qui résulte du fait qu'un salarié, quoique présent sur son lieu de travail, ne peut travailler car il est soumis à un stress trop important.

Il faut désormais considérer cette notion de parentalité tout au long de la vie de la même façon que la formation tout au long de la vie, qui a été un vecteur extraordinaire du changement de paradigme de la formation et a conduit à faire entrer dans les moeurs la formation continue. La formation initiale n'est plus qu'une goutte d'eau dans la formation d'un individu et son employabilité.

La parentalité doit être considérée au sens plus large de parentèle, et englober non seulement les enfants mais aussi le conjoint et les ascendants. Il faut admettre aussi que celle-ci vous entoure de façon bénéfique mais qu'il faut aussi à certains moments lui rendre des comptes.

L'équilibre du salarié, qui résulte de sa double appartenance à une sphère privée et à une sphère professionnelle, lui permet de prendre la bonne distance vis-à-vis des choses, de réduire son stress et d'améliorer son estime en soi.

Trois actions sur la parentalité tout au long de la vie peuvent être proposées.

Tout d'abord, la parentalité à la naissance, temps fort avec tous les bouleversements qui en résultent. Pour donner à la paternité une forte impulsion initiale à ce moment-clef, je propose, tout en maintenant la durée globale du congé de maternité qui doit rester de seize semaines, d'en requalifier les quatre dernières semaines au titre d'un congé d'accueil de l'enfant au bénéfice de la mère et de mettre en vis-à-vis un congé identique au bénéfice du père, constitué des deux semaines actuelles du congé de paternité et de deux semaines supplémentaires, de façon à ce que cette période puisse ouvrir la voie à la négociation conjugale et à la parité conjugale.

Des études ont montré que la paternité est d'autant plus active tout au long de la vie que le père a pris tôt en charge l'enfant.

Au « Kaïros », le temps fort correspondant à cet évènement extraordinaire de la naissance, succède le « Chronos », le temps quotidien du travail au sein de l'entreprise qui doit être aménagé en développant les horaires variables, en régulant l'organisation des réunions, en encourageant le télétravail, à condition qu'il soit partagé par les hommes et qu'on veille à préserver des espaces de sociabilité.

Enfin, le dernier temps, c'est le temps long, celui qui s'avère nécessaire pour s'occuper d'un adolescent à la dérive, d'un conjoint malade ou d'un ascendant qui a soudain besoin d'une présence et d'une attention accrues.

A ce titre, il me semble qu'il faudrait créer une nouvelle garantie sociale, un droit individuel à la parentalité, bénéficiant d'un portage en dehors de l'entreprise et, le cas échéant, de cofinancement. On pourrait aussi imaginer qu'il prenne la forme d'un congé parental fractionné ou procéder d'une refonte de dispositifs existants, peu financés et méconnus, tels que le congé de soutien familial, le congé de présence parentale et le congé de solidarité familiale.

Il est urgent de négocier sur ce sujet de la parentalité tout au long de la vie.

Le dernier point de mon intervention concerne l'identité au travail.

Pour éclairer le sujet du sexisme, des enquêtes devraient être réalisées par les instituts statistiques de l'État sur la base de questions ciblées.

La mixité a été introduite dans les organisations de travail en faisant cohabiter les hommes et les femmes au sein des mêmes espaces de travail mais sans qu'elle ait été pensée.

Cette mixité demeure intouchable mais peut être revisitée à l'aune des stéréotypes masculins et féminins.

A la demande de l'ORSE, j'ai réalisé avec une psychanalyste une étude sur le coût des normes masculines sur la vie professionnelle et personnelle d'hommes de l'entreprise : ces normes ce sont le modèle « gagnant », l'interdiction de montrer ses failles ou ses faiblesses, le refus de ce qui peut apparaître comme féminin et, enfin, la loyauté au clan. Ces normes étaient opératoires il y a quelques années et sont encore très présentes dans la haute gouvernance.

Les hommes sont par rapport à celles-ci dans un schéma qui se résume en « 3 D », le déni, le désir et le dépit : le déni, car ils prétendent ne plus obéir à ces normes qu'ils jugent dépassées alors qu'en pratique ils les reconfigurent autrement en jouant sur la norme du temps qui est un facteur d'exclusion des femmes ; le désir car ils souhaitent que les choses changent ; enfin, le dépit, car ils ont le sentiment d'une double dépossession : celle de la sphère privée et celle de la sphère publique.

Le sentiment de dépossession de la sphère publique résulte de ce que l'entreprise ne respecte pas ses promesses et n'hésite pas à remercier dès 50 ans ses collaborateurs : les seniors, il faut le dire, sont particulièrement maltraités en France. L'entreprise est devenue une source de peur et les hommes sont tentés de rechercher des assurances dans la sphère privée.

Ce sentiment de dépossession est renforcé par l'arrivée des femmes, perçues comme des partenaires admirées, parfois mythifiées quand elles sont considérées comme seules aptes à la nouvelle gouvernance et parées de toutes les qualités d'empathie, du sens de l'écoute et de la capacité à investir sur le long terme. Or, il faut se méfier de cette floraison de contre-stéréotypes attachés aux femmes et à leur leadership, car ceux-ci peuvent être un facteur de division. Les femmes sont aussi des concurrentes jalousées, bien que cela ne soit pas directement exprimé, car les hommes craignent qu'elles ne leur prennent leurs postes.

Le sentiment de dépossession de la sphère privée résulte de la constatation que l'homme, chef de famille et pourvoyeur de revenus, a joui pendant des années d'un statut incontesté au sein de la famille, l'homme représentant la loi et la femme l'amour. Or, brusquement, en raison de leur insuffisante présence dans la vie familiale, les hommes doivent désormais composer avec des femmes qui occupent tous les rôles.

On constate donc, aujourd'hui, des phénomènes de tension qui intéressent tant les hommes que les femmes même si, bien évidemment, il y a asymétrie dans la domination.

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